vendredi 25 août 2017

Interruption momentanée des programmes

Je dois m'absenter pour un séjour (que j'espère le plus court possible) à l'hôpital. 
Que Dieu vous garde
dans la paume de sa main !
A bientôt


jeudi 24 août 2017

Le pasteur ne peut pas...

… lire dans les coeurs et les âmes.
C'est Dieu qui fait ça.

… tout faire.
Idem.

… faire plaisir à tout le monde.
Même Jésus n'y est pas arrivé.

... trahir la confiance qui lui est faite lorsque quelqu'un se confie à lui.
Être en chemin dans la foi, ça demande de pouvoir faire confiance à Dieu, mais ça passe par des gens qui montrent que cette confiance est possible. La trahison, c'est le contraire de toute confiance.

... savoir à l'avance comment Dieu va utiliser son ministère.
Chez les pasteurs, pas de plan de carrière. Et un cahier des charges qui évolue tout le temps, à la grande surprise du pasteur lui-même.

... faire usage de son pouvoir.
De par sa formation, sa pratique et son vécu, le pasteur en sait beaucoup sur l'angoisse, le doute et l'espérance. Mais jamais il ne doit utiliser cela comme quelque chose qui le protège des autres et lui donne le moyen de prendre un ascendant sur eux. Toujours, il lui faut remettre à l'épreuve de la foi vécue intimement ce qu'il sait sur la foi en général. Et se mettre au diapason.

... aider l'autre avec sa foi.
On le sait bien, que c'est impossible. Mais c'est en le sachant qu'on peut le faire. Et finir par s'effacer : nous n'avons pas de place dans la foi de l'autre.

… être parfait, vivre dans la sainteté, et savoir faire la tarte aux pommes, y compris la version sans gluten.
Ceci dit, ça vaut le coup d'essayer, ne serait-ce que parce que c'est un excellent sujet de conversation avec vos paroissiennes qui ont toute une vie de cuisinières derrière elles, et que d'après mon expérience, Dieu se laisse approcher plus facilement quand on prend le temps de méditer, les mains dans la farine. 




mercredi 23 août 2017

Patte en poche

La main à la poche, ou la main à la pâte ? 
une réflexion sur le sacerdoce universel

Il y a (au moins) deux façons de concevoir l'appartenance à un mouvement religieux. La première, c'est d'y chercher un bénéfice, quel qu'il soit : financier (mais c'est rare), social (un meilleur statut social, l'acceptation par les pairs), spirituel (avoir le sentiment d'être en règle avec un dieu qui tient les comptes). La deuxième, c'est de rechercher le compagnonage avec des gens qui ont entendu quelque chose qui, d'une façon ou d'une autre, les a mis en route. 
Il y a aussi (au moins) deux implications à cela : d'un côté, penser qu'il faut investir quelque chose dans ce mouvement religieux : de l'argent, un sacrifice de ses relations personnelles, de ses idées propres, de ses choix humains, des sacrifices spirituels au nom d'une morale. D'un autre côté, penser qu'on va pouvoir vivre avec d'autres les implications de ce qui a été entendu. 
La Réforme a été un moment de l'Histoire où des membres de l'Eglise ont affirmé qu'elle n'était pas là pour conforter les pires instincts humains qui consistent à rechercher un bénéfice pour soi-même en se soumettant à une institution et aux intérêts de ceux qui la représentent. Il s'agissait de penser autrement les choses, pour revenir à l'essentiel : à l'écoute en commun d'une parole venue d'ailleurs, qui dit que l'Eglise est une histoire de fraternité, où chacun a sa place, avec ses talents particuliers. On peut dire cela par métaphore ; Jésus en a utilisé (les sarments sur le cep de vigne, par exemple), l'apôtre Paul aussi. Dans la première lettre aux chrétiens de Corinthe (1 Co 12,12-30), par exemple, il parle de la communauté chrétienne comme d'un corps.

12En effet, prenons une comparaison : le corps est un, et pourtant il a plusieurs membres ; mais tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps : il en est de même du Christ. 13Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. 14Le corps, en effet, ne se compose pas d’un seul membre, mais de plusieurs. 15Si le pied disait : « Comme je ne suis pas une main, je ne fais pas partie du corps », cesserait-il pour autant d’appartenir au corps ? 16Si l’oreille disait : « Comme je ne suis pas un œil, je ne fais pas partie du corps », cesserait-elle pour autant d’appartenir au corps ? 17Si le corps entier était œil, où serait l’ouïe ? Si tout était oreille, où serait l’odorat ?
18Mais Dieu a disposé dans le corps chacun des membres, selon sa volonté. 19Si l’ensemble était un seul membre, où serait le corps ? 20Il y a donc plusieurs membres, mais un seul corps. 21L’œil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi », ni la tête dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous. » 22Bien plus, même les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont nécessaires, 23et ceux que nous tenons pour les moins honorables, c’est à eux que nous faisons le plus d’honneur. Moins ils sont décents, plus décemment nous les traitons : 24ceux qui sont décents n’ont pas besoin de ces égards. Mais Dieu a composé le corps en donnant plus d’honneur à ce qui en manque, 25afin qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient un commun souci les uns des autres.
26Si un membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est glorifié, tous les membres partagent sa joie. 27Or vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part.


Personne ne peut prendre la tête : ce rôle est déjà pris, c'est celui du Christ. Personne ne peut, sans se mépriser lui-même, mépriser les autres. Personne ne peut légitimement dire que le corps n'a pas besoin de lui. Il y a une solidarité qui unit les membres de ce corps, pas parce qu'ils sont particulièrement aimables et capables de se comporter impeccablement, mais parce qu'ils ont été appelés à vivre ensemble et solidairement, chacun étant nécessaire.
Voir la communauté chrétienne ainsi, comme le fait Paul, c'est affirmer que chacun des membres de l'Eglise n'est pas là pour son pur bénéfice personnel, quitte à l'acheter en payant son écot pour ne rien devoir à personne, mais pour être avec les autres un corps vivant. C'est une métaphore bien sûr, qui permet de dire la vérité d'une expérience de l'Eglise, ce n'est pas un ordre qui consisterait à rechercher la fusion malsaine de gens qui refusent de se mêler au monde.
Comment sommes-nous une Eglise ensemble ? choisissons-nous de mettre la main à la poche pour ne pas nous engager personnellement, ou choisissons-nous d'être une main, un pied, une oreille... qui prend le risque de jouer son rôle dans ce corps vivant, tout entier à l'écoute d'une parole venue d'ailleurs ?



