mardi 31 mars 2020

Les mots pour le dire

L'effort n'est pas encore pour maintenant. Dans quelques jours, déjà, il faudra se confronter à la perspective d'une vie qui résiste à la mort... mais pour l'instant, ce qu'il nous faut, ce sont des mots pour dire la mort. Pour la dire sans éviter de la regarder en face. Pour la dire sans hésiter à souffrir à cause d'elle. 
Pour la dire, surtout, pour d'autres que nous-mêmes. Pour tous ceux qui l'affrontent au quotidien, qui se battent contre elle. Pour tous ceux que nous avons oubliés, à nos frontières, dans nos bidonvilles, dans nos prisons, dans les failles et les points aveugles de notre société. C'est le moment de dire la douleur de la pauvreté, pas la belle, celle que nous souhaitons, celle de la simplicité et de la clarté par manque d'encombrement, non, l'autre, la misère, la terrible, celle qui ne sait pas d'où viendra le prochain bout de pain. C'est le moment de nous lamenter avec celles qui souffrent parce qu'elles sont physiquement plus faibles qu'un homme, empêtrées dans l'obligation de rester et qui n'ont même pas les mots pour dire la culpabilité. C'est le moment aussi de dire le refus de l'avidité qui condamne les uns au trop de tout et les autres au manque de tout. Nous avons les mots pour cela, nous avons la révolte pour cela. Nous avons le temps pour cela. 
Toi, Dieu, pourquoi as-tu abandonné ? Pourquoi as-tu renoncé à accompagner ceux qui souffrent, ceux que nous avons, nous, oubliés ? Pourquoi es-tu si absent ? 
Nous avons les paroles faciles pour dire que tu es là malgré tout, que tu luttes avec nous, contre la misère et la douleur et la peur, et pourtant, notre expérience de chaque jour, c'est que tu nous laisses nous débattre seuls. Si elles sont trop faciles, ces paroles, elles tuent, elles nous font baisser les bras, détourner le regard, oublier la douleur. 
On ne peut les dire en vérité qu'en ayant fait l'expérience de ta présence malgré tout. On ne peut les dire que si on se met soi-même à l'épreuve d'en être relevés. 
Pour l'instant, nous avons les mots pour nous lamenter avec le monde, parce que nous ne craignons pas de rejoindre le monde avec ces mots-là. En vérité. 
Bientôt, dans quelques jours, nous serons appelés à croire bien plus incroyable que cela : que la mort a été vaincue. C'est beaucoup plus difficile à croire parce que nous n'avons pas les mots. La mort, nous la voyons, nous la craignons, nous nous en lamentons avec le monde. La résurrection, c'est autre chose... Qui nous donnera les mots pour la dire ? 
Peut-être que de ce creux, de cette absence de mots au coeur de tous ces maux, naît doucement le désir puissant de cette vie nouvelle qui s'apprête à surgir... 

Dirk Van Baburen, Le Couronnement d'épines

vendredi 27 mars 2020

C'est pas juste

C’est pas juste ! 

Si vous êtes parents, vous connaissez le syndrome du « biscuit cassé ». Ce moment éprouvant où votre enfant, fatigué, ou éprouvé, ou affamé, prend un biscuit pour se remettre de ses émotions, et que, malheur, le biscuit se casse entre ses doigts... C’est pas juste ! En cet instant, c’est comme si tous les malheurs de la terre se concentraient dans ce biscuit cassé. C’est pas juste... c’est pas juste qu’une telle chose m’arrive, alors que je n’ai de contrôle sur rien dans mon existence, et même cette toute petite chose-là m’échappe. C’est pas juste, parce que ce qui devait me consoler me confronte au non-sens de l’existence. C’est pas juste, parce que les plus grands sont les plus forts et qu’ils peuvent taper dans la cour de récré. 

Mais c’est pas juste aussi, parce que ceux qui n’avaient rien fait sont morts. De façon absurde, sur la route des vacances. De façon amère, sur la route de l’exil. De façon malheureuse et souvent tragique, dans un lit d’hôpital. Toutes ces morts nous accablent, toutes les morts n’ont aucun sens. Et chacun de nous a son propre biscuit cassé, ce moment où une toute petite chose finit par nous faire exploser de colère et de révolte face à toutes les grandes choses auxquelles nous ne pouvons rien. C’est pas juste... en effet, ce n’est pas juste. 

Au cœur de l’Ancien Testament, déjà, cette révolte contre la fatalité s’exprime dans le livre de Job. Job, vous vous en souvenez, est un homme riche, qui a tout – possessions, respect de ses contemporains, une famille merveilleuse, une épouse fidèle, des amis, et un Dieu sur lequel compter. C’est un homme plus que respectable. L’auteur (ou les auteurs) du livre de Job prend un soin infini à présenter le portrait d’un homme parfait, plus que parfait, un parangon de vertu et de grâce humaine. Celui qui n’avait jamais rien fait de mal dans sa vie, que Dieu même respectait, et qui poussait le zèle religieux jusqu’à offrir des sacrifices pour des fautes même pas commises, au cas où. S’il existait un grand livre des fautes et des mérites, il serait du côté des parfaits. S’il existait un grand livre des indulgences, il pourrait racheter tous les maudits du purgatoire... 

Alors tout ce qui lui arrive – c’est pas juste. Vraiment, c’est injuste. C’est même l’exact contraire de la justice. Et là encore, les auteurs du livre de Job le mettent en scène par le personnage du Satan, le diviseur, le fourbe, le malicieux. Personnage imaginaire certes, mais qui représente tous ces doutes qui nous tenaillent au fond, toutes ces pensées mesquines et bien humaines : pourquoi est-il bon, celui-là ? Pourquoi a-t-il tout ? Quel secret contrat a-t-il passé avec le bon Dieu, pour que toutes ces bonnes choses lui arrivent, alors que moi... c’est pas juste... Il y a un Satan en nous, qui vient semer le doute au cœur de la foi la plus ancrée... 

Le moine Martin Luther, quelques siècles après Job, était en proie au même doute. Et quand je dis doute, je devrais dire angoisse, l’angoisse la plus profonde, de celle qui vous tient aux tripes de jour comme de nuit et ne vous laisse pas un instant de repos, juste des moments plus calmes. Dans ses moments calmes, Luther croyait pouvoir satisfaire Dieu – ce Dieu de toutes les religions, des plus rigoristes aux plus profanes, le Dieu de notre imaginaire, le Dieu terrible et vengeur qui pèse les âmes et les cœurs et attribue à chacun selon ses mérites. Ce Dieu-là est impossible à satisfaire. Les exigences de ce Dieu-là sont infinies. Comment être juste face à un tel Dieu ? Dans ses moments plus calmes, Luther y mettait pourtant tout son zèle, réalisant toutes les œuvres humaines qu’il est humainement possible de faire, jeûnant, priant, se privant, pour atteindre à la perfection. Mais jamais il ne pouvait tout à fait écarter la colère de ce Dieu-là, qu’il sentait toujours prête à s’abattre sur lui. Il écrira plus tard, à propos de cette période de sa vie : « J’étais chevauché, jour et nuit, par une bête féroce, et je ne savais si c’était Dieu ou si c’était diable ».

C’est de cette angoisse, de cette confrontation, jour et nuit, avec ce Dieu terrible, qu’est née la Réforme. Luther raconte cette expérience : « Moi qui, vivant comme un moine irréprochable, me sentais pécheur devant Dieu avec la conscience la plus troublée et ne pouvais trouver la paix par mes bonnes actions, je haïssais d’autant plus le Dieu juste qui punit les pécheurs, et je m’indignais contre ce Dieu, nourrissant secrètement sinon un blasphème, du moins un violent murmure... » 

Luther vivait comme Job, accablé de malheur et de désespoir. Après toutes ces années où il tentait de sauver son âme, dégoûté de lui-même et de ce dieu, dégoûté des marchandages sordides où se trouvait acculé, c’est en lisant la Bible que, pour lui, la lumière est venue déchirer les ténèbres. « Le juste vivra de la foi... » Dieu fait de toi un juste. C’est ça, la justice de Dieu. 

Luther avait fini par comprendre ça. Dieu n’attend pas que tu soies juste pour t’aimer. Il t’accepte et c’est ça qui te rend juste. La justice, ça se reçoit. Sans rien à y faire. Sans avoir à la gagner. Autrement dit : il n’y a pas de condition à remplir, pas d’œuvres à accomplir, pas de sacrifices à faire. Tu es rendu juste. Il ne s’agit pas de se conformer à quoi que ce soit, simplement d’accueillir ce don inouï. Crois-tu cela ? 

Comprends-tu cette révélation qui a déchiré le ciel ? Parce que c’est un nouveau soleil qui se lève sur nos vies, lorsque vraiment nous le croyons. La foi qui naît en nous, c’est un cadeau, c’est la confiance toujours possible, c’est le roc de notre vie, la valeur de notre vie. C’est une révolution spirituelle, qui nous permet de reconnaître notre juste place. Nous sommes rendus justes ; nous pouvons nous risquer à vivre comme des justes, parce que nous n’avons plus à le gagner. 

Comprendre cela, c’est être délivré de tous les dieux obscurs et accusateurs, de tous les dieux qui ne nous aiment qu’à condition d’être conformes, qu’à condition de faire ce qu’il faut. Il ne « faut » rien ! C’est donné.

C’est la naissance d’un nouveau Dieu ! Entendez-moi bien, je ne dis pas que la Réforme a créé un nouveau Dieu qui viendrait supplanter tous les autres, meilleur, plus costaud, plus performant, plus puissant. Non : rien ni personne ne peut enfermer Dieu dans une boîte, les protestants pas plus que les autres ! Mais les protestants, s’ils continuent à protester, le font toujours, doivent toujours le faire, pour dire et répéter que Dieu se révèle sous un nouveau jour, lorsqu’il vient renverser notre « c’est pas juste ». 

Et vous le savez, tout le livre de Job nous montre ce pauvre Job, accablé par le malheur, et qui doit encore faire face à ses « amis » qui veulent à tout prix lui faire dire que tout ça doit bien avoir une raison, qu’il a bien dû faire quelque chose pour s’attirer tout ce malheur. Nous savons, nous, que ce n’est pas le cas. Dieu lui fait confiance, à Job, toujours. C’est ce satané Satan qui sème le doute, qui sème la méfiance, qui insinue... 

Le malheur de Job, tous les malheurs qui s’abattent sur l’humanité, ne peuvent jamais être justifiés. Rien, jamais, aucune volonté divine ne saurait justifier le malheur. Il s’agit pour nous, aujourd’hui, de savoir de quel côté nous serons. Le côté des accusateurs, ceux qui, pour préserver leur vision du monde, leur peur de Dieu, accuseront les malheureux de leur malheur ? Ceux qui enfoncent dans la culpabilité, qui édictent des décrets qu’ils attribuent à Dieu, qui cherchent à imposer un ordre moral et religieux, qui sèment le doute et la culpabilité ? Ou du côté de ceux qui, en silence, se tiendront aux côtés des malheureux pour les accompagner, dans la faiblesse assumée de leur humanité ? Ceux qui disent « tu l’as sûrement mérité » ? Ou ceux qui disent « non, c’est pas juste » ?

Dieu accompagne nos révoltes et s’y rend présent. Si vous ne le croyez pas encore tout à fait, rappelez-vous... Dieu n’est pas resté planqué dans le ciel, à juger de loin les petites affaires des hommes. Les affaires des hommes, et jusqu’aux plus sordides, il les a connues. Il a fait le choix d’entrer dans l’histoire humaine, en humain, pour les vivre jusqu’au bout avec nous. Dans la faiblesse de la naissance. Dans la détresse de la mort. Pour que nous n’en restions pas prisonniers. Pour que nous puissions les traverser. Et protester. Ne jamais cesser de protester. Contre ce qui, dans le monde et jusque dans notre propre cœur, voudrait faire croire, nous faire croire, que Dieu est un Satan. 

Albrecht Dürer, retable Jabach (probablement commandé par Frédéric le Sage pour célébrer la fin de l'épidémie de peste en 1503)

mercredi 25 mars 2020

Tenir le coup

Comme Jésus s’en allait du temple, un de ses disciples lui dit : « Maître, regarde : quelles pierres, quelles constructions ! » Jésus lui dit : « Tu vois ces grandes constructions ! Il ne restera pas pierre sur pierre ; tout sera détruit.»
Comme il était assis au mont des Oliviers en face du temple, Pierre, Jacques, Jean et André, à l’écart, lui demandaient : « Dis-nous quand cela arrivera et quel sera le signe que tout cela va finir. »
Jésus se mit à leur dire : « Prenez garde que personne ne vous égare. Beaucoup viendront en prenant mon nom ; ils diront : “C’est moi”, et ils égareront bien des gens. Quand vous entendrez parler de guerres et de rumeurs de guerres, ne vous alarmez pas : il faut que cela arrive, mais ce ne sera pas encore la fin. On se dressera en effet nation contre nation, et royaume contre royaume ; il y aura en divers endroits des tremblements de terre, il y aura des famines ; ce sera le commencement des douleurs de l’enfantement.
Soyez sur vos gardes. On vous livrera aux tribunaux et aux synagogues, vous serez roués de coups, vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : ils auront là un témoignage.
Car il faut d’abord que l’Evangile soit proclamé à toutes les nations. Quand on vous conduira pour vous livrer, ne soyez pas inquiets à l’avance de ce que vous direz ; mais ce qui vous sera donné à cette heure-là, dites-le ; car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit Saint. Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront condamner à mort.
Vous serez haïs de tous à cause de mon nom. Mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. (Mc 13,1-13)
Regardez - regardez la situation en face, mais ne vous perdez pas. L'urgence est là, la violence est là, le danger est là, mais ne vous laissez pas happer. Ne vous laissez pas fasciner par tout cela, car l'essentiel n'est pas là. La destruction, la mort, oui, c'est vrai, sont là. Mais ce n'est pas la fin de tout. Prenez garde de ne pas croire à la fin du monde : vous vous égareriez. 
Il s'agit de tenir bon, de tenir le coup. Assis face au temple avec ses disciples, Jésus prêche la ténacité face à l'adversité, sans cacher la violence de ce qui s'annonce. Le temple lui-même, le coeur de la vie religieuse, sera détruit, symbole de l'effondrement de toute solidité de la société, et surtout symbole de l'effondrement de la médiation nécessaire entre les humains et Dieu. Et maintenant ? 
Il faudra tenir à une chose, et à une seule : il faut que la bonne nouvelle soit proclamée sur toute la terre. Je ne sais pas vous, mais moi, face à la perspective d'une catastrophe, je préférerais un encouragement un peu plus humain, avec un minimum d'empathie, la promesse au moins de jours meilleurs, d'un but glorieux. Même pas. Il faut encore bosser, et proclamer. Les bonnes oeuvres, jusqu'au bout, pour se gagner son paradis, quoi. 
Sauf que... sauf que ce n'est pas nous qui allons parler. (Et en plus, dépossