dimanche 27 mai 2018

Commandements

Un des scribes, qui les avait entendus débattre et voyait qu'il leur avait bien répondu, vint lui demander : Quel est le premier de tous les commandements ? Jésus répondit : Le premier, c'est : Ecoute, Israël ! Le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force. Le second, c'est : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là. Le scribe lui dit : C'est bien, maître ; tu as dit avec vérité qu'il est un et qu'il n'y en a pas d'autre que lui, et que l'aimer de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c'est plus que tous les holocaustes et les sacrifices. Jésus, voyant qu'il avait répondu judicieusement, lui dit : Tu n'es pas loin du royaume de Dieu. Et personne n'osait plus l'interroger. (Mc 12,28b-34)

Le premier commandement, c’est « Ecoute, Israël ! » : ça s'adresse à plusieurs, rassemblés. Le premier commandement c’est, ensemble, d’écouter la Parole de Dieu qui se fraye un chemin vers nous. Mais il y a plus à ce premier commandement : le Seigneur, notre Dieu est UN. Nous sommes nombreux, mais lui est unique. Et c’est lui qui nous rassemble. Si nous l’oublions, l’Eglise devient un club privé pour des gens qui aiment bien se retrouver de temps en temps. La seule chose qui fonde l’Eglise, c’est de ne jamais oublier que nous sommes un peuple appelé par Dieu. Et ce premier commandement se conclut ainsi : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toute ta force. » Il n’y a pas un seul aspect de notre vie, personnelle ou collective, que nous pourrions mettre de côté dans notre relation à Dieu. C’est toute notre vie, tout notre cœur, toute notre intelligence, toute notre force, individuelle et collective, qui est appelée à être tournée vers Dieu.
Et puis il y a ce second commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce n’est pas facile, parce que c’est difficile de s’aimer soi-même, surtout lorsqu’on passe par des moments difficiles où on ne sait plus trop qui on est. Aimer l’autre, s’aimer les uns les autres, c’est pourtant le commandement évangélique auquel on pense le plus quand on pense à Jésus. Il a passé son temps à le marteler, et ceux qui sont venus ensuite ont fait en sorte qu’on ne l’oublie pas. Tous les livres du Nouveau Testament y font référence. 
Aimer Dieu, s’aimer les uns les autres : si l’Eglise oublie ça, elle n’est plus une Église. Il n’y a pas d’institution parfaite. Mais tous les dimanches, c’est le cœur de nos célébrations : aimer Dieu, s’aimer les uns les autres, c’est notre vie. Qu'il nous soit donné à tous de vivre cet amour-là, en abondance. 
Et puis il y a cette dernière phrase... "personne n'osait plus l'interroger". Dans chacun des quatre évangiles, à un moment ou à un autre, on trouve cette idée que ceux qui entourent Jésus n'osent pas le questionner. Et franchement, ça me chiffonne (quant à mon chat, curieux comme il est, je n'ose même pas lui en parler). Il y a un moment où la curiosité n'a plus de mots. Faudrait-il insister ? ou est-ce une ouverture à la réflexion silencieuse, dans les replis secrets du coeur ? Les deux sans doute : risquer la lecture toujours reprise, à l'écoute d'une voix venue d'ailleurs, et en même temps accepter le temps du silence (même vexé, même furieux), à l'écoute d'un murmure qui germe discrètement. 


jeudi 24 mai 2018

Dialogues homilétiques (3)

Quelques personnes sont en train de discuter de l'art de la prédication. La question se pose : qu'est-ce qui, de la forme ou du fond, doit être prioritaire ? Et si ce n'était pas la bonne question ?

Moderne – Si vous permettez, messieurs, je pense que vous vous trompez tous les deux. Comme le dit l'auteur Fred B. Moderne (quel nom magnifique) dans un livre sur l'art de prêcher en 1991 : « La prédication c’est tout ensemble la Parole et les mots. Celui qui nie toute relation entre ses mots à lui et la Parole de Dieu, soit par sentiment d’humilité, soit par refus d’assumer l’autorité et la responsabilité du ministère, enlève à la prédication son objet et la place qui lui revient. En revanche, celui qui, lorsqu’il prêche, identifie ses propres mots à la Parole de Dieu, se revêt du rôle qui revient à Dieu. Rien de permet de justifier cette prétention. Ce que le prédicateur doit faire, c’est se servir des mots que sa culture et sa tradition mettent à sa disposition, choisir les plus clairs, les plus vivants et les plus appropriés, les arranger de façon à transmettre la vérité et à susciter l’intérêt, et les offrir à Dieu dans son sermon. Et c’est Dieu qui façonnera les mots pour en faire sa Parole. »
Témoin – Nous touchons ici à une question théologique fondamentale, il me semble. Monsieur le Héraut affirme que la Parole de Dieu doit s’exprimer à travers le prédicateur. Madame, vous dites qu’il revient au prédicateur la tâche ô combien importante de transmettre un message aux auditeurs dans un langage qu’ils puissent comprendre. Ce qui est en débat, c’est ni plus ni moins la théologie de l’incarnation ! La Parole de Dieu ne peut pas arriver toute crue de l’extérieur de l’humain, elle lui arrive dans son humanité, par les mots qu’ils comprend. Je me souviens qu’à la grande époque de Karl Barth, Karl Rahner, le théologien catholique, parlait de la prédication comme ce qui rend explicite ce qui est déjà présent dans l’obscurité. A propos de Barth, il disait même : « Seul un protestant, théologien de la plus extrême et obscure dialectique, pourrait maintenir que la grâce divine, la rédemption, la promesse de notre libération, la lumière et l’amour de Dieu sont tellement dans l’au-delà que personne ne pourrait les expérimenter ici-bas ; bien au contraire tout discours humain, par son caractère d’absolu paradoxe, témoigne de la Parole et de la Réalité de Dieu. » En d’autres termes, il ne faut jamais oublier le contexte en matière de prédication. Toutes les choses « humaines » ont une importance, même si c’est bien le Christ qui est présent dans la prédication.
Didacticien – J’ai une citation, moi aussi ! De Heinz Zahrnt : « D’un côté, sans la [théologie barthienne] la prédication de nos jours ne serait pas si pure, si biblique, si stimulante ; d’un autre côté elle ne serait pas si dramatiquement correcte, si ennuyeusement précise et si éloignée du monde. » Ha ha ! Il n’y a pas que moi qui suis ennuyeusement précis !
Héraut – N’empêche... La foi vient par l’écoute, c’est quand même pas moi qui le dis !
L'étudiant en théologie – Et voilà, il y a toujours un moment où quelqu'un se met à citer Paul. Toujours... 

(à suivre)

mercredi 23 mai 2018

Dr Woustache

- Mon chaton, si tu pouvais voyager dans le temps, tu irais où et quand ?
- Mon humaine, si je pouvais voyager dans le temps, le monde serait bien différent.

(Parfois, il vaut mieux ne pas chercher à savoir).