mardi 22 août 2017

Prière

Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Mais surtout, donne-nous l'appétit qui nous fait attendre ce pain,
Que tous les jours, un petit creux en nous vienne nous redire que nous avons faim d'autre chose.
Amen

(c) Sud Ouest

lundi 21 août 2017

Parafout'bole

- Dis-moi, mon chaton...
- Mmmmiiioui ?
- Miiaaaah ?
- Oui. D'un exégète, qui dit que les talents, il ne faut pas les entendre comme la langue française les désigne.
- ???
- Oui, en français, un talent, c'est la capacité de quelqu'un à faire quelque chose de particulier. En gros.
- Miiioui ?
- Lui, il rappelle qu'en grec, le mot n'a pas du tout ce sens-là. D'ailleurs, dans la version de Luc, il ne s'agit même pas d'un talent, mais d'une mine. Chez Matthieu, le mot utilisé, c'est talanton, ou talanta au pluriel, dérivé d'un verbe qui signifie "porter". En réalité, le talent n'était justement pas une monnaie portable, comme une pièce qu'on glisserait dans une poche. Ca, c'était plutôt la drachme, qui correspondait au salaire d'un ouvrier pour une journée. Une mine valait 100 drachmes. Le talent valait 6000 drachmes, c'est-à-dire vingt années de travail environ. Celui des trois qui avait reçu une mine, et à plus forte raison un talent, n'avait donc pas de quoi se plaindre : c'était une fortune ! Et lui est allé enterrer cet argent (métaphoriquement, parce que pour enterrer une telle somme en monnaie il aurait fallu une pelleteuse). Tu ferais quoi, toi, si on te donnait l'équivalent de vingt ans de salaire?
- Je suis un chat. Les croquettes, ça pousse pas dans les champs.
- Oui, pardon. Alors moi, je ferais quoi ? en fait comme ça, je ne peux même pas répondre, parce que j'en aurais pour des jours et des semaines à rêver à ce que je pourrais faire avant de faire quelque chose, mais ce qui est sûr, c'est que ça m'ouvrirait des perspectives effarantes sur l'avenir ! Lui, non, ça ne le fait pas rêver, ça lui fait peur. 
- Mais il est fou, ce maître, non ? ... pfffhiihihi...
- Qu'est-ce qui te fait rire ?
- J'imagine la tête des gens bien pensants qui voudraient exiger des "bénéficiaires" des minimas sociaux qu'ils rendent compte de ce qu'ils en font... ils devraient un peu lire la Bible, tiens ! 
- Mais d'où tiens-tu ta connaissance des rouages de l'humanité, mon chat ? 
- Je me tiens au courant de l'actualité.
- Ah. Ca promet.
- Miooui. Bon, et après, avec ta fortune, là ?
- Oui. Alors cette fortune, c'est ce qui met en route l'imagination, l'émerveillement, l'ouverture de tous les horizons et de toutes les audaces. La parabole nous dit que c'est une fortune inimaginable qui est donnée par Dieu à chacun, quelque chose qui n'a pas de prix, un trésor qu'il se risque à confier. Et pour chacun, tout l'enjeu est de réaliser l'immensité du cadeau, sans en avoir peur pour autant. Quand on n'a pas confiance, on a peur d'être jugé : si on n'a pas confiance en Dieu, on aura peur de faire des bêtises avec ce qu'il nous confie, et on préférera faire comme si on ne l'a jamais reçu.
- C'est paradoxal, non ?
- Quoi ? de faire comme si on ne l'a pas reçu ?
- Ben oui. M'a tout l'air que c'est ça, le jugement.

Philippe Priasso, duo pour danseur et pelleteuse





samedi 19 août 2017

Job en son malheur

"Pourquoi Dieu donne-t-il la lumière à celui qui peine, et la vie aux ulcérés ? 
Ils sont dans l’attente de la mort, et elle ne vient pas, ils fouillent à sa recherche plus que pour des trésors. 
Ils seraient transportés de joie, ils seraient en liesse s’ils trouvaient un tombeau. 
Pourquoi ce don de la vie à l’homme dont la route se dérobe ? Et c’est lui que Dieu protégeait d’un enclos !
Pour pain je n’ai que mes sanglots, ils déferlent comme l’eau, mes rugissements. 
La terreur qui me hantait, c’est elle qui m’atteint, et ce que je redoutais m’arrive. 
Pour moi, ni tranquillité, ni cesse, ni repos. C’est le tourment qui vient." (Livre de Job 3,20-26)

