jeudi 28 février 2019

Mode d'emploi

Pour être un bon chrétien, c'est très simple : payez quelqu'un pour le faire à votre place. 
En plus, c'est pratique, vous pouvez l'observer, c'est une source infinie d'amusement. Exigez une vie parfaite, une connaissance parfaite des Écritures, la plus grande charité, une patience sans fin, l'âme d'un enseignant et la discipline d'un moine, l'humour léger et la gravité profonde. Vous pouvez aussi, si vous le souhaitez, exiger le sens du style vestimentaire tout en ayant la plus grande sobriété, le sens de l'économie et la haine de la pingrerie. Tant que vous y êtes, demandez un gestionnaire efficace. 
Si toutes ces choses que vous exigez ne vous sont pas données, plaignez-vous amèrement. Si nécessaire, menacez, tempêtez, rouspétez. Emportez-vous ; après tout, vous avez payé, on vous doit bien ça.
Pour être un vrai chrétien par contre, c'est compliqué. Ça demande de se pencher sur soi-même, sous le regard d'un autre. Vous ne saurez jamais où ça va vous mener. Pas de certitude, pas d'assurance, pas de promesse : une aventure qui va réclamer votre créativité, votre endurance, votre faiblesse et votre abandon. Personne d'autre que vous ne pourra le faire. Personne d'autre que vous ne peut prononcer vos propres paroles... Mais avec un peu de chance, quelqu'un viendra vous accompagner dans ce chemin, aussi faillible que vous, mais prêt à partager l'aventure. 

dessin Gilbert Bouchard

mercredi 27 février 2019

Désaffection

Il arrive dans les Eglises locales qu'on évoque la possibilité d'abandonner l'usage d'un temple. C'est toujours une grande douleur et source parfois de grands conflits. 
La désaffection d'un lieu de culte dit aussi la désaffection du public pour ce lieu et pour ce qui s'y dit. Pourquoi, il y a encore une génération, y avait-il tant de monde dans ce temple, et qu'aujourd'hui il est vide ? C'est incompréhensible, souvent. Que s'est-il passé ? Qui est responsable ? Comment revenir en arrière ? Comment retrouver ce sentiment de sécurité ? Comment ne pas se sentir en danger de voir disparaître des points de repère essentiels, des habitudes rassurantes ? 
Désaffecter un lieu de culte, c'est toujours une forme de défaite. Et nous avons beau prêcher que l'essentiel n'est pas dans les murs ni dans la tradition, ça n'enlève rien au déchirement. Il ne reste souvent qu'à accompagner ce désengagement, à écouter, à rassurer, à ouvrir si c'est possible d'autres perspectives. Mais il arrive toujours un moment où la question fondamentale se pose : va-t-on mourir ?
Et il arrive toujours un moment où la seule réponse honnête à donner c'est : oui. Oui, le passé disparaît. Oui, les choses qui nous rassuraient hier ne sont plus là. Oui, la mort est à venir, que ce soit notre mort à chacun ou la mort d'une communauté qui disparaît faute de renouvellement. 
On peut rêver à une culpabilisation de ceux qui "devraient" être là (parce qu'éloignés, parce qu'enfants ou descendants d'anciens paroissiens...) pour qu'ils viennent ou reviennent, on peut rêver à un sauvetage miraculeux par une évangélisation fantasmée, on peut espérer mourir avant d'avoir vu ça... Ca reste toujours de l'ordre de l'imaginaire et ça ne fait qu'entretenir la colère. 
Sortir de l'imaginaire, de la colère, ça passerait par quoi ? Faut-il conforter, ou combattre la nostalgie ? 
Je n'ai bien évidemment pas la réponse. Je ne sais, quant à moi, que m'accrocher à cette Parole qui passe et qui vient habiter, non pas dans les vieilles pierres, mais dans un corps vivant. Un corps vivant par-delà la mort. Un corps qui continue à vivre même si là où nous sommes, ça a l'air bien mort... La désaffection ne peut rien contre cet amour-là. 
En attendant, soyons vivants... malgré tout, vivants jusqu'à la mort. 