(c) P. Geluck

lundi 21 mai 2018

"Il nous faut des chrétiens fous !"

Vous avez peut-être suivi, ou lu depuis, le sermon du prêtre épiscopalien Michael Curry, lors du mariage princier samedi dernier. Je vous propose ici la traduction d'un sermon prononcé par lui en juillet 2012 et dont vous trouverez le texte original ici (clic)

Aujourd'hui, nous nous souvenons de Harriet Beecher Stowe, une femme qui a manié les mots pour libérer les esclaves. Je reparlerai d'elle un peu plus tard, mais pour l'instant, je rappellerai simplement qu'en 1943-44, une pièce de théâtre lui a rendu hommage sur Broadway. Ça s'appelait "Harriet", et Helen Hayes jouait Harriet Beecher Stowe. A la fin de la pière, sa famille se tient autour de Harriet et chante "The Battle Hymn of the Republic" pour rappeler le témoignage chrétien de cette femme aussi courageuse que téméraire. Je vous rappelle certaines paroles de ce cantique : 

Dans la beauté des lys, Christ est né au-delà des mers
Porteur d'une gloire qui nous transfigure, vous et moi
Il est mort pour rendre saints les hommes, mourons pour les rendre libres
Dieu, lui, continue à venir (God is marching on)
Glory, glory, hallelujah!
Sa vérité continue à venir (his truth is marching on)

J'ai choisi comme texte pour aujourd'hui ces mots de l'évangile selon Marc (Marc 3,19-21) : "Alors [Jésus] rentre à la maison, et la foule se réunit à nouveau, à tel point qu'ils ne pouvaient même pas manger. Ayant entendu cela, ceux de chez lui (sa famille) s'en allèrent le saisir. En effet, les gens se disaient : Il est fou." 

Il y a plusieurs traductions possibles pour ce passage ; la King James Version évoque l'inquiétude de la famille de Jésus avec les mots : "Il est à côté de lui-même" (beside himself). La vieille version J.B. Phillips traduit : "Les gens disaient : Il doit être fou !" Ma préférée, dans la Contemporary English Version, dit ceci : "Lorsque la famille de Jésus entendit ce qu'il faisait, ils pensèrent qu'il était fou et ils allèrent le chercher pour qu'il soit sous contrôle". 

Pardonnez-moi de le dire ainsi, mais Jésus était, et est, fou ! Non seulement ça, mais en plus tous ceux qui choisissent de le suivre, ceux qui veulent être ses disciples, ceux qui veulent vivre et être en chemin avec lui, sont appelés, convoqués, mis au défi d'être aussi fous que Jésus ! Aujourd'hui, je veux vous dire ceci : "il nous faut plus de chrétiens fous". 

Je ne veux pas être trop rapide à juger la mère et toute la famille de Jésus. Après tout, ils avaient de bonnes raisons d'être inquiets. Nous avons lu tout à l'heure, en 1 Pierre, un passage qui fait écho à ce que Jésus enseignait dans le Sermon sur la Montage : "Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l'insulte pour l'insulte, au contraire, bénissez car c'est à cela que vous avez été appelés pour que vous héritiez de la bénédiction" (1 Pi 3,9). C'est fou. Dans la lecture de l'évangile selon Matthieu il y a quelques minutes, Jésus dit : "Le plus grand d'entre vous sera votre serviteur" (Mt 23,11). C'est fou. 

Ce que le monde dit malheureux, Jésus dit béni. Bénis les pauvres et les pauvres en esprit. Bénis ceux qui sont pleins de compassion. Bénis ceux qui ont soif et faim de l'avènement de la vraie justice de Dieu. Bénis ceux qui oeuvrent pour la paix. Bénis êtes-vous lorsque vous êtes persécutés pour avoir essayé d'aimer et de faire le bien. Jésus était fou. Il disait "Aimez vous ennemis, ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous utilisent avec malveillance". Il était fou. Il priait pendant que les gens l'assassinaient : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font." Ça, c'est complètement fou.

Il nous faut des chrétiens qui soient aussi fous que le Seigneur. Assez fous pour aimer comme Jésus, pour donner comme Jésus, pour pardonner comme Jésus, pour faire justice, pour aimer la compassion, pour marcher humblement avec Dieu - comme Jésus. Assez fous pour oser changer le monde, du cauchemar qu'il est souvent, en rêve que Dieu rêve pour lui. Et pour ceux qui veulent le suivre, pour ceux qui veulent être ses disciples, ceux qui veulent vivre et le suivre sur le chemin ? Ça sera peut-être un choc pour vous, mais nous sommes appelés à la folie. 

Laissez-moi vous parler d'un exemple de cette folie dans le Nouveau Testament : Marie de Magdala, Marie-Madeleine. Pour une raison ou pour une autre, on lui fait souvent une sale réputation. Mais rappelez-vous de la crucifixion de Jésus. L'empire romain crucifiait les gens pour des crimes contre l'État. C'était une torture publique, une peine capitale volontairement brutale, une exécution destinée à faire passer le message que la révolution et les révolutionnaires ne seraient pas tolérés. Si vous étiez un proche ou un disciple d'une personne qui se faisait crucifier, il n'était pas prudent de rester trop près lors de la mise à mort. La seule chose sensée à faire, c'était d'aller se cacher ou de partir en exil. 

Ceci étant dit, faisons le compte de ceux que Jésus avait appelés à le suivre : Simon Pierre ? absent. Jacques ? absent. André ? absent. Barthélemy ? absent. Thomas ? absent. Judas ? vraiment absent. Marie-Madeleine ? présente et bien présente ! Voilà ce qu'est une disciple ! Lorsque les esclaves chantaient "Were you there when they crucified my Lord?" ("étiez-vous là, lorsqu'ils ont crucifié mon Seigneur ?"), il y avait cette femme, Marie, qui pouvait vraiment répondre "J'étais là !" Ça, c'est vraiment fou ! 

Ça peut paraître évident, mais nous avons un jour spécial pour nous souvenir des chrétiens fous. Je crois que ça s'appelle la Toussaint, le jour de tous les saints. Ça ne s'appelle pas "le jour des gens tous pareils", c'est le jour de tous les saints, parce que, même s'ils sont faillibles et mortels et des pécheurs comme le reste d'entre nous, lorsqu'il le fallait, ceux que nous honorons comme des saints ont commencé à marcher au son d'un autre tambour. Durant leur vie, ils ont fait quelque chose qui comptait pour le royaume de Dieu. Comme vous le savez, nous sommes en train d'écrire un livre qui servira à nous souvenir d'eux ; nous l'avons appelé "Saintes femmes, Saints hommes", mais on aurait tout aussi bien pu l'appeler "Les chroniques des chrétiens fous".

Une des personnes que nous célébrons dans ce livre est Harriet Beecher Stowe, une descendante de Marie-Madeleine. Elle est née en 1811, dans une famille pieuse consacrée à l'Évangile de Jésus et à la transformation d'un monde, du cauchemar qu'il est trop souvent, en un rêve que Dieu prévoit pour lui. Elle est surtout connue pour un ouvrage de fiction, La cabane de l'oncle Tom.

Dans cette fiction, elle disait la vérité. Elle raconte l'histoire de la façon dont l'esclavage accablait une famille, accablait des vrais gens. Elle dit la vérité sur la brutalité, l'injustice, l'inhumanité de l'institution de l'esclavage. Son livre a eu le même rôle que les vidéos sur YouTube qui rapportent les injustices et les brutalités d'aujourd'hui. Il est devenu viral au 19e siècle. Il a permis aux abolitionnistes de faire front commun et il a rendu fous de rage ceux qui avaient un intérêt personnel à ce que l'esclavage existe. L'influence de ce livre a été si grande que lorsque Abraham Lincoln a rencontré Harriet Beecher Stowe, il aurait dit "Voilà donc la petite dame qui a commencé cette grande guerre !"

Une femme de cette époque était supposée écrire de gentilles petites histoires, pas des histoires qui allaient perturber la conscience de toute une nation. Elle était supposée bien se marier, élever des enfants bien élevés, participer à quelques activités charitables et devenir un doux souvenir pour tous ceux qui l'avaient connue. Voilà quelle vie elle était supposée vivre. Mais elle était née dans une famille qui croyait que suivre Jésus signifiait changer le monde, du cauchemar qu'il est souvent, en rêve que Dieu a prévu. Et ça signifie parfois marcher au son d'un autre tambour. Parfois, ça implique de se préoccuper de quelque chose ou de quelqu'un alors qu'il est tentant de s'en détourner, ou de se lever alors que les autres s'assoient. Parfois, ça signifie parler alors que les autres se taisent. Parfois, ça signifie être différent, ou même fou. 

Lorsque Steve Jobs, un des fondateurs d'Apple, est mort l'an dernier, une vieille publicité pour Apple des années 90 est devenue virale sur YouTube. Elle était sortie en 1997 pour essayer de redéfinir la marque. Le slogan pour cette pub et pour la marque, c'était "Think different" ("Pensez différent"), une expression grammaticalement incorrecte, ce qui est justement le but de la manoeuvre, au moins en partie. On y voit un montage de photos et de bouts de films de gens qui ont consacré leur vie à inventer, inspirer, créer et se sacrifier pour rendre le monde meilleur, pour faire une différence. On y voit Bob Dylan, Amelia Earhart, Frank Lloyd Wright, Maria Callas, Muhammad Ali, Martin Luther King Jr., Jim Henson, Albert Einstein, Pablo Picasso, Mahatma Gandhi, et bien d'autres. Pendant que les images défilent, on entend ce poème : 

"Pour tous ceux qui sont fous. Les inadaptés. Les rebelles.
Les fauteurs de troubles. Ceux qui ne rentrent pas dans les cases.
Ceux qui voient les choses autrement. Ceux qui n'aiment pas les règles du jeu.
Ceux qui détestent le statu quo.
Vous pouvez les citer, les dénigrer, les glorifier ou les vilipender.
La seule chose que vous ne pouvez pas faire, c'est les ignorer.
Parce qu'ils font changer les choses.
Ils poussent la race humaine vers l'avenir.
Certains voient y des fous, nous voyons du génie.
Parce que ceux qui sont assez fous
pour croire qu'ils peuvent changer le monde
sont ceux qui le font."

Il nous faut des chrétiens fous. Le christianisme sain, aseptisé, est en train de nous tuer. Ça marchait peut-être à une époque, mais il n'y a plus d'Évangile là-dedans aujourd'hui. Il nous faut des chrétiens fous, comme Marie-Madeleine et Harriet Beecher Stowe. Des chrétiens assez fous pour croire que Dieu est bien réel et que Jésus est bien vivant. Assez fous pour s'engager sur le chemin radical de l'Évangile. Assez fous pour croire que l'amour de Dieu est plus grand que tous les pouvoirs du mal et de la mort. Assez fous pour croire, comme le disait souvent Martin Luther King, que "the arc of the moral universe is long, but it bends toward justice" ("l'univers moral fait une courbe très longue, mais qui tend vers la justice").

Il nous faut des chrétiens assez fous pour croire que les enfants ne sont pas obligés d'aller se coucher le ventre vide ; que le monde n'est pas obligé d'être comme il est trop souvent ; qu'il y a moyen de poser nos épées et nos boucliers au bord de l'eau et que, comme les esclaves le chantaient, "il y a plein de place dans le royaume de mon Père", parce que tous les êtres humains ont été créés à l'image de Dieu, et que nous sommes tous à égalité des enfants de Dieu qui doivent être traités en enfants de Dieu. 

Dans la beauté des lys, Christ est né au-delà des mers
Porteur d'une gloire qui nous transfigure, vous et moi
Il est mort pour rendre saints les hommes, mourons pour les rendre libres
Dieu, lui, continue à venir
Glory, glory, hallelujah!
Sa vérité continue à venir !


dimanche 20 mai 2018

Pentecôte

Aujourd'hui, nous célébrons le souffle de l'Esprit. C'est le jour des confirmations (et je pense tout particulièrement à ceux que j'ai pu accompagner à cette occasion), c'est le jour d'une communion renouvelée. Il y a des textes "classiques" qui sont lus aujourd'hui, et d'autres un peu moins, comme celui-ci, à la fin de la lettre de Paul aux Galates :

"Celui qui sème pour satisfaire ses propres intérêts récoltera les fruits pourris de ses propres intérêts ; celui qui sème pour l'Esprit moissonnera, par l'Esprit, la vie éternelle. Ne nous lassons pas de faire le bien : en restant solides, au moment voulu, nous moissonnerons. Aussi, pendant que nous en avons encore l'occasion, faisons le bien pour tous, surtout pour ceux qui nous sont proches par la foi." (Ga 6,8-10)

Pouvoir faire le bien, c'est un cadeau qui nous est fait : c'est savoir que nous sommes libres de semer autour de nous l'amour plutôt que la haine, la bienveillance plutôt que la malveillance, le soin de l'autre plutôt que le soin de soi-même. C'est une liberté qui n'est pas donnée à tous le monde. C'est une liberté fragile, parce que nous sommes souvent tentés de la vivre à l'envers, en essayant de l'acheter plutôt que d'en vivre comme un cadeau. C'est une liberté qui doit s'exercer, comme un muscle, pour ne pas disparaître. Aujourd'hui nous disons que l'Église est ce lieu où nous pouvons exercer ce muscle-là, expérimenter concrètement ce que signifie l'amour reçu et partagé, pour pouvoir s'y risquer plus loin aussi. "Faire le bien", ça peut alors s'entendre comme une oeuvre d'art, quelque chose de beau qui vient interpréter le monde pour lui donner de nouvelles couleurs, pour pouvoir le comprendre autrement, ouvrir de nouvelles portes et de nouvelles fenêtres. 
Nous en avons encore l'occasion : au coeur du monde qui est le nôtre, du temps qui est le nôtre, nous pouvons goûter à la vie éternelle lorsqu'elle surgit. 
Que chacun et chacune reparte aujourd'hui avec au coeur la flamme d'une espérance qui ne s'éteint pas... 


samedi 19 mai 2018

Dialogues homilétiques (2)

Six protagonistes plus un étudiant en théologie sont en train de discuter le bout de gras sur ce qu'est la prédication et comment on doit la faire, la penser et la présenter. 