Jean Fouquet, Livre d'heures d'Etienne Chevalier (1450)
Musée Condé, Chantilly

Je suis un nouveau Job... Toi tu es toujours Dieu. Toi qui sais tout, qui peut tout, qui veut tout, pourquoi me laisser dans ces ténèbres ? Pourquoi me laisser souffrir dans ce corps à bout, à bout de force, à bout d’espérance ? Pourquoi, Seigneur ? Parle ! Parle...
Je te dis que je voudrais mourir et tu ne frissonnes même pas ! Je te dis que je suis terrorisé face à ce qui m’arrive et tu te tais... Mon Dieu, consens au moins à mettre toi-même un terme à mes souffrances, écrase-moi de ta main, achève mes jours... Et je me réjouirai de ce que jamais mes lèvres n’auront péché contre toi.
Si seulement j’étais mort avant d’avoir vécu ! Si seulement tu m’avais donné de mourir avant ma naissance... Je n’aurais pas connu la douceur et la tendresse, ni l’amour des miens, je n’aurais pas connu la nourriture et l’eau du ciel, je n’aurais jamais monté ma tente pour y recevoir mes amis, je n’aurais jamais contemplé le désert à perte de vue... Mais je n’aurais pas souffert et rien ne m’importe, plus rien, aujourd’hui, que de ne plus souffrir...
Pourquoi, mon Dieu ? Pourquoi m’imposer ces souffrances, cette solitude, cette déchéance ? Je ne comprends pas. J’ai si mal que mes yeux se ferment, si faim de douceur que ma peau se rétracte, si soif de paix que mes mains se tendent vers toi, mais elles restent vides, car tu te tais... Je le sais pourtant, j’en suis sûr, que tu peux mettre un terme à tout ça ! Alors pourquoi ? Pourquoi cette souffrance, et pourquoi ce silence ?
Il est terrible, ton silence, Seigneur. Hier encore je t’entendais dans le souffle de la nuit, dans le rire de mes enfants. Je te voyais parcourir les cieux et sourire sur ton serviteur. Je sentais ta force dans l’ouragan et j’imaginais que toujours, tu serais là auprès de moi. Tu veillais sur moi ; ta lampe brillait sur ma tête et dans la nuit j’avançais à sa clarté. Je ne craignais pas le chemin escarpé car je sentais ta main sous mon pied. Je sentais les pierres rouler sous mes pas, mais ta main retenait la mienne lorsque je trébuchais. Lorsque le soleil se levait, je pensais à ta splendeur. Lorsqu’il se couchait, je bénissais ton nom. A chaque instant du jour et de la nuit, ta présence m’accompagnait et chaque matin était une bénédiction, et chaque nuit un repos. Que j’aimais entendre mes enfants rire ! j’entendais le rire de Dieu. Que j’aimais voir ma femme sourire ! c’était le sourire de Dieu.
Seigneur, la douleur n’est rien. La perte n’est rien. Mais la solitude... Ne plus sentir ta présence dans ma vie, voilà ce qui est le pire dans cette vie que tu me donnes. Pourquoi ? Que t’ai-je fait pour que tu me tournes le dos ? N’étions-nous pas heureux ensemble ? Est-ce que j’ai mal fait ? Est-ce que je me suis trompé ? Est-ce que dans ma présomption, je t’ai voulu autre que tu n’es ? Je suis Job, et tu es Dieu. Est-ce que je me suis trompé ? Est-ce que je me suis pris pour toi ? Est-ce une punition parce que j’ai voulu me prendre, moi l’humain misérable, pour toi, le Dieu magnifique et puissant ? Mais non Seigneur, je ne crois pas ! Je n’ai jamais péché contre toi, je le sais bien !
Alors quoi, est-ce que je me suis trompé ? Est-ce que tu es désormais un Dieu absent ? Es-tu pour toujours silencieux ?
Et vous, vous mes amis, les théologiens qui venez me consoler aujourd’hui, pourquoi êtes-vous là ? Qui êtes-vous venus sauver ? Dieu, ou moi ? Qui voulez-vous défendre quand vous me consolez ? Vous vous êtes assis près de moi et vous vous êtes tus de douleur, pendant sept jours et sept nuits, partageant mon souffle et mon désespoir.
Ensuite vous avez commencé à me consoler, et vous n’avez qu’ajouté à mes souffrances. S’il-vous-plaît, taisez-vous. J’essaie d’entendre Dieu. Taisez-vous, il est peut-être dans la voix ténue qui passe, dans le souffle du soir. Taisez-vous, par pitié, arrêtez de me consoler ! Je n’ai pas besoin de consolation, j’ai besoin d’être seul avec Dieu. Venez être seuls avec Dieu avec moi, c’est tout ce que je vous demande. Taisons-nous ensemble.
Je suis sûr, moi, que Dieu n’a pas besoin d’être défendu. Oui sans doute, il me soumet à sa volonté. Oui il est silencieux alors que je hurle vers lui que j’attends sa parole. Oui, il se tait encore. Mais je ne veux pas d’un Dieu qui ne tient que par les humains. Je refuse un Dieu qui ne dépendrait pour son existence que des paroles de ses théologiens... 

vendredi 18 août 2017

Dieu ou idole ?

Martin Luther, lorsqu'il commente la première ligne des dix commandements, "Tu n'auras pas d'autres dieux", écrit ceci : 

Cela veut dire: c'est moi seul que tu considéreras comme ton Dieu. Qu'est-ce que cela signifie, et comment faut-il le comprendre ? Qu'est-ce qu'avoir un dieu, ou qu'est-ce que Dieu ? Réponse : Un dieu, c'est ce dont on doit attendre tous les biens et en quoi on doit avoir son refuge en toutes détresses. De telle sorte qu'avoir un dieu n'est autre chose que croire en lui de tout son coeur et, de tout son coeur, mettre en lui sa confiance. Comme je l'ai dit souvent, la confiance et la foi du coeur font et le Dieu et l'idole. Si la foi et la confiance sont justes et vraies, ton Dieu, lui aussi, est vrai, et inversement, là où cette confiance est fausse et injuste, là non plus n'est pas le vrai Dieu. Car foi et dieu sont inséparables. Ce à quoi tu attaches ton coeur et tu te fies est, proprement, ton dieu.

Grand catéchisme
commentaire du premier commandement

En hommage, bien sûr

jeudi 17 août 2017

Le risque de l'hospitalité

Il parcourait les villages d'alentour en enseignant. Ayant appelé les Douze, il se mit à les envoyer deux à deux, en leur donnant autorité sur les esprits impurs. Il leur enjoignit de ne rien prendre pour la route, sinon un bâton seulement. Ni pain, ni sac, ni monnaie de bronze à la ceinture, mais, disait-il, chaussez-vous de sandales et ne mettez pas deux tuniques. Il leur disait encore : Lorsque vous serez entrés dans une maison, demeurez-y jusqu'à ce que vous quittiez l'endroit. Et si quelque part les gens ne veulent pas vous accueillir ni vous écouter, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds, ce sera pour eux un témoignage. Il partirent, et annoncèrent qu'il fallait changer radicalement. Ils chassaient beaucoup de démons, faisaient des applications d'huile à beaucoup de malades et les guérissaient. (Mc 6,6b-13)