(c) PRG

mardi 26 février 2019

Echange de douceurs

- Les calins c'est bien.
- Les gratouillis c'est la vie.
- Les caresses c'est la liesse.
- Les couettes c'est chouette.
- Hein ?
- C'est juste pour voir si tu suivais.
- Mon chaton, des fois, tu me fatigues.


lundi 25 février 2019

La fragilité et la peur

La fragilité fait peur. La fragilité fragilise, pas seulement la personne même, mais aussi son entourage. La fragilité met en question nos certitudes sur nous-mêmes, sur le monde, sur l'ordre du monde tel qui va, tel qu'il devrait aller. 
La fragilité réveille les craquelures, les failles, les craintes qui sommeillent en nous et qu'une pleine santé, une belle force vitale maintiennent hors de vue. Silence, fragilités ! si vous vous réveillez, c'est la fin de l'illusion.
Se sentir fort, c'est croire être dans la normalité, c'est ne pas imaginer la faiblesse.
La fragilité de l'autre éveille en moi la peur ; la fragilité en moi me rappelle ma propre mortalité.
Un jour, mon souffle sera rendu si fragile qu'il cessera - cette réalité-là est insupportable. 
Il faut du courage pour accepter la faiblesse, il faut de la témérité pour supporter de voir souffrir l'autre sans que ça éveille en nous le pire. 
Malheureux êtes-vous, vous les forts qui ignorez la faiblesse ! car vous avez à présent votre réconfort. Mais demain ? Mais autrui ? 
Ne vous égarez pas, ne refusez pas de voir. Ce n'est pas de l'autre qu'il s'agit seulement. C'est de vous aussi. 

Van Gogh, Les Iris (1889)

vendredi 22 février 2019

Le silence

Le silence est-il une vertu ?
Il convient de tenir sa langue, de ne pas céder à la tentation de la médisance et du bavardage oisif. Dans l'épître de Jacques, l'auteur se plaît à décrire la langue comme cet organe minuscule et pourtant d'une puissance dévastatrice. Tourner sa langue sept fois dans sa bouche (ou sept fois soixante-dix-sept fois s'il le faut) semble alors le plus beau témoignage à la force d'âme qui consiste à ne pas vouloir le mal pour autrui. Il y a aussi le silence du repos, du détachement, du dialogue silencieux de la prière. 
Certes. Mais il y a aussi le silence lâche et complice. Le silence de ceux qui savent et qui ne disent rien. Le silence qui les rend aussi coupables que le coupable. Le silence qui fait mal lorsque le mal a été commis et qu'il est nié, semblant renvoyer au néant celui qui l'a subi.
En ces temps de dénonciation du silence pervers, dans la société et plus particulièrement dans les Eglises qui connaissent actuellement la levée du silence, au moins partiellement, au moins en dépit des résistances, pouvons-nous espérer que le silence coupable voie ses derniers instants ?
Le silence est à la fois une vertu et le mal même. Pour les croyants, c'est devant le tribunal de Dieu que chacun est jugé à ce sujet. Il est promis un temps, un lieu où tout sera dévoilé. Ce dévoilement est menace pour ceux qui commettent le mal, et promesse de rétablissement pour ceux qui le subissent. Le pire qui pourrait arriver, c'est que cette promesse soit pervertie, et qu'il soit dit aux victimes que tout va bien pour elles, puisque Dieu leur fera justice... un jour. Ce serait la pire des violences.
Silence prudent, silence coupable ?

Silence


jeudi 21 février 2019

Utile culpabilité

- Mon humaine, que fais-tu grimpée tout là-haut, avec ce pot dans les bras ?
- Mon chaton, je fais ce que j'aurais dû faire plus tôt. 
- Je ne comprends pas.
- Mon chaton, la plante précédente n'a pas survécu.
- Oh.
- Oh, en effet. Hélas, tu es un chat, et je doute que la culpabilité t'accable bien longtemps.
- Hmmm... Elle est jolie, celle-là aussi.
- ... 


mercredi 20 février 2019

Les plus petites choses éloignent

Cette histoire (à l'origine en anglais, mais je n'arrive pas à en trouver la source exacte) me semble toujours d'actualité...
En passant sur un pont, je vois un pauvre homme sur le parapet, prêt à se lancer dans le vide. Immédiatement, je me précipite auprès de lui, et je lui crie :
"Arrêtez, ne sautez pas !"
"Et pourquoi ne devrais-je pas sauter?" Me dit-il alors.
"Parce qu'il y a bien trop de formidables choses à vivre, et tellement de gens intéressants avec qui vous avez des choses en commun à rencontrer!"
"Comme qui par exemple?"
"Etes-vous croyant ou athée?"
"Croyant."
"Moi aussi! Etes-vous chrétien ou juif?"
"Chrétien."
"Moi aussi! Vous êtes catholique ou protestant?"
"Protestant."
"Moi aussi! Vous êtes Épiscopalien ou Baptiste?"
"Baptiste."
"Waow! Moi aussi! Vous êtes Baptiste Église de Dieu ou Baptiste Église du Seigneur?"
"Baptiste Église de Dieu."
"Moi aussi! Vous êtes Baptiste Église de Dieu Originelle, ou bien Baptiste Église de Dieu Réformée?"
"Baptiste Église de Dieu Réformée."
"Moi aussi! Vous êtes Baptiste Église de Dieu Réformée, réforme de 1879, ou Baptiste Église de Dieu Réformée, réforme de 1915?"
"Baptiste Église de Dieu Réformée, réforme de 1915!"
Alors c'est là que je lui ai dit:
"Crève, hérétique!" et je l'ai poussé dans le vide.

mardi 19 février 2019

Prendre la porte (du Royaume)

- C'est mignon, mon chaton, quand tu essaies de pousser la porte et que tu ne sais pas t'y prendre...
- Ca te fait rigoler, c'est ça ?
- Un peu, j'avoue...
- Mon humaine, sache que le concept de pivot, qui sous-tend le concept de porte, n'existe pas dans le monde animal.
- Oh...
- C'est un peu comme vous et le concept de Royaume, tu vois ? Il vous faut un certain nombre de coups de patte au hasard pour arriver à en comprendre un bout et d'une fois sur l'autre, vous avez tout oublié.
- ... 


lundi 18 février 2019

Une justice variable

Qui a le droit de dire ce qui est juste ? 
Trop souvent, ceux qui disent ce qui est juste le décrètent pour les autres et à leur place. C'est d'ailleurs une nécessité sociale, pour la régulation nécessaire des actes et des paroles, pour ne pas que la liberté des uns attente à la vie des autres. 
Mais ça devient un problème si ceux qui décrètent ce qui est juste ne voient même pas qu'ils sont en train de passer à côté de la réalité de la vie des autres. Par exemple : j'ai lu dernièrement un texte d'un monsieur tout à fait furieux du délitement des valeurs de notre temps. Il se lamentait que les "vraies valeurs" ne soient plus respectées et ajoutait qu'au moins, à son époque (ce n'est pas un monsieur très jeune), ceux qui voulaient vivre autrement que la bonne société savaient se tenir à leur place et ne pas se faire remarquer : ils avaient choisi une vie alternative, il fallait assumer de vivre dans l'ombre. Avec cet argument, ce monsieur place un signe d'égalité entre justice et tranquillité des bonnes gens. Ce qui lui semble juste, à lui, c'est que personne ne vienne mettre en doute ses certitudes sur la vie bonne ; ce qui serait juste pour ceux qu'il repousse ainsi dans l'ombre, ce serait d'être à égalité de droits et de vie avec tous les autres, sans avoir à se cacher. 
Sommes-nous bien conscients de se qui se cache sous notre idée de la justice ? Est-ce, dans notre esprit, la simple tranquillité qui nous évite d'avoir à nous pousser un peu pour faire de la place à d'autres différents, ou la recherche toujours remise sur le métier du respect de chacun dans sa réalité propre ? 
Lorsqu'un raciste prétend affirmer que la justice recherchée par une personne dite "de couleur" n'est pas légitime, il décrète que cette justice-là n'est pas importante. Au nom de quoi ? Pourquoi sa propre justice serait-elle plus juste ? 
Avec le féminisme est apparu crûment le fait que les hommes, sans avoir besoin d'y réfléchir, savaient que l'égalité réclamée par les femmes n'était pas importante. Au nom de quoi ? Il faut que ces débats aient lieu, il faut que des mots soient dits, il faut que des histoires soient racontées et entendues, pour qu'une autre idée de la justice puisse surgir. Une idée révolutionnaire, selon laquelle la femme est un être humain. Ni plus ni moins que les hommes. Au même titre.
Lorsque des gens disent "je n'arrive pas à vivre", la société peut très bien répondre "mais nous ça va, merci" ou "mais vous avez de quoi vous payer un téléphone, ne vous plaignez pas" ou "si vous êtes malheureux, prenez des antidépresseurs et taisez-vous". C'est une façon de refuser d'entendre. C'est extrêmement violent - mais qui l'entend, que c'est violent, sinon ceux qui le vivent ?
Si mon idée de la justice, c'est que je ne veux pas me laisser embêter par la vie des autres, il y a des chances qu'elle soit loin d'être idéale. 
Lorsque Paul dit aux Galates qu'il n'y a plus ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, il y a deux façons de l'interpréter. Soit que ces choses-là n'ont plus aucune importance, et donc qu'il n'est pas légitime de se battre pour une égalité de fait. Soit qu'elles sont rendues si vraies par l'irruption de l'Evangile dans une vie que tous les combats en sont rendus possibles. Soit "l'égalité n'est pas importante parce que tout est donné en espérance", soit "l'espérance que me donne cette égalité me pousse à me battre pour qu'elle existe dès maintenant". Simple histoire d'interprétation ? Certes... mais elle change tout. 

Lucas Cranach l'Ancien (v. 1520)

vendredi 15 février 2019

Le célibat

Une question de mon chat m'a fait cogiter : est-ce qu'être femme a une influence sur ma façon d'exercer le ministère ? A la réflexion, ce n'est pas seulement d'être femme ; c'est aussi d'être seule. Ca m'a conduit à réfléchir à la réalité du ministère aujourd'hui.
Une bonne partie des nouvelles générations de pasteurs exerce le ministère dans un état de célibat.  C'est probablement un effet de génération, comme dans le reste de la population. Certains n'ont jamais été mariés, d'autres sont divorcés (même si ça se dit parfois avec précaution tant on risque encore de choquer), certains ont des enfants à charge... Pourtant, pour les protestants la vie conjugale ne s'oppose en rien au ministère, au contraire : les réformateurs pensaient en effet que l'Evangile devait pouvoir se vivre dans toutes les dimensions de la vie, celle-ci incluse. Ils constataient d'autre part que le célibat mettait à l'écart de la société les prêtres qui risquaient alors d'être perçus comme étant hors de l'humanité ordinaire et plus dignes du salut que les autres, ce qui va à rebours de la compréhension protestante du salut. 
Il semble donc étonnant que beaucoup de pasteurs soient célibataires. Etonnant ? peut-être pas tant que ça. Par exemple, si une première femme, Elisabeth Schmidt, a été admise au rôle des pasteurs de l'Eglise Réformée de France en 1949, ce n'est qu'à la fin des années 60 que les femmes pasteures ont eu le droit de se marier : ce ne sont pas des arguments théologiques qui étaient en cause (même si on peut toujours en trouver en cherchant bien), mais le souci de ne pas choquer et de respecter des conventions sociales dominantes. Aujourd'hui, il ne s'agit plus de se battre pour le droit à une vie conjugale tout en étant pasteure et femme, et les conventions sociales ne sont plus invoquées pour exiger des pasteures le célibat, du moins dans l'Eglise qui est la mienne. Mais il y a probablement d'autres raisons pour lesquelles le célibat des pasteurs, hommes et femmes, n'est pas rare. 
Allez donc rencontrer quelqu'un quand vous travaillez soixante-dix heures et plus par semaine, avec des réunions tous les soirs ; allez rencontrer quelqu'un et soigner une relation lorsque vous travaillez tous les week-ends ; allez rencontrer quelqu'un quand vous êtes l'objet d'une curiosité pas toujours très saine ; allez rencontrer quelqu'un quand vous ressemblez à un extraterrestre tant la réalité de votre vie quotidienne et les questions qui habitent votre ministère semblent détachées de la vie des gens qui ne connaissent pas l'Eglise, à supposer même que vous ayez le temps et l'énergie de passer du temps en dehors de l'Eglise ; allez rencontrer quelqu'un quand vous expliquez qu'en principe vous déménagez tous les six ans... Il arrive parfois que des couples de pasteurs se forment mais tout reste compliqué : les distances, l'absence de postes proches pour les couples pastoraux, le manque de temps, les problèmes logistiques démultipliés des familles recomposées mettent parfois à rude épreuve les couples les plus solides. J'ai aussi observé qu'être femme seule dans le ministère, c'est parfois être considérée comme disponible par essence, l'idée étant que puisque vous n'appartenez à personne, ça ne dérangera personne... mais on rejoint ici l'expérience générale des femmes, pas seulement dans l'Eglise. 
Y a-t-il des solutions ? Je n'en sais rien, mais d'après mon expérience et mes observations (forcément partielles et subjectives), c'est une réalité du ministère aujourd'hui, dont les membres des Eglises locales se rendent rarement compte - une réalité qui, si l'on en croit l'évolution de la population et des nouveaux profils de pasteurs, n'est pas près de s'atténuer, et qui a un effet sur la qualité de vie des ministres en exercice et le désir de s'engager des éventuels futurs ministres. 
Surtout, pour nous qui en principe passons notre temps à bousculer la logique sacrificielle, il y a une certaine absurdité à la laisser s'infiltrer dans notre vie personnelle. 

jeudi 14 février 2019

Off to the vet

- Mon humaine, pourquoi ?
- Pourquoi quoi, mon choupichat ?
- Pourquoi, SOUS PRETEXTE DE VERIFIER QUE JE SUIS EN BONNE SANTE, TU AS ESSAYE DE ME COLLER UNE CRISE CARDIAQUE ?

Simon's Cat

mercredi 13 février 2019

A Different Breed o' Cat

Depuis la nuit des temps, entre ceux qui appartiennent à un groupe et ceux qui n'y appartiennent pas, il y a - comment dire... - des difficultés à communiquer. Et laissez-moi vous révéler un secret extraordinaire : c'est la même chose pour l'Église.

- Ttttt, mon humaine... tu ne vas quand même pas parler de ça, dis-moi ?
- Oh que si, mon chaton ! parce que si je me souviens bien, on avait laissé en plan ce pauvre Siglibert Lepont, et que j'ai quand même bien envie de connaître la suite de ses aventures, tu vois. 
- Si tu y tiens.
- J'y tiens. Donc, ce pauvre Siglibert se baladait d'église en communauté, de rassemblement en convention, sans jamais avoir l'impression d'y avoir sa place. Il avait toujours l'impression de tricher, en voyant que tous les autres avaient l'air de savoir parfaitement pourquoi ils étaient là, et surtout l'air d'y être parfaitement légitimes. Siglibert, son problème, c'était justement qu'il ne se sentait pas légitime, tu vois ? Et c'est source d'une infinie souffrance, si les seuls lieux qu'on fréquente fonctionnent selon le présupposé que pour y être, il faut justement être légitime.
- Et ça se manifeste comment, ça, pour vous les humains ?
- Souvent, ça se manifeste comme une maladie de l'accueil. On ne sait pas comment accueillir ceux qui arrivent et qui n'y connaissent rien.
- Mais les portes sont ouvertes, non ? tout le monde peut rentrer ?
- Oui, bien sûr. Mais tu vois, chez les humains, une porte ouverte ça ne suffit pas, si les regards qui accueillent au seuil de la porte laissent entendre qu'il y a quand même des conditions à remplir.
- Mais attends, il y a pourtant des conditions à remplir, pour être dans une Eglise, non ?
- Tout dépend de quoi tu parles. Dans la mienne, tout le monde (c'est-à-dire n'importe qui) peut passer la porte et venir écouter et participer à la Cène, il n'y a aucune condition. Mais pour devenir membre de l'Eglise locale (ce qu'on appelle "paroisse" dans le monde catholique) par contre, il faut en faire la demande et là il y a une condition : reconnaître que "Jésus-Christ est le Seigneur" (on appelle ça la confession de foi minimale). En général, ça se fait en remplissant une fiche. En devenant membre de l'association cultuelle (c'est le cadre légal de la communauté locale), on s'engage vraiment. Selon la Constitution (à l'article 2), "ceux qui sont inscrits sur la liste des membres de l'association cultuelle sont appelés à participer fidèlement au service de l'Evangile et à la vie matérielle et financière de l'Eglise ainsi qu'à son gouvernement". Quand on est membre de l'association cultuelle, on prend donc l'engagement de participer à la vie de la communauté d'une façon ou d'une autre : on n'est pas client, mais acteur de la vie commune.
- Bon, mais tout ça, c'est des finasseries de connaisseurs, de gens du dedans, justement. Siglibert, lui, le pauvre, il n'est pas au courant de tout ça, et honnêtement il a l'air de s'en fiche comme de son premier oreiller.
- Je ne sais pas pour l'oreiller, mon chaton, mais c'est vrai que se trouver face à ce qui ressemble à des obligations alors qu'on essaie juste de suivre le mouvement intime qui pousse à aller écouter des paroles de vie, ce n'est pas exactement facile...
- Tu disais donc, mon humaine, qu'une Eglise c'est forcément conservateur.
- J'ai dit ça, moi ? Pas du tout ! J'ai dit, très maladroitement, qu'entre ceux du dedans et ceux qui n'y sont pas, il y a de grands malentendus et certainement beaucoup de non-dits aussi. Un groupe humain se forge une culture, des habitudes, des codes, qu'on le veuille ou non. Un groupe aura beau être très accueillant, très ouvert, il n'empêche que ceux qui en font partie font, disent et pensent des choses que ne font, disent et pensent pas les autres.
- Et c'est un problème ?
- Oui et non. Oui si c'est un obstacle. Mais si l'on ne perd jamais de vue la raison d'être du groupe humain, alors la question ne se pose même pas.
- Comment ça, la raison d'être ?
- Tu ne peux pas comprendre ça, petit chat, parce que tu es un chat et que l'instinct de groupe t'est étranger. Mais pour les humains, faire groupe ça peut suffire à ce qu'il y ait un groupe.
- Et alors ?
- Et alors, une Eglise, ce n'est pas un groupe d'humains. C'est un groupe qui reconnaît qu'il y manque quelqu'un et que c'est ça qui lui donne son sens. C'est parce que Jésus n'est plus là qu'il y a une Eglise.
- Il manque quelqu'un et c'est pour ça que l'Eglise a un sens ? Mais si on va par là, il manque des tas des gens et c'est pour ça que l'Eglise a un sens ?
- On peut aller par là. L'Eglise est là pour ceux qui n'y sont pas... Elle ne possède pas ce qu'elle dit, elle n'est jamais propriétaire du message, elle n'en est que dépositaire. Elle ne peut pas s'y accrocher, elle ne peut pas prétendre à des droits dessus. Elle ne peut que transmettre ce qu'elle a reçu. Et si elle ne transmet pas, elle meurt.
- C'est un chouia violent pour la culture protestante, ce que tu dis là, non ?
- Pourquoi ?
- Ben si les protestants ont survécu, c'est bien parce qu'ils se sont agrippés à ce qu'ils comprenaient de l'Evangile et qu'ils ont refusé de lâcher dessus avec une extraordinaire ténacité.
- Je ne sais toujours pas d'où tu tiens cette science, mon chaton...
- Moi non plus, mon humaine, mais ce n'est pas la question.
- Je me dis, mais j'ai peut-être tort, que l'immobilité, c'est la mort. Être en vie c'est accepter d'être en constant déséquilibre. Une symphonie flirte avec le chaos... Le but, encore une fois, c'est d'accepter le déséquilibre au coeur même de notre vie d'Eglise : il y manque toujours quelqu'un et c'est une bonne chose. Quand on resserre les rangs sans y laisser de place pour la nouveauté et l'inattendu, on tourne en rond et on finit par mourir. Et s'il y a une situation de terrible déséquilibre, c'est bien lorsque une minorité lutte pour sa survie, pour s'accrocher à ce qui profondément la fait vivre.
- Il y a une chute théologique, à ton histoire ?
- Si tu insistes... oui : pour les Eglises de la Réforme, il y a une différence à faire entre "Eglise visible" et "Eglise invisible". L'Eglise visible, c'est l'institution, le groupe humain qui se donne des règles de vie et d'organisation ; l'Eglise invisible, c'est celle que Dieu appelle et personne n'en connait les contours à part lui. C'est une logique profondément libératoire !
- Pourquoi ?
- Parce qu'on est encouragé à ne jamais confondre l'institution humaine, toujours faillible et à améliorer, et la réalité de l'Eglise de Dieu, toujours inconnaissable et sur laquelle nous n'avons aucun contrôle.
- Mais ça veut dire qu'il y a des gens dans l'institution qui en réalité ne sont pas appelés par Dieu ?
- Probablement. Mais on n'en sait rien et donc on fait avec tous ceux qui sont là, et en même temps on peut prendre le risque de prendre des mesures pour empêcher certains de faire du mal aux autres... Et puis, bien sûr, il y a aussi des gens qui sont en réalité dans l'Eglise même s'il ne font pas partie d'une institution ecclésiale.
- Tu crois que Siglibert va finir par tomber sur cette idée ?
- Je n'en sais rien. Je lui souhaite... 



lundi 11 février 2019

Du bon usage de l'injustice

- Mon humaine, tu es une femme ? 
- Mon chaton, je suis toute remplie d'une multitude d'interrogations devant cette question que je n'attendais pas du tout de ta part. Mais la réponse est oui.
- Bon, alors. Pourquoi es-tu pasteur ?
- Il semble que je n'aie pas touché le fond de mes interrogations à propos de cette question-là aussi. D'où tires-tu ça ? Enfin peu importe. Je vais te faire une réponse classique : je suis pasteure parce que j'ai reçu une vocation interne (secrète, entendue dans l'intimité de la foi vécue) et une vocation externe (celle que l'Eglise m'a reconnue ; pas la communauté locale, mais l'Eglise dans son ensemble, l'institution qui se reconnaît au service de Dieu et qui reconnaît que je participe à ce service). 
- Tout ça est très intéressant, mais...
- ... mais ça n'est pas de ça que tu voulais parler ?
- Voilà.
- Alors tu voulais parler des textes bibliques qui disent, en gros, que la femme doit la boucler surtout dans les assemblées ?
- Non, même pas. 
- Alors de quoi voulais-tu parler ?
- Du réparateur de chaudière.
- Du... pardon ?
- Du réparateur de chaudière. Le monsieur qui est venu l'autre jour quand il faisait très froid dans la maison et que malgré mes regards explicites tu n'as compris que le soir d'avant que si les radiateurs étaient froids ce n'était pas un simple accident de la nature mais un problème de chaudière. Je répéterais bien ce que tu as dit ce jour-là, mais je crains que tu ne prennes mal cette répétition assez peu polie. 
- Tu es plein d'attentions.
- Je perçois l'ironie, tu sais ça ? Bref.
- Oui, bref.
- Donc le réparateur est venu et tu as fait semblant de ne rien comprendre à ce qu'il disait sur l'appareil, ses tuyaux et ses connexions électriques et tout le bazar.
- Et alors ?
- Pourquoi tu as fait ça ?
- Parce qu'il avait l'air très persuadé que comme j'étais une femme, je ne pouvais pas comprendre, et j'avais autre chose à faire qu'essayer de lui prouver le contraire. Ca ne semblait pas valoir la peine de le dissuader, tu vois. C'est une façon de se défendre, d'une certaine façon. Laisser couler. 
- Et quand tes paroissiens t'expliquaient des choses, ça t'arrivait de faire la même chose ? Même à propos de l'Eglise, de la Bible, de Dieu et tout et tout ? 
- Est-ce que j'entends dans ta question que, parce que je suis une femme, je pourrais m'écraser même sur ce qui concerne ma fonction et mes compétences, juste pour ne pas entrer en conflit ?
- Je me pose la question.
- Elle n'est pas idiote. Il faut que j'y réfléchisse. 
- Mais c'est injuste, non ?
- Peut-être. Mais il y a peut-être un bon usage de l'injustice.
- Mon humaine, là tu m'as perdu.
- Mon chaton, je te ferai juste remarquer que les radiateurs sont chauds à nouveau et que c'est sûrement le plus important dans cette histoire.
- ... 