Conteur – Une seconde ! Vous dites que la forme n’a aucune importance ? Mais si les auditeurs ne comprennent rien, la prédication n’a aucun sens !
Pasteur – Moi j’ai une autre objection : si je comprends bien votre citation de Bonhoeffer, vous dites qu’on n’a pas le droit d’avoir des projets pour ses auditeurs ? Est-ce que vous entendez par là qu’il ne faut pas tirer de leçons du texte biblique ?
Héraut – Il ne faut pas oublier que c’est Dieu qui parle dans la prédication. Si c’est le prédicateur, avec des projets pour lui-même ou pour les autres, où est la place de Dieu ? La seule question, c’est de savoir si le sermon est un reflet fidèle de la Bible. Quand j’écris un sermon, j’écoute le texte pour annoncer la Parole, fidèlement et en vérité, à moi-même comme aux autres. Faire des manières pour rendre le sermon plus vivant ou plus convaincant, c’est se méfier du message divin. C’est prétendre que nous pourrions améliorer le langage de Dieu.
Témoin – Vous voulez dire qu’il est interdit de réarranger quelques mots du sermon pour que la Parole de Dieu devienne plus claire ?
Héraut – Pour moi, ce qui compte c’est l’écoute et l’obéissance à la Parole de Dieu. Je suis à son service. J’ai un message à délivrer qui vient d’un autre que moi. Il nous est promis que Dieu est présent lorsque sa parole est fidèlement prêchée et je m’appuie entièrement sur cette promesse. Tout ce que je dois faire, c’est accompagner le chemin de la Parole vers la communauté, comme dirait Bonhoeffer. Ou pour citer Karl Barth, c’est Dieu qui dit le premier et le dernier mot. Le prédicateur a une fonction prophétique : il porte la Parole de Dieu, c’est tout. C’est déjà beaucoup !
Pasteur – Mais enfin, il faut bien que les gens repartent avec des idées précises sur ce qu’ils doivent faire après avoir entendu la Parole de Dieu !
Héraut – Monsieur, vous blasphémez. A mon époque, on n’aurait jamais entendu des choses pareilles de la part d’un prédicateur. La prédication doit avoir du contenu, un contenu profondément biblique et théologique, un contenu vital. Il n’a rien à voir avec des considérations moralistes ou ces petites anecdotes triviales dont les prédicateurs d’aujourd’hui encombrent leur prose ! D’ailleurs c’est ça le problème : ils considèrent que c’est leur prose, et pas celle de Dieu ! Le pire, c’est que certains prédicateurs mesurent l’efficacité de leur prédication au charisme qu’on leur trouve ! Mais soyons clairs : personne n’exclut que la prédication puisse contenir un appel à une décision personnelle de la part de celui qui écoute. Mais cette décision a lieu uniquement entre l'humain et Dieu. Ce n'est pas un élément de la prédiccation. Et il n'est pas question non plus de rendre esthétique la vérité de Dieu, avec des histoires gentillettes, des images ou des effusions sentimentales. Le kérygme, c'est-à-dire l'annonce de la Bonne Nouvelle claire, nette et précise, et rien d’autre, voilà ce que je dis. Ça demande d’être à l’écoute du texte et de Dieu. Ça demande du courage.
Conteur – Vous critiquez les embellissements narratifs. Mais vous ne pouvez pas nier que la Bible a été écrite pour être lue à haute voix. Ce sont des textes qui captivent leur auditoire. Et vous, vous dites que la prédication ne doit s’appuyer sur aucun artifice rhétorique ou aucun effet de style ? Mais c’est le texte biblique lui-même qui est conçu pour toucher les gens ! Ce n’est jamais un message tout cru, un message pur ! 
Moderne – Si vous permettez, messieurs, je pense que vous vous trompez tous les deux...

(à suivre)

vendredi 18 mai 2018

Method+Madness (l'art du déménagement)

- Bon, mon humaine, c'est pas bientôt fini ce bazar ? Quand est-ce qu'on retrouve notre vie normale ?
- Mon chaton, je déteste avoir à te dire ça, mais nous sommes au beau milieu d'un déménagement, et la vie normale n'est pas près de revenir. En réalité, c'est même le but de la manoeuvre. 
- Mais c'est complètement humain !
- Ne sois pas désagréable, je te prie. 
- Mais enfin, tu es en train de me dire que tu ne vas pas remettre mon fauteuil à sa place, ni mon coussin, ni la coupelle où je lappe délicatement, ni...
- Non.
- (...)
- On s'en va, mon chaton. On quitte cette maison pour aller dans une autre. Mais ne t'inquiète pas, j'ai prévu l'emplacement pour ton fauteuil, ton coussin, ta coupelle et tout le reste. 
- Mais c'est fou ! c'est complètement fou ! 
- Mon chaton, je te l'accorde. C'est quitter ce monde pour en découvrir un autre. Lâcher la proie pour l'ombre. Faire le pari qu'on peut vivre aussi de l'autre côté. Ça paraît fou, mais la folie de... 
- Attends une seconde, tu n'en profiterais quand même pas pour faire passer un léger message théologique, des fois ?
- Moi ? mais non. Penses-tu. 
- Je suis outré. 
- Ecoute, penses-y comme ça : nous, on met tout en cartons. On décide des dates, on s'organise pour faire le ménage avant de partir, on prévoit les trajets, les étapes, on s'inquiète pour les choses fragiles, on prend des décisions décisives sur la nécessité de garder des agendas vieux de 20 ans, et puis il y a un moment où il faut lâcher l'affaire et laisser faire. 
- Je suis pas doué pour ça. J'exige ma coupelle immédiatement.
- ... Bon, je vais la chercher. Mais dans une semaine, si tu veux voyager avec elle, tu seras dans le carton. 
(J'ai aussi ressorti le coussin. Et le fauteuil.)