Si on ne vous écoute pas, n'insistez pas. Secouez la poussière restée sur vos pieds, et partez. 
Secouer la poussière restée sur vos pieds, c'est faire remarquer (assez peu subtilement) que personne ne vous a donné l'hospitalité, qui consiste à offrir l'occasion de se laver les pieds pour enlever la poussière du chemin et à donner le gîte et le couvert. C'est un geste visible, qui permet à tous les protagonistes de prendre acte du fait que l'impératif d'hospitalité n'a pas été respecté. Les voyageurs doivent reprendre la route. 
L'hospitalité, c'est toujours une histoire de confiance, un pari sur la confiance. Ceux qui arrivent doivent prendre le risque de faire confiance à quelqu'un qu'ils ne connaissent pas, en lui demandant quelque chose qu'ils ne lui rendront pas - un toit, de la nourriture, de l'eau, la paix - et donc de rester en dette envers des inconnus. Et ceux qui accueillent doivent prendre le risque de donner ce qu'ils n'ont peut-être pas en abondance, sans espoir d'y gagner quelque chose, mais avec le risque de faire entrer de potentiels ennemis chez eux. Prendre le risque de la confiance, c'est au coeur même de l'hospitalité, pour tous les protagonistes. 
C'est à ce risque-là que Jésus convie ceux qui le suivent. Le risque de l'hospitalité. En leur donnant la possibilité, si cette hospitalité ne leur est pas accordée, de le constater, de le faire constater, de ne pas s'appesantir et de continuer la route.
Nos routes humaines ressemblent à ça. Nous sommes forcés de faire confiance, dès notre premier instant sur terre. Et parfois, nous sommes trahis. Parfois, ça manque de nous tuer, physiquement ou plus subtilement. Et pourtant, être en vie, c'est forcément faire le pari de la confiance. 
Il reste à savoir comment nous vivons ce chemin. Porteurs de mots qui nous dépassent, pour annoncer autre chose que nous-mêmes ? Ou enfermés dans une coquille, bardés de notre fortune, de notre confort, avec tous les moyens modernes pour nous protéger de l'autre, et toujours infiniment méfiants ? 
Et vous pouvez toujours soupirer en disant "si j'avais (assez) la foi, ce serait possible"... ce n'est pas vrai ! Le petit bout de verset qui précède le passage ci-dessus, c'est "Jésus s'étonnait de leur manque de foi". Et c'est pourtant précisément ceux-là qu'il envoie s'aventurer à la confiance...

Bible de Luther

mercredi 16 août 2017

La grâce, la grâce, la grâce !

Vous en avez marre de ces protestants qui sautent sur leur banc comme des cabris en disant "la grâce, la grâce, la grâce !" ? Vous en avez marre qu'on vous dise que c'est Dieu qui sauve, c'est Dieu qui agit, c'est Dieu qui console, parce que vous trouvez que c'est complètement démobilisateur, et que plus personne ne voudra plus rien faire puisque ça ne sert à rien vu qu'il fait déjà tout, et même qu'il a déjà tout fait ? 
C'est vrai, c'est agaçant (enfin, si vous connaissez suffisamment le monde des Eglises, sinon ça vous laisse probablement de marbre). C'est précisément ce qui était reproché aux Réformateurs, dont Martin Luther. 
En même temps, est-ce qu'on refuse de continuer à manger parce que ça ne sert à rien, vu que demain on aura encore faim ? Non bien sûr. Ca reste utile, et même agréable, de manger, même si, au fond, ça n'empêche pas la faim de revenir et en ce sens, ça ne "sert à rien", ça ne règle rien. Au jour le jour, manger est utile et même vital, comme au jour le jour, agir dans ce monde est utile et même vital - mais nous ne sommes pas maîtres pour autant de la fin de la faim ni de l'utilité ultime de nos oeuvres. 
C'est assez libérateur, parce que ça laisse la place pour se tromper… et reprendre du gâteau au chocolat.


mardi 15 août 2017

Prière

Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Tu libères en créant,
Tu mets de l'oxygène là où il n'y en avait plus
Dans les hauteurs de ton ciel
Dans les misères et les beautés de notre terre
Tu nous donnes la liberté d'oser à nouveau
D'écouter à nouveau
De vivre à nouveau
De pardonner à nouveau
D'espérer le nouveau
D'être émerveillés à nouveau
Notre Père,
Viens nous libérer en créant toujours à nouveau,
Sur la terre comme au ciel
Amen


lundi 14 août 2017

Laïcithé au laid

Il était midi et je venais tout juste d'apprendre la nouvelle de l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo lorsque le téléphone de la paroisse a sonné. C'était un homme que je connaissais pas et qui m'a assené sans se présenter : "Alors vous êtes fière de vous ? quand on voit ça, on devrait liquider toutes les religions !"
La conversation n'a pas duré très longtemps, et il n'a jamais voulu me dire son nom. Il dénonçait quelque chose qui lui était insupportable, en appelant la première personne qui lui tombait sous la main et qui représentait une religion, en dissimulant son visage derrière l'anonymat du téléphone. Peut-être qu'il avait vécu des choses très dures à cause de la religion, peut-être qu'il était convaincu du bien-fondé de son opinion après des années de réflexion, peut-être qu'il était fou. Je n'en sais rien.
Mais je sais que la laïcité telle qu'elle a été construite, difficilement et lentement, en France, consiste justement à dire qu'il n'est pas utile de se cacher pour parler de nos convictions personnelles. Au regard de la loi, tous les citoyens sont égaux, y compris dans leur libre choix de convictions, qu'elles soient religieuses ou non. Et ils ont le droit de le montrer, et d'en parler. L'Etat, lui, garde une absolue neutralité sur tous les sujets religieux, en ne favorisant aucun culte, mais en n'en pénalisant aucun non plus. C'est du moins l'esprit de la loi.
La laïcité qui se veut pure et dure, mais qui dévoie l'esprit de la loi, demande à l'espace public de protéger les citoyens de toute exposition au religieux. Sauf que demander à quelque chose de plus grand que nous de nous protéger de quelque chose qui nous menace, c'est l'essence même de la démarche religieuse ! Il y a une façon de chercher à imposer une laïcité aveugle et sourde qui est, profondément, une démarche religieuse. L'espace public devient sacré, pur et intouchable ; les gens qui se réclament ouvertement d'une foi deviennent des hérétiques ; les responsables politiques se voient interpelés comme les gardiens d'un ordre moral nouveau... un clergé. 
Pour revenir à ce monsieur, et pour le dire en termes théologiques, il faisait la confusion entre la foi et les croyances. Il confondait foi (qui est relation avec un autre) et croyances (qui consistent à structurer une façon de penser dans une construction intellectuelle). Et oui, quand on tient tellement à sa doctrine qu'on en oublie qu'elle est au service de la relation avec Dieu plutôt que le contraire, la religion devient dangereuse, pour soi et pour les autres. Confondre croyances et foi en mettant tout dans le même sac indistinct d'une religiosité dangereuse, s'est refuser de voir qu'on a soi-même les pires penchants religieux.
Quand j'imagine ce monsieur, c'est souvent comme un de ces hommes cagoulés qui, de l'Inquisition au KKK, se croyaient autorisés à juger de la place des autres au point de les mettre à mort. Et ce que je regrette, c'est de ne même pas avoir eu le temps de l'inviter à venir m'écouter un jour au temple. Parce qu'au fond, sans même qu'il le sache, le danger qu'il pointe c'est celui qui guette tous les croyants, et je ne cesse de le dire depuis la chaire. Sauf que je prends le risque d'une parole publique, à visage découvert. 