vendredi 8 février 2019

Droit à la Parole

Siglibert, ensuite, se trouva dans une communauté très fière de ses racines. Depuis la Réforme ! Ces derniers temps, c'est vrai, le gène de la foi ne semblait pas s'être vraiment transmis, il manquait une bonne partie des nouvelles générations, mais la foi dans ce coin-là avait changé les paysages et les mentalités, la politique et les gens, et c'était très important de se le rappeler. 
C'est une conférence sur le protestantisme qui permit à Siglibert de découvrir cette communauté. Il avait bien remarqué, en marchant dans le quartier, l'église aux portes toujours fermées, sans réaliser qu'il s'y passait encore des choses. Le soir de la conférence, il en avait pourtant apprécié les proportions, l'atmosphère, le calme. Le dimanche suivant, il s'était risqué à assister à une célébration. 
On lui avait souri gentiment et tendu un recueil de cantiques et il s'était installé sur un banc, pas trop près de la porte et pas trop près de la chaire. Un pasteur en robe installait ses papiers sur le pupitre et indiquait les numéros de cantiques à afficher sur un panneau en bois à un jeune homme bien coiffé. Quelques personnes aux cheveux argentés se saluaient à mi-voix et s'installaient sur les bancs. Siglibert espéra ne pas avoir fait de faux pas en prenant la place de quelqu'un, mais on le laissa tranquille, quelques personnes lui adressèrent même un signe de tête en passant. 
L'orgue s'éveilla et tout le monde cessa de parler. La musique était belle, solennelle. Siglibert entra dans une sorte de rêve éveillé où des images de son enfance survenaient sans ordre, il se demanda un instant s'il avait pensé à acheter du pain puis ouvrit au hasard le livre de cantiques. Un froissement général lui indiqua que la musique était terminée et que tout le monde s'était levé ; il fit de même. Le pasteur, solennellement, bénit l'assemblée au nom de Dieu et, d'un signe, fit asseoir les gens. 
Siglibert écouta avec beaucoup d'attention les textes que le pasteur lut ensuite. On lui parlait d'enfermement en soi-même, de désespoir et d'espoir malgré tout, d'un Dieu qui parlait d'ailleurs et ne retenait pas la faute. On se leva, on se rassit. On chanta, un cantique lent et ancien, qui éveilla en lui un écho, il n'aurait su dire lequel. 
Avant de prêcher - et cela le surprit - le pasteur demanda en leur nom à tous que Dieu leur donne l'intelligence pour comprendre, l'esprit pour souffler de la vie dans les mots. Les mots n'étaient-ils donc pas vivants depuis toujours ? Il parla ensuite de pain et de poissons, de partage et du petit rien qui suffit, de Parole et de paroles. Siglibert ne comprit pas tout, il y avait manifestement des références à des choses et des textes qu'il ne connaissait pas, mais il comprit que depuis 500 ans, ces choses qui se disaient avaient fait survivre tout un peuple et qu'il s'agissait désormais d'en vivre. Il entendit qu'il y a une nouveauté toujours possible. 
Il y eut des annonces, rapides, parce que "vous avez bien sûr tous reçu le bulletin", et une quête où les regards ne se croisaient pas. Il y eut un rassemblement autour de la table et il hésita à s'y joindre, mais personne ne l'y invita et il resta à sa place. Les gens se passèrent des bouts de pain et des coupes et il prièrent ensemble avant de revenir à leurs places. Une longue prière plus tard, tout le monde se leva pour partir. 
On se rassemblait auprès de la porte pour serrer la pince au pasteur. Il avait un mot aimable pour chacun et en serrant la main de Siglibert, il eut un mouvement des sourcils interrogateur, auquel Siglibert répondit en expliquant qu'il était de passage. "Ah, très bien, bienvenue", et le poussa vers la sortie avec la fin de sa poignée de main. 
Sur le parvis, un petit groupe s'assemblait. 
- Vous ne savez pas la nouvelle ? Surtout ne le dites à personne...
- Non, quoi ?
- Il paraît que le pasteur veut nous quitter.
- Oui, il paraît que sa femme veut trouver du travail.
- Mais il n'est là que depuis 10 ans !
- Quelle ingratitude...
Seul et découragé, Siglibert, lentement, s'éloigna.



jeudi 7 février 2019

Yoga du chat (ou pas)

- Mais enfin, Madame le Pasteur, vous n'allez pas faire du yoga, quand même ? C'est bouddhiste !
- Mais, chère Madame, vous ne priez pas, tout de même ? c'est catholique...


mercredi 6 février 2019

Siglibert à la recherche d'une communauté

Siglibert Lepont était toujours en recherche de réponses à ses questions - ou peut-être était-ce de questions à ses réponses, qui peut le dire ? Puisque Dieu se montrait silencieux avec lui, il se trouva contraint de se tourner vers ses semblables, dans l'espoir qu'en leur compagnie, peut-être, il comprendrait quelque chose. 
Il se trouva un jour entraîné par une jeune et enthousiaste connaissance qui lui affirma avoir trouvé la communauté idéale : "Viens voir, c'est trop sympa ! Avec ces gens-là, on partage vraiment quelque chose, on se fait confiance, on chante, on prie, on lit la Bible, c'est chaleureux, c'est comme une vraie famille où il n'y a pas d'oncle grincheux !" Alors il était allé voir, prudemment. Il avait trouvé, c'était donc vrai, une communauté chaleureuse, s'était fait embrasser et serrer la main avec affection et conviction, on lui avait demandé d'où il venait, où il en était avec sa foi, à quel groupe il voulait se joindre. Il n'y comprenait goutte, mais c'était chaleureux, c'est vrai. Il sentait bien qu'avec ces gens-là, vraiment, il aurait pu partager toute une vie. Lui qui vivait, comme tant d'entre nous, dans une grande ville anonyme, noyé dans la masse, il lui était précieux de trouver un lieu et des gens avec qui partager véritablement l'expérience de la chaleur humaine. Il avait l'impression de revenir dans le village où il passait ses vacances enfant, où tout le monde se connaissait, où personne ne serait mort de faim, où les difficultés et les joies se partageaient au quotidien. 
Mais il découvrit aussi assez vite que les limitations d'un village se vivaient aussi ici. Les jalousies, les hypocrisies, le coin de l'oeil qui surveille pour savoir si l'autre a plus de foi que soi, la mesquinerie et le mépris, il finit par les découvrir, mieux cachés sans doute qu'ailleurs, et souvent source de culpabilité ou d'auto-aveuglement, mais cette idée d'être la petite communauté des "vrais" croyants devenus parfaits ne tint, finalement, pas la route très longtemps à ses yeux. Lui qui aimait tant les sorties sac au dos en forêt à chanter des cantiques y surprit une conversation sur l'église d'en face qui perdait des disciples parce qu'on y lisait mal la Bible en jouant la mauvaise musique. Lui qui aimait partager ses questions sur la vraie vie du disciple se trouva sommé de condamner son plus proche ami qui allait droit en enfer. Il se retira en lui-même, tarda à répondre aux invitations, trouva plus difficile d'être spontané dans les prières à haute voix à force de se surveiller pour ne pas faire de faux pas. Son enthousiasme initial s'érodait et il en était fort triste ; il eut un long entretien avec le pasteur qui pria pour lui et l'encouragea à se joindre à un petit groupe qui lisait Marc tous les jeudis. 
Il n'arrivait plus à être joyeux à l'idée d'être sauvé et se sentait coupable d'avoir trahi la confiance de Dieu. Il vint plus rarement ; les premières fois on le saluait chaleureusement, puis les questions se firent plus précises sur les raisons de ses absences. Ne sachant plus quoi répondre, il finit par ne plus y retourner. 
Seul à nouveau, triste à nouveau, en quête à nouveau de réponses et de contact humain, il traîna sa culpabilité au quotidien jusqu'à la prochaine rencontre...