Grâce et paix...

jeudi 17 mai 2018

Quitter un ministère

Quitter un ministère, même temporairement, c'est...
Regretter la fin du chemin où nous avons connu de grands moments, des célébrations importantes, des temps communautaires où nous étions vraiment en communion, la joie de l'accueil des nouveaux baptisés. 
Admettre qu'on a le droit d'être déçus les uns des autres, et que ça ne remet pas en question le lien plus profond qui existe en dehors de nous et qui nous rassemble autour d'une même table, à l'écoute d'une même Parole.
Regretter la fin des petits moments, des rires, des connivences, des compréhensions partagées, des risques pris à se livrer en confiance.
Accepter que les liens tissés, parfois, se distendent, s'estompent, disparaissent, pour laisser de la place à de nouveaux liens, de nouvelles façons de comprendre et d'écouter une Parole venue d'ailleurs.
Avoir des regrets, mais ne pas s'y accrocher. Accepter d'encaisser des reproches immérités. Secouer la poussière de ce qui n'en valait pas la peine. Mais surtout, écouter les remarques qui font réfléchir et changer dans la joie.
Comprendre qu'il n'est plus temps de parler en paraboles, mais de se dire au-revoir, à-Dieu.
Rêver aux paraboles sur lesquelles on n'a pas encore prêché. Se dire que notre vocation nous invite à être, nous aussi, des semeurs.
Avoir foi de ce que le temps de la germination soit long et ne dépende pas de nous ; le Royaume est une graine qui doit tomber en terre, germer et se développer en secret avant de percer et de porter du fruit. Nous ne sommes pas là pour la récolte.
C'est tout petit, ça a l'air de rien, mais ce qui a été semé deviendra, d'une façon qui nous échappera toujours, une plante immense, lieu de repos, de protection, de partage pour d'autres.
Se dire qu'on est en partance pour des arbres déjà plantés par d'autres.

Van Gogh, Le Semeur

lundi 14 mai 2018

Dialogues homilétiques (1)

Qu'est-ce qu'une prédication ? 
Pour les protestants, la prédication c'est le coeur du culte, ou l'un des deux coeurs lorsqu'il y a Sainte Cène. C'est ce moment où, après avoir lu un ou des textes bibliques, le prédicateur ou la prédicatrice, pasteur ou non, prend la parole pour évoquer la Parole. Ce n'est ni une explication de texte, ni un commentaire moralisant, ni un prétexte pour prêcher autre chose que la Parole elle-même. Mais quand on a dit ça... on n'a pas encore dit ce que c'était. 
D'où la série de billets qui commence aujourd'hui et que j'ai intitulée "Dialogues homilétiques" (homilein c'est du grec, ça veut dire littéralement cheminer avec, ça a donné homélie ; l'adjectif homilétique désigne donc ce qui touche à la prédication). Vous y rencontrerez quelques personnages que je vous laisse découvrir au fur et à mesure : la Moderne, le Didacticien, le Héraut, le Conteur, le Pasteur et le Témoin. Il y traîne aussi un Étudiant en théologie, pas aussi naïf qu'il en a l'air. Ces dialogues ont été utilisés dans le contexte de la formation de futurs pasteurs et de prédicateurs laïcs et sont la fictionalisation de l'ouvrage de Thomas G. Long, Pratiques de la prédication : positionnements, élaborations, expériences, traduction Bruno Gérard, Genève, Labor et Fides, 2009. 

Roulement de tambour... on y va.

Didacticien – Un sermon, ça doit être ordonné. Il faut que ça explique quelque chose sur la Parole de Dieu. Les gens ont besoin d’apprendre ! D’ailleurs à mon époque, tout le monde dans nos temples connaissait la Bible, ils n’avaient pas besoin qu’on leur rappelle les textes, mais qu’on leur explique ce qu’ils signifient. A eux, ensuite, de prendre la responsabilité d’en tirer les conséquences. Pour moi, la forme idéale du sermon, c’est une thèse et un développement en trois points.
Moderne – Une thèse et trois points, quatre raisons de se réjouir !
Didacticien – Je vois, on a recours à l’ironie. Et moi qui croyais que c’était un débat sérieux. C’est sérieux, le sermon, Madame !
Moderne – Oui bien sûr, c’est sérieux... loin de moi l’idée de me moquer de vous, cher Monsieur. Si vous permettez, je vous dirai tout à l’heure ce que j’en pense. Pour l’instant, expliquez-nous un peu comment vous faites, vous.
Didacticien – Le prédicateur est un ministre de l’Eglise, il a pour fonction particulière de sortir des bancs de l’assemblée pour parler. Il a été formé pour ça. C’est lui qui dispose des outils méthodologiques et des connaissances nécessaires pour expliquer un texte. Il agit au nom du Christ pour faire advenir la Parole de Dieu pour la communauté. Au travers de la prédication, Christ est présent dans l’Eglise, avec l’Eglise, pour l’Eglise ; au travers de la prédication, Christ est présent dans le monde, avec le monde. Tout ça s’articule entre la communauté, le prédicateur, le sermon et la présence du Christ. Et pour que la communauté soit bien consciente de tout cela, le prédicateur a pour fonction d’enseigner à la communauté la façon correcte d’entendre le texte. Moi, je fais ça en déterminant ce qui est important à apprendre dans un texte et en le défendant en plusieurs points. 
Héraut – C’est vrai, ce qui se dit dans le sermon c’est la Parole de Dieu. Mais je vous trouve bien léger en disant qu’il faut la défendre... de quel droit devons-nous défendre la Parole de Dieu ? Pour citer mon maître, Karl Barth, « la prédication est un discours humain dans lequel et au travers duquel Dieu lui-même parle, comme un roi par la bouche de son héraut : elle doit être écoutée et reçue [...] dans la foi, comme une décision divine qui vient trancher entre la vie et la mort, comme un jugement divin et un divin décret de grâce, comme la loi éternelle et l’évangile tout ensemble ». 
Didacticien – On est d’accord, le but de la prédication est de rendre présent le Christ, mais on n’en tire pas les mêmes conséquences. Pour vous, prêcher est une activité divine plutôt qu’un effort humain.
Héraut – En effet : pour moi, la communication se fait de Dieu vers la communauté, à travers le prédicateur. Mais c’est la Parole de Dieu elle-même qui se fraye un chemin ! Il ne faut jamais oublier que le but de la prédication, c’est d’annoncer le règne de Dieu, contre toutes les puissances et contre les principes de la culture. J’ai l’impression que pour vous, il faut travailler sur les principes mêmes de la culture qui empêchent d’entendre la Parole de Dieu.
Didacticien – On ne peut pas oublier la culture...
Héraut – Bien sûr, et le prédicateur est profondément responsable de la qualité de sa prédication. Mais ce n’est pas la forme qui importe, jamais. Je pense à ce que disait Bonhoeffer : « Le théologien ne peut pas apprendre à parler auprès du politicien ou de l’acteur [...]. Notre langage doit être préparé jusque dans la formulation, sans qu’il devienne pour autant une déclamation. Il y perdrait sa véracité et son naturel [...]. Celui qui, selon d’autres normes, peut être un mauvais orateur, mais qui prêche selon le don qu’il a reçu, peut exercer, et exercera, une grande influence spirituelle. Qu’on ne choisisse pas le langage du tribun, qui veut persuader ses auditeurs, ni celui de l’éducateur populaire, qui subordonne ses paroles à des projets. »
Conteur – Une seconde ! Vous dites que la forme n’a aucune importance ? Mais si les auditeurs ne comprennent rien, la prédication n’a aucun sens !
Pasteur – Moi j’ai une autre objection...