samedi 12 août 2017

S'il avait su

Si j'avais su au début, quand j'ai commencé d'écrire, ce que j'ai maintenant éprouvé et vu, à savoir à quel point les gens haïssent la Parole de Dieu et s'y opposent aussi violemment, je m'en serais tenu au silence... Mais Dieu m'a poussé de l'avant comme une mule à qui l'on aurait bandé les yeux pour qu'elle ne voie pas ceux qui accourent contre elle... C'est ainsi que j'ai été poussé en dépit de moi au ministère d'enseignement et de prédication ; mais si j'avais su ce que je sais maintenant, c'est à peine si dix chevaux auraient pu m'y pousser.
Martin Luther, Propos de table

vendredi 11 août 2017

jeudi 10 août 2017

La grande mission

Un peu avant la fin de l'évangile selon Marc, Jésus ressuscité revient engueuler les disciples qui n'avaient pas cru à sa résurrection et, sans transition, leur donner un ordre : "Et il leur dit : Allez dans le monde entier, et prêchez l'Evangile à toute la création" (Marc 16,15, repris par Matthieu 28,16-20). Quand on évoque ce passage, on se souvient de l'ordre, plus rarement de l'engueulade qui le précède... ce qui est bien dommage, parce que cet ordre, tel que Marc et Matthieu en rendent compte, a servi de prétexte à bien des conversions forcées, massacres et autres entreprises de colonisation. C'est facile, en effet, de dire "c'est Dieu qui l'a dit, donc on a raison"... Mais en lisant aussi le verset qui précède, on se souvient que les disciples n'avaient pas du tout raison et qu'ils avaient joyeusement trahi le Christ en croyant bien faire. Donc, prudence.
Ceci étant dit, cette "grande mission", comme il est de coutume d'appeler cet ordre explicite de Jésus aux disciples d'aller prêcher au monde entier, existe bien. Il reste à savoir comment l'interpréter, histoire d'éviter de faire trop de bêtises.
Il y a deux jours, je vous parlais de Luther qui venait de découvrir comment lire les Ecritures avec l'analogie de la justice de Dieu (la justice de Dieu, c'est ce qui rend juste celui qui croit). Voici ce qu'il disait : "A l'instant même, l'Ecriture m'apparut sous un autre visage. Je parcourais ensuite les Ecritures, telles que ma mémoire les conservait, et je relevais l'analogie pour d'autres termes : ainsi, l'oeuvre de Dieu, c'est ce que Dieu opère en nous, la puissance de Dieu, c'est celle par laquelle il nous rend capables, la sagesse de Dieu, celle par laquel il nous rend sages, la force de Dieu, le salut de Dieu, la gloire de Dieu."
La justice de Dieu n'est pas pour lui, elle est pour nous. Est-ce qu'on peut essayer de tenir ferme à cette découverte de Luther, à ce renversement de perspective, y compris pour parler de la "grande mission" ? Je n'en suis pas sûre. Mais ça vaut le coup d'essayer, comme expérience de pensée. Je propose donc de renverser notre perspective sur la mission de la façon suivante : la mission, elle n'est pas pour Dieu, elle est pour nous. C'est nous qui en avons besoin. 
En ce sens, Dieu ne nous donne pas un ordre pour nous mesurer à cette aune, ni pour nous permettre de nous sentir fiers de nous si nous "amenons des âmes au Christ". Il ne nous demande pas de faire. Il nous annonce que ça arrive. Pour paraphraser Marc, ça donnerait quelque chose comme ça : "vous verrez, vous irez dans le monde entier, et vous prêcherez la bonne nouvelle, et ça sera génial, parce que c'est ça, avoir la foi !"
Si ce n'est plus un impératif moral, mais quelque chose qui arrive à travers nous, alors qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
Ca veut dire que de toute façon, nous sommes en mission : notre vie consiste à être en mission, déjà maintenant, tels que nous sommes. Ce n'est pas un truc à planifier pour quand l'Eglise aura le temps d'y penser. 
Si j'y réfléchis, c'est ce qui s'est passé dans ma propre vie. J'ai été au bénéfice de la foi d'autres personnes. Je dois ma foi à des gens qui, pour certains, ne l'ont même pas su, et souvent même à des gens qui ne se seraient jamais dits chrétiens. Mieux encore, je dois ma foi à des gens qui, en s'opposant à ce que je vivais, m'ont permis de prendre conscience à quel point ce que je vivais était réel et important. Sans eux, je ne serais pas pasteure aujourd'hui. 
Vous ne savez jamais quel effet vous aurez, et je crois que Dieu n'y tiens pas particulièrement (on en prendrait trop d'orgueil, peut-être). Mais croyez-le, vous êtes en mission, tels que vous êtes. Tu es, tel.le que tu es, vecteur de ce que tu crois, de ce qui te fait vivre, et la plupart du temps, bien malgré toi. Simplement, si tu en prends conscience, alors sois attentif : vois comment ça se déploie dans le monde, par toi et par les autres, parce qu'être humain c'est forcément entrer en dialogue, se lier par le langage avec d'autres que soi... Ce n'est plus "il faudrait faire ceci", mais "observons ce qui se passe et vivons-le vraiment". C'est profondément joyeux ! 
C'est un peu radical sans doute, mais assez libérateur, non, de voir les choses comme ça ? Nous ne modifions pas le monde par nos propres forces. Simplement, nous changeons de perspective sur le monde pour y voir Dieu à l'oeuvre. Ce n'est pas un choix qui nous est donné : c'est une annonce qui nous est faite.
Attention cependant : lire les choses comme ça, ça implique de dire que c'est le coeur de notre foi qui se transmet, plus ou moins malgré nous. Alors, notre responsabilité est d'être attentifs à cette foi, d'y réfléchir, de l'examiner. Et de ne pas cultiver, sous couvert de foi et en prenant Dieu comme excuse, des penchants inquiétants que nous voulons imposer aux autres. J'aurais assez tendance à croire que les grandes entreprises destructrices menées par les religions et les croyances, quelles qu'elles soient, ne relèvent pas tant d'une volonté mauvaise, que d'une mauvaise théologie. Dire que les femmes ou les esclaves ou les peuples dits premiers ne pouvaient pas avoir une âme, ça ne relevait pas de la foi, mais d'une mauvaise théologie... on sait les dégâts immenses et les infâmes compromissions qui en découlent.
Trop souvent, on considère la question de la mission comme une question de moyens (comment on va s'y prendre pour annoncer l'Evangile ?), alors qu'au fond, la chose la plus fondamentale et notre véritable responsabilité, c'est une question de contenu (qu'est-ce qu'on croit ?). Le reste nous est offert et ne nous appartient pas...