(à suivre...)

Jean le baptiste prêchant dans le désert (Fontebuoni)

samedi 12 mai 2018

70 x 7

- Mon humaine, j'ai encore une question sur le pardon.
- Encore ?
- Oui. C'est tout humain : est-ce que vous pouvez pardonner à quelqu'un qui n'a pas demandé pardon ?
- Quelqu'un qui ne reconnaît pas qu'il a fait quelque chose de mal à quelqu'un d'autre, tu veux dire ?
- Oui. Si pardonner c'est juste passer l'éponge, faire comme s'il ne s'était rien passé, et que personne ne le sait qu'il y a eu pardon, même pas l'offenseur, est-ce que c'est vraiment du pardon ? C'est pas juste du masochisme ? 
- Pourquoi du masochisme ? 
- Apparemment, tous les humains disent et font des choses qui dépassent leur volonté et ils se blessent les uns les autres sans, au fond, le vouloir. Et si je comprends bien, pour vous les humains, ce qui fait la différence, c'est que vous êtes éduqués à ne pas en rester là, mais à accepter d'admettre que du mal a été fait, que quelqu'un a été blessé, et qu'on ne peut pas en rester là. C'est ce qui vous sauve, si je puis me permettre, d'un destin de carpettes. 
- Je ne suis pas sûre de comprendre, mon chaton.
- Regarde moi, avec le chat de l'humain d'à côté.
- Jules César ?
- Oui, Jules. Quand on se voit, on se pourrit sévère...
- Mais où vas-tu chercher ce vocabulaire, mon chaton toujours étonnant ?
- ... et je peux te dire qu'en version non sous-titrée, c'est encore pire. Après, on se tape dessus et on se mord, et après, chacun retourne chez soi et on fait semblant de s'ignorer. On le sait, qu'on se déteste, on ne va pas faire semblant sous prétexte qu'il faut pardonner. C'est pas demain la veille qu'on va ronronner de concert devant un feu de bois, tu vois ce que je veux dire ?
- Je ne vois toujours pas où tu veux en venir. 
- Bon, alors on va prendre un langage que tu comprends. Tiens, chez Matthieu : "Alors Pierre s'approcha et lui dit ; Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu'à sept fois ? Jésus lui dit : Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois." (Mt 18,21-22). Donc faut faire la carpette, c'est bien ce que je disais et ça me pose problème.
- Sérieux ? Tu joues à découper les textes bibliques en petits morceaux, toi aussi ? Je croyais que tu étais un peu plus sophistiqué que ça, quand même...
- Eh oh, me traite pas de sophistiqué, hein ? Je veux dire... enfin...
- Enfin bref. Tu fais ce que tu critiques mon chaton, tu utilises le texte biblique pour prouver quelque chose. Mais soit. Si tu lis juste ce petit bout, en effet, il faut faire la carpette. Et même encore plus que tu ne crois, parce que pour ceux qui interprétaient la loi à cette époque-là, pardonner trois fois c'était le maximum de ce qu'on pouvait exiger. Pierre, qui a bien compris à qui il avait affaire, a senti que trois fois c'était pas tant que ça, alors il propose sept fois (il a une petite tendance bon élève, Pierre, par moment). Seulement il n'a en réalité pas compris. Et Jésus, pour le lui faire comprendre, lui donne un chiffre complètement fou : 70 x 7. Quel humain peut faire une chose pareille ? Quel humain est capable de laisser son frère revenir vers lui plusieurs centaines de fois et lui accorder son pardon à chaque fois ? Aucun. Et c'est bien là qu'est la bonne nouvelle : le pardon tel que Jésus le demande est impossible aux humains
- Euh...
- Impossible aux humains mais possible à Dieu. D'ailleurs si tu regardes la suite du texte, il y a une parabole qui parle du pardon de Dieu, pardon infini qui en appelle à un pardon fabuleux. Bon, la parabole ne se termine pas très bien... mais c'est bien la pointe du texte. Si tu pardonnes pour obéir à un chiffre, à un ordre qui pèse sur toi, tu ne pardonnes pas vraiment. Si tu pardonnes parce que tu sais que Dieu a souhaité rétablir la relation avec toi en laissant aller toutes les choses qui agressent la relation entre toi et lui, alors tu peux imaginer faire la même chose et choisir de rétablir la relation avec ton frère (ou ta soeur, bien sûr). 
- Alors le pardon est impossible, mais parce que Dieu pardonne, tu peux espérer qu'il devient possible ? C'est ça que tu dis ?
- Non, moi je suis humaine, je ne dis pas ça... mais je peux faire confiance à Jésus lorsqu'il le dit, parce que je crois qu'il me parle d'un amour plus grand que tous les amours du monde cumulés, et que ça ouvre autre chose, d'autres horizons. 
- Je suis toujours dubitatif.
- Tu as raison de l'être. Mais regarde, surtout, le texte qui précède immédiatement le passage que tu citais. C'est Jésus qui parle : "En vérité, je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel. Je vous le dis aussi : si deux d'entre vous, sur la terre, se mettent d'accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux." Il y a quelque chose qui relie le "sur la terre" et le "au ciel". C'est une histoire d'être liés et déliés, d'être en relation ou pas, de demander ensemble ou pas. Le pardon n'arrive pas dans un vide intersidéral, il arrive dans une relation vivante sur la terre, qui a quelque chose à voir avec une relation vivante au ciel.
- C'est fort mystérieux.
- Absolument. Et si tu remontes encore le texte, tu verras que c'est là que se trouvent les indices, comme des panneaux du code de la route, pour régler les conflits dans une communauté de foi en rendant publique l'offense si l'offenseur refuse de demander pardon, mais on en a déjà parlé
- Alors le pardon, ce n'est pas une recette à appliquer, c'est ça que tu veux dire ? Ça n'a de sens, pour Jésus, que si on n'oublie pas que les liens entre humains ont à voir avec le lien avec Dieu ?
- Oui, en gros c'est ça. Entre deux humains, on peut laisser aller ce qui a fait mal, comme Dieu laisse aller ce qui a blessé notre relation avec lui. Le but, c'est toujours de pouvoir vivre à nouveau une relation vivable. Ce n'est pas un ordre à respecter pour gagner son paradis. Le paradis, il est déjà gagné et c'est pour ça qu'on peut pardonner... 
- Alors si un bourreau dit à une victime : "bon, maintenant tu me pardonnes", il n'a rien compris ? 
- Non. Rien.
- Mais si la victime choisit de pardonner ? 
- Alors elle fait le pari de se souvenir de l'amour infini de Dieu pour elle, et cet amour remet debout, redonne de la dignité, rend l'indépendance et l'autonomie qui avaient pu, peut-être, disparaître. Alors j'aime à penser qu'elle ne se laissera plus faire. 
- Tu rêves, mon humaine...
- Oui mon chaton. Je rêve. 