mercredi 9 août 2017

Prière

Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne.
Nous oublions toujours que ton règne, ce n'est pas nous qui l'imposons,
C'est toi qui le fais fleurir au milieu de nos vies.
Qu'il nous soit donné de le recevoir comme un cadeau inattendu,
Qui éclaire toute notre existence.
Amen


mardi 8 août 2017

Faut-il être juste ?

Qu'est-ce qu'être juste ? 
Est-ce de posséder suffisamment de sens moral pour pouvoir dire quelle décision éthique est la meilleure dans une situation donnée ? ou autre chose ?
Pour les chrétiens, c'est tout autre chose. C'est quelque chose de contre-intuitif et de potentiellement douloureux...
Le réformateur Martin Luther a raconté l'épisode de sa vie où cela a pris une densité toute particulière pour lui. Il explique que le terme de "justice de Dieu" lui faisait alors horreur, tant on lui avait inculqué qu'il s'agissait là de la justice qui fait que Dieu est juste, ce qui lui permet de punir les humains, qui ne le sont pas, justes. C'était une image d'un dieu vindicatif, qui a le droit de son côté, alors que les humains n'ont rien et doivent s'applatir devant lui.
A ce moment-là, Luther était moine, et se contraignait à une discipline extraordinaire pour s'assurer d'être dans les petits papiers de Dieu - sans jamais en avoir la certitude. "Hors de lui, le coeur en rage et bouleversé", il en vint à haïr "le Dieu juste qui punit les pécheurs". C'est en lisant l'apôtre Paul (dans la lettre aux Romains) que quelque chose vint le cueillir.
"Jusqu'à ce qu'enfin, Dieu ayant pitié, et alors que je méditais jours et nuits, je remarquais l'enchaînement des mots, à savoir : "La justice de Dieu est révélée en lui, comme il est écrit : Le juste vit de la foi." Alors, je commençai à comprendre que la justice de Dieu est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi, et que la signification était celle-ci : par l'Evangile est révélée la justice de Dieu, à savoir la justice passive, par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi, selon qu'il est écrit : Le juste vit de la foi. Alors, je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même."
Luther avait compris ceci : dans la foi, dans la relation avec Dieu, il ne faut pas devenir juste : nous sommes rendus justes. Boum. C'est le début de la Réforme - encore que, Luther le précise lui-même un peu plus loin, Saint Augustin l'avait déjà dit, mais là, ça va prendre des proportions incroyables. Ca prend de telles proportions, parce que ça renverse complètement notre compréhension de qui est Dieu pour nous, et nous pour lui. Ca met les choses sur la tête. Ca nous retourne.
Luther poursuit ainsi : "A l'instant même, l'Ecriture m'apparut sous un autre visage. Je parcourais ensuite les Ecritures, telles que ma mémoire les conservait, et je relevais l'analogie pour d'autres termes : ainsi, l'oeuvre de Dieu, c'est ce que Dieu opère en nous, la puissance de Dieu, c'est celle par laquelle il nous rend capables, la sagesse de Dieu, celle par laquelle il nous rend sages, la force de Dieu, le salut de Dieu, la gloire de Dieu."
Ce n'est pas pour lui-même que Dieu est juste, puissant, sage, fort, sauveur, glorieux : c'est pour nous !

Luther par Lucas Cranach l'Ancien

lundi 7 août 2017

Chat se saurait

- Pourquoi ?
- Parce que nous ne sommes pas encore au seuil de la mort, ni de la tienne, ni de la mienne.
- Mais alors, il sera trop tard.
- Soit. Alors, quel est ton talent ?
- Être chat.
- Et tu le fais bien. Il t'a manifestement été rendu en abondance.
- Et le tien ?
- Je ne sais pas. Être humaine ?
- Ttttt... copier ma réponse, même en l'adaptant, ce n'est pas répondre.
- Je sais bien. Mais d'une certaine façon, je ne pourrai répondre qu'au seuil de la mort : qu'aurai-je fait de mon talent ?
- Alors ?
- D'un côté, si je suis inquiète de ne pas en faire assez, je me laisse aller à une suractivité vide de sens. De l'autre côté, si j'ai l'impression que ça travaille tout seul, j'ai l'impression de passer à côté de mon rôle dans l'histoire. On est toujours entre le fatalisme (bof, si Dieu veut quelque chose, il peut bien le faire lui-même) et l'interventionnisme (si je ne fais rien, le Royaume de Dieu ne sera jamais là).
- Miouiiii... tu seras étonnée, sûrement, d'avoir accompli quelque chose sans même le savoir. C'est pas moi qui le dis, c'est toujours Matthieu (Mt 7,21-23).
- Tu es bien savant, mon chaton...
- OK, maintenant, en le sachant, tu pourrais consciemment me les donner, ces bonnes petites croquettes ?


samedi 5 août 2017

Le figuier stérile

Le presbytère n'a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat... c'est juste ce figuier. Mes prédécesseurs ont pris le soin de planter des arbres mentionnés dans la Bible : olivier, figuier, cèdre, vigne, et j'en passe sûrement parce que je ne suis pas douée pour le jardinage. Seulement voilà. Ce figuier, c'est un figuier dont je n'ai jamais pu déguster une seule figue. En automne, de toutes petites figues minuscules apparaissent sur les branches. Elles restent tout l'hiver sur les branches et au printemps, avec la montée de la sève, elles recommencent à grossir, puis vers le mois de mars, avant d'être mûres, elles tombent. D'autres, minuscules, apparaissent alors, jusqu'au mois de juillet, où les figues parvenues à une taille raisonnable tombent à leur tour.
Ce n'est donc pas, à strictement parler, un figuier stérile, c'est même un figuier très prolifique, surtout cette année. C'est juste que personne n'a jamais pu manger un seul de ses fruits.
Quand je passe à côté de lui, il m'arrive d'imaginer le pauvre arbre comme planté malgré lui au milieu d'un tribunal de théologiens. D'un côté, ceux qui rouspètent après le pauvre arbre, qui dénoncent son refus de remplir son destin d'arbre fruitier et porte ainsi atteinte à l'ordre de la création, qui le menacent des feux d'un enfer mérité pour avoir renoncé à chercher son salut en se conformant à son rôle ici-bas. De l'autre, ceux qui plaident pour lui laisser le temps de réaliser qu'il était déjà sauvé et que les fruits ne sauraient tarder.
La suite de cette histoire dépend de mon humeur. Si je suis en plein cauchemar et d'humeur sinistre, j'imagine les uns et les autres se bombarder de flèches assassines qui finissent par mettre le feu au figuier, ce qui résoud le problème. Si je suis de bonne humeur, j'imagine que les cendres issues de ce désastre fertilisent le sol et qu'un figuier, un jour, y poussera qui pourra donner, peut-être, des figues, ou peut-être, qui sait, servir de leçon à ces théologiens assassins.
La plupart du temps, je lève le nez vers les branches d'où ne tomberont jamais de figues comestibles, et je me dis qu'il est bon qu'il soit simplement vivant.

(c) passeurdesciences.blog.lemonde.fr

vendredi 4 août 2017

Ronge cet ôs, mais…

"Ôs", c'est un des mots les plus épatants du grec biblique. Ca veut dire "comme" ou "comme si". Et comme souvent dans les textes bibliques, c'est un de ces petits mots qui changent tout, bien plus que les "gros mots de la foi" comme résurrection, Esprit, foi, miracle, parce que ces petits mots articulent des idées entre elles pour produire quelque chose de nouveau à penser (pour le dire de façon savante, en matière d'exégèse, la grammaire est plus importante que le vocabulaire). 
Toutes les paraboles fonctionnent grâce à ce "ôs", mais aussi le livre de l'Apocalypse, dont l'auteur passe son temps à dire qu'il voit "comme" quelque chose : ce n'est jamais à prendre littéralement, mais comme une métaphore qui ouvre sur quelque chose de nouveau, d'inimaginable.
Mais il y a un truc encore plus épatant que le "ôs", c'est le "ôs mè". "", c'est la marque de la négation : "ne pas". "Ôs mè" ce serait donc "comme si ne pas". Jusque-là, on s'y perd un peu... on trouve cela sous la plume de l'apôtre Paul, dans une lettre qu'il envoie aux chrétiens de Corinthe (1 Co 7,29-31) :

"Voici ce que je vous dis, mes frères : le temps favorable ne dure pas très longtemps. A partir de maintenant, vous qui avez une femme, soyez comme si vous ne l'aviez pas; vous qui pleurez, soyez comme si vous ne pleuriez pas ; vous qui vous réjouissez, soyez comme si vous ne vous réjouissiez pas ; vous qui achetez, soyez comme si vous ne possédiez pas ; et vous qui profitez du monde, soyez comme si vous n'en profitiez pas… parce que ce monde est une caricature qui ne dure pas."

Paul appelle à distinguer le faire ou l'avoir (avoir une femme, pleurer, se réjouir, acheter, profiter du monde) et l'être. En d'autres termes, il nous invite à réfléchir à cette simple question : qu'est-ce qui fait que tu es ce qu'il est important que tu sois ? dans quoi mets-tu l'important de ta vie ? dans quel panier mets-tu les oeufs de ta vie ? S'ils sont tous dans le panier du faire ou de l'avoir, tu as de quoi t'inquiéter.
Evidemment, il y a une profonde expérience spirituelle derrière cela : Paul a découvert sur le chemin de Damas que le "faire" auquel il consacrait sa vie l'empêchait d'être fidèle à Dieu. Ironiquement, tout le "faire" auquel il avait consacré sa vie pour servir Dieu, tout le savoir qu'il "avait" sur Dieu l'empêchaient d'"être" fidèle à Dieu...
Notre identité véritable est cachée ailleurs que dans ce que nous vivons/faisons/désirons/possédons. Autre chose existe, autre chose donne du sens à ce que nous vivons/faisons/désirons/possédons. Selon Paul, ni votre état conjugal, ni votre état émotionnel, ni votre état financier et social (ni vos engagements, ni vos convictions, ni vos élans quels qu'ils soient), ne sont ce que vous êtes. Ce n'est pas la vérité de votre vie.
On reçoit comme un cadeau, dans cette vie, la possibilité de percevoir cela : au coeur même de notre vie, dans l'épaisseur de la réalité, vient se nicher un "temps favorable" où tout à coup, tout s'éclaire autrement. Et c'est un temps qui ne dure pas très longtemps, qu'il faut savoir attraper au vol - ou dont on constate, plus tard, les traces qu'il a laissées. En ce sens, paradoxalement, il "dure" plus longtemps que ne "dure" le monde dans lequel nous vivons : il a plus d'effet.
La première implication de ce que dit Paul avec ce "ôs mè", c'est un appel à relire notre vie à la lumière de notre identité véritable : faisons, mais sans croire que ça nous fait être. Faisons, mais comme si ne pas... avec un petit pas de décalage.
La deuxième implication, c'est que personne ne peut réduire qui que ce soit à son statut, à sa surface sociale, à ce qui le caractérise d'une façon ou d'une autre dans ce monde. Il ne s'agit pas de nier toutes les contingences du monde : elles existent bien. Certaines, nos joies et nos réussites, nous portent, d'autres sont pesantes et enfermantes. Mais il s'agit de ne se laisser prendre au miroir ni des unes ni des autres, car au-delà de toutes ces contingences, la réalité de nos vies, c'est qu'il n'y a plus ni homme ni femme, ni riche ni pauvre, ni migrant ni citoyen, ni légitime ni illégitime... Quel qu'il soit, profondément, tout être humain est reconnu inconditionnellement dans ce qu'il est, dans son être secret, et pas juste pour ce qu'il fait ou pour ce qu'il a.
Faites, mais ne croyez pas que là est la totalité de ce que vous êtes ! Comme si ne pas...