Remise de dette égyptienne

mardi 8 mai 2018

Lumière du monde

C'est bien joli, de dire que Jésus-Christ est la lumière du monde, mais ça veut dire quoi ?
Ca veut dire, d'abord, qu'il vient montrer les ténèbres. Une source de lumière dans un monde lumineux n'a aucun intérêt et ne se voit même pas. Souligner que Jésus est "lumière", c'est souligner que le monde est sombre. 
Jésus décrit ainsi à Nicodème le jugement de Dieu sur le monde : 
La lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leur manière d'agir était mauvaise. En effet, toute personne qui fait le mal déteste la lumière, et elle ne vient pas à la lumière pour éviter que ses actes soient dévoilés. Mais celui qui agit conformément à la vérité vient à la lumière afin qu'il soit évident que ce qu'il a fait, il l'a fait en Dieu.
Le jugement de Dieu, c'est de constater que les humains se sont, au fond, jugés eux-mêmes en se réfugiant dans l'obscurité pour que personne ne puisse voir leur noirceur. Le jugement de Dieu, c'est d'offrir sa lumière et la chance d'y entrer librement, sans crainte. C'est le courage offert de se risquer à se voir tel qu'on est vraiment, sans faux semblant. C'est, toujours, un risque à prendre : celui de se voir moins parfait qu'on espérait, celui de ne plus compter sur sa propre sainteté pour espérer gagner quelque chose. C'est le risque de l'honnêteté avec soi-même et avec Dieu (et soyons honnêtes, nous les humains ne sommes pas très doués pour ça).
C'est aussi un repère éthique, d'une certaine façon. Si nous savons que nous sommes attirés par les ténèbres pour y cacher notre noirceur, nous savons aussi que notre seule boussole, c'est le refus de ce qui nous attire vers les ténèbres. Alors, impossible de dire que les fins justifient les moyens. Le mensonge, la dissimulation, la manipulation se voient pour ce qu'ils sont : ce qui nous ramène insidieusement aux ténèbres. 
C'est une boussole intime et infiniment fragile, parce qu'elle n'est pas un chemin tout tracé vers le bien. Ce n'est pas un catalogue de choses à faire ou à ne pas faire. Plutôt, nous cherchons à orienter notre action en cherchant à "faire en Dieu". C'est-à-dire, en étant inspirés par l'amour qui anime Dieu envers ses créatures. Sans manipulation et sans mensonge, mais dans l'infini espoir que la vie résistera à toute mort. 


lundi 7 mai 2018

Il trouvera toujours ne fût-ce qu'une heure par semaine

"Amis et maîtres, j’ai souvent entendu dire, et maintenant plus que jamais on assure que les prêtres, surtout ceux de la campagne, maugréent contre leur abaissement, contre l’insuffisance de leur traitement ; ils affirment même qu’ils n’ont pas le loisir d’expliquer l’Écriture au peuple, vu leurs faibles ressources, que si les luthériens surviennent et que ces hérétiques se mettent à détourner leurs ouailles, ils n’en pourront mais, car ils ne gagnent pas assez. Que Dieu leur assure le traitement si précieux à leurs yeux (car leur plainte est légitime), mais en vérité, ne sommes-nous pas en partie responsables de cet état de choses ! 
Admettons que le prêtre ait raison, qu’il soit accablé par le travail et par son ministère, il trouvera toujours ne fût-ce qu’une heure par semaine pour se souvenir de Dieu. D’ailleurs, il n’est pas occupé toute l’année. Qu’il réunisse chez lui, une fois par semaine, le soir, les enfants pour commencer, leurs pères le sauront et viendront ensuite. Inutile de construire un local à cet effet, il n’a qu’à les recevoir dans sa maison ; n’y restant qu’une heure, ils ne la saliront point. Qu’on ouvre la Bible pour leur faire la lecture, sans paroles savantes, sans morgue ni ostentation, mais avec une douce simplicité, dans la joie d’être écouté et compris d’eux, en s’arrêtant parfois pour expliquer un terme ignoré des simples ; n’ayez crainte, ils vous comprendront, un cœur orthodoxe comprend tout ! 
Lisez-leur l’histoire d’Abraham et de Sara, d’Isaac et de Rebecca, comment Jacob alla chez Laban et lutta en songe avec le Seigneur, disant : « ce lieu est terrible », et vous frapperez l’esprit pieux du peuple. Racontez-leur, aux enfants surtout, comment le jeune Joseph, futur interprète des songes et grand prophète, fut vendu par ses frères, qui dirent à leur père que son fils avait été déchiré par une bête féroce, et lui montrèrent ses vêtements ensanglantés ; comment, par la suite, ses frères arrivèrent en Égypte pour chercher du blé, et comment Joseph, haut dignitaire, qu’ils ne reconnurent pas, les persécuta, les accusa de vol et retint son frère Benjamin, bien qu’il les aimât, car il se rappelait toujours que ses frères l’avaient vendu aux marchands, au bord d’un puits, quelque part dans le désert brûlant, tandis qu’il pleurait et les suppliait, les mains jointes, de ne pas le vendre comme esclave en terre étrangère ; en les revoyant après tant d’années, il les aima de nouveau ardemment, mais les fit souffrir et les persécuta, tout en les aimant. Il se retira enfin n’y tenant plus, se jeta sur son lit, et fondit en larmes ; puis il s’essuya le visage et revint radieux leur déclarer : « Je suis Joseph, votre frère ! » Et la joie du vieux Jacob, en apprenant que son fils bien-aimé était vivant ! Il fit le voyage d’Égypte, abandonna sa patrie, mourut sur la terre étrangère, en léguant aux siècles des siècles, une grande parole, gardée mystérieusement toute sa vie dans son cœur timide, savoir que de sa race, de la tribu de Juda, sortirait l’espoir du monde, le Réconciliateur et le Sauveur ! 
Pères et maîtres, veuillez m’excuser de vous raconter comme un petit garçon ce que vous pourriez m’enseigner avec bien plus d’art. C’est l’enthousiasme qui me fait parler, pardonnez mes larmes, car ce Livre m’est cher ; si le prêtre en verse aussi, il verra son émotion partagée par ses auditeurs. Il suffit d’une minuscule semence ; une fois jetée dans l’âme des simples, elle ne périra pas et y restera jusqu’à la fin, parmi les ténèbres et l’infection du péché, comme un point lumineux et un sublime souvenir. 
Pas de longs commentaires, d’homélies, il comprendra tout simplement. En doutez-vous ? Lisez-lui l’histoire touchante, de la belle Esther et de l’orgueilleuse Vasthi, ou le merveilleux récit de Jonas dans le ventre de la baleine. N’oubliez pas non plus les paraboles du Seigneur, surtout dans l’Évangile selon saint Luc (ainsi que je l’ai toujours fait), ensuite dans les Actes des Apôtres, la conversion de Saül (ceci sans faute) ; enfin, dans les Menées ne serait-ce que la vie d’Alexis, homme de Dieu, et de la martyre sublime entre toutes, Marie l’Égyptienne. 
Ces récits naïfs toucheront le cœur populaire ; et cela ne vous prendra qu’une heure par semaine. Le prêtre s’apercevra que notre peuple miséricordieux, reconnaissant, lui rendra ses bienfaits au centuple ; se rappelant le zèle de son pasteur et ses paroles émues, il l’aidera dans son champ, à la maison, lui témoignera plus de respect qu’auparavant ; et alors son casuel s’accroîtra. 
C’est une chose si simple que parfois on n’ose pas l’exprimer par crainte des moqueries, et cependant rien n’est plus vrai ! Celui qui ne croit pas en Dieu ne croit pas à son peuple. Qui a cru au peuple de Dieu verra Son sanctuaire, même s’il n’y avait pas cru jusqu’alors. Seul le peuple et sa force spirituelle future convertiront nos athées détachés de la terre natale. Et qu’est-ce que la parole du Christ sans l’exemple ? Sans la Parole de Dieu, le peuple périra, car son âme est avide de cette Parole et de toute noble idée."
Enseignement du starets Zosime juste avant sa mort,
dans Les frères Karamazov de Dostoïevski (1880)

Tombeau de Dostoïevski

dimanche 6 mai 2018

Parabole sans queue ni pattes

C'est l'histoire d'un homme qui n'aimait pas réfléchir. Les choses sont comme elles sont, disait-il, pourquoi se casser la tête avec des finasseries ? 
Cet homme avait un cheval. Son voisin en avait trois. Tous deux vivaient dans un pays dont le roi, pour se distraire, aimait à créer des impôts rigolos. Un jour, le roi décréta que chaque propriétaire de cheval devait donner à son voisin un écu pour chaque cheval qu'il possédait.
Notre homme alla voir son voisin pour lui réclamer deux écus. En effet, son voisin lui devait trois écus pour chacun des chevaux qui lui appartenait, et lui-même lui devait un écu pour le cheval qu'il possédait. 
"Attends une minute, lui dit le voisin, comment tu as compté tes chevaux ?
- Comment ça, comment j'ai compté mes chevaux ? Il n'y a pas besoin de compter, je n'en ai qu'un !
- Bon, on va voir ça, dit le voisin, on va compter ensemble. Combien de pattes a ton cheval ?
- Ben, quatre évidemment.
- Bon, on va voir ça, dit le voisin, on va compter ensemble. Ton cheval, il a deux pattes à l'avant, oui ? et deux pattes à l'arrière ? et deux pattes à droite ? et deux pattes à gauche ? et deux pattes en biais ? et deux pattes dans l'autre biais ? Ça fait douze pattes. Tu as trois chevaux ; nous sommes quittes."

(c) Morris

jeudi 3 mai 2018

Âne qui pleure, âne qui rit

Une aimable lectrice qui connaît ma prédilection pour les contes bibliques vient de me faire suivre une histoire en me demandant si ça ne pourrait pas faire une prédication. La voici : 

« Un jour, l’âne d’un fermier tomba dans un puits.
L’animal gémissait pitoyablement depuis des heures, et le fermier se demandait quoi faire. Finalement, il décida que l’animal était trop vieux et que le puits devait disparaître de toute façon. Il n’était donc pas rentable de récupérer l’âne.
Il invita tous ses voisins à venir l’aider.
Tous se saisirent d’une pelle et commencèrent à combler le puits.
Au début, l’âne réalisa ce qui se produisait et se mit à crier terriblement. Puis, au bout de quelques secondes, à la stupéfaction de chacun, il se tut. Quelques pelletées plus tard, le fermier regarda finalement dans le fond du puits et fut très étonné de ce qu’il vit : à chaque pelletée de terre qui tombait sur lui, l’âne faisait quelque chose de stupéfiant.
Il se secouait pour enlever la terre de son dos et montait dessus.
Pendant que les voisins du fermier continuaient à pelleter sur l’animal, il se secouait et montait dessus…
Bientôt, à la grande surprise de chacun, l’âne sortit hors du puits et se mit à trotter ! »

C'est un conte destiné à nous prouver que quoi qu'il arrive, si l'on est dans le bon état d'esprit, le pire peut se transformer en mieux. Et après tout, c'est une bonne partie du message de Pâques... Mais ce texte me met un peu mal à l'aise. Je ne crois pas que le message de Jésus consiste à dire que malgré les pelletées de terre, tout ira bien à la fin si on y réfléchit un peu : il est beaucoup plus radical que ça. J'ai l'impression qu'il nous appelle plutôt à nous reconnaître dans ceux qui jettent les pelletées de terre... et à réaliser qu'il n'est pas fatal que nous soyons celui-là, celle-là, que ce n'est pas un destin vivable. 
Mais examinons d'un peu plus près la métaphore (avant que mon chat s'en mêle et complique tout, comme d'habitude). Dans ce conte, clairement, nous sommes dirigés par le texte pour nous identifier à l'âne : l'âne à qui il arrive une fâcheuse mésaventure, compliquée d'un maître fourbe et cruel pourvu d'une grande quantité d'amis tout aussi fourbes et cruels, mais aussi l'âne qui réalise tout à coup que ce qu'il prenait pour une condamnation à mort va en fait lui permettre de se sortir de ce mauvais pas. Il se tait et se met au travail pour que la terre tombe où il faut et qu'il puisse monter dessus. Soit ; alors si l'âne, c'est moi, où est Dieu ? Peut-être dans le fermier (si Dieu est un juge impitoyable pour ceux qui ne servent à rien et font bien du tintouin pour rien alors qu'ils pourraient se contenter de mourir en silence). Peut-être dans les amis du fermier (si Dieu est le complice implicite de ceux qui, en toute bonne conscience, mettent à mort ceux qu'ils considèrent inférieurs et inutiles). Peut-être dans la terre qui tombe au fond du puits (si Dieu est le truc pratique qui vient nous tirer de tous nos embêtements). Peut-être dans le puits (si Dieu est le lieu de l'expérience religieuse qui change le cours d'une vie). Peut-être qu'il n'est nulle part dans cette histoire, parce que c'est idiot de chercher à trouver Dieu dans une métaphore qui n'est pas biblique. Ou peut-être que Dieu, il est dans l'âne. Il fait le choix totalement aberrant de se risquer à être un âne, à qui il peut arriver des mésaventures d'âne. Allez savoir. 
Alors je ne sais pas si j'utiliserais cette parabole pour prêcher, mais je crois que j'hésiterais beaucoup avant d'essayer. Parce que ce qui ressemble à une bonne nouvelle n'est pas nécessairement parole d'Évangile... et si c'est juste une jolie nouvelle, ça n'est pas l'Évangile. 

Baudets de l'île de Ré