jeudi 3 août 2017

Une petite visite

- Une visite ? et bien… j'aime bien quand vous m'offrez le thé, madame, mais trois fois par semaine, c'est un peu trop…
- Ah oui, et puis c'est toujours trop court, quand vous venez me voir, Madame le Pasteur !
- Hmmmm… vous savez, Dieu, lui, il est toujours disponible. Moi je suis comme vous, je suis humaine.
- Ah oui mais c'est pas pareil ! et puis lui, il ne boit pas de thé. 
- Hmmmmm… 
- Allez, c'est pas grave, si vous ne pouvez pas maintenant, vous viendrez me voir pendant vos vacances ! C'est quand, déjà ?
- … 
Photo ici (clic)

Toute personne ou société citée ici est purement fictive, toute ressemblance avec des personnes ou sociétés existantes ne serait que pure coïncidence. Aucun paroissien et aucune tasse à thé n'ont été blessés pendant le tournage de cette chronique. 

mercredi 2 août 2017

Postvérité

Il y a un usage pervers du langage. Il y a des désirs de puissance qui laissent libre cours aux pires instincts humains. Dans le livre des Proverbes, un des livres de sagesse de l'Ancien Testament, on trouve ce court passage : "Il y a six choses que le Seigneur déteste, sept qui sont pour lui des abominations : les regards hautains, une langue menteuse, les mains qui se souillent du sang innocent, le coeur qui trame des projets malfaisants, les pieds qui se hâtent vers le mal, le faux témoin qui ment et celui qui déchaîne des querelles entre frères" (Pr 6,16-19).
La malveillance est un poison qui ronge sans pitié. En sortir demande un immense effort conscient. Des démarches comme celle que met en lumière la justice restaurative permettent d'avancer vers du mieux, sans laisser personne s'enfermer dans le statut de victime ni de bourreau. Il s'agit de rechercher la guérison spirituelle, pour le coupable comme pour la victime. 
Pour les auteurs du Nouveau Testament, qui écrivaient pour les membres des premières communautés chrétiennes, il fallait trouver le moyen de dire comment gérer les conflits à l'intérieur de ces communautés à la lumière de l'Evangile, pour ne pas laisser s'installer la perversion du langage, les rumeurs et les attaques gratuites qui sont le lot de toutes les communautés humaines. Matthieu, par exemple, écrit ceci :

15Si ton frère a fauté contre toi, va et reprends-le seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère. 
16Mais, s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute parole se fonde sur les dires de deux ou trois témoins
17S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Eglise ; et s'il refuse aussi d'écouter l'Eglise, qu'il soit pour toi comme un païen et un collecteur de taxes (Mt 18,15-17).

Cette démarche ne consiste pas tant à établir la justice qu'à rétablir une vérité commune. Et le pire ennemi de la vérité, c'est la parole perverse. Chercher à retrouver une parole claire qui puisse se partager, c'est compliqué. Ca oblige à regarder la vérité en face. Ca oblige à refuser le silence. Ca oblige à rechercher la compagnie d'autres que soi. Ca oblige à repenser une situation ensemble. Ca oblige à être en vérité avec soi, avec les autres. Ca exige le courage de dire "ça n'est pas vrai", et de s'y tenir. Ca refuse l'émotivité érigée en critère de la vérité. Ca refuse le secret et la manipulation comme moyens d'atteindre ses propres fins. Ca exige de cultiver l'esprit critique et le doute. Ca oblige à rechercher la justesse plutôt que la simple justice, et l'éthique plutôt qu'une morale autoritaire au service de ceux qui ont le pouvoir. 
Ca oblige à renoncer à décider par soi-même que la vérité nous appartient et qu'on peut l'imposer aux autres. Même l'Eglise - surtout l'Eglise - n'a pas le droit de décréter cela. Lorsque Matthieu dit qu'en cas d'échec dans la résolution d'un conflit, il faut considérer l'autre comme "un païen et un collecteur de taxes", ce n'est pas, comme on le croit parfois, une invitation à excommunier celui qui ne pense pas comme nous. Au contraire... ça consiste à le confier à celui qui, selon le même Matthieu, est un "ami des collecteurs de taxes et des pécheurs" (Mt 11,19)... traçant ainsi une limite à nos capacités : si nous n'avons pas été capables de retrouver un dialogue honnête et sain, ça devient l'affaire de Dieu.
Mais cela, c'est destiné à une communauté où la fraternité implique l'égalité entre les personnes. Cette aventure de la parole claire et libératrice, que Matthieu appelle de ses voeux pour l'Eglise, pour une fraternité retrouvée, est-elle possible dans la société globale ? Je crois que ce n'est pas la bonne question. Je ne crois pas que ce soit une question de possibilité - mais de choix conscient et assumé. Parce que les grandes occasions de tenir fermes à une parole claire, qui dénonce l'usage pervers du langage, sont toujours des combats... 

(c) Labor et Fides

mardi 1 août 2017

Prière

Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié.
Ton nom est comme toi : il est à l'écart
De nos idées préconçues, de nos imaginations.
Il est plus lourd que la pierre et plus léger que la plume,
Plus fort que l'épée et plus faible que l'eau.
Il est le signe qui nous engage vers toi,
L'espérance qui pointe vers toi.
Donne-nous de savoir dire ton nom 
Avec affection et confiance,
Donne-nous de savoir, pour de vrai,
Que c'est toi qui viens nous rencontrer le premier.
Amen

Le NP selon Clément Marot (16e s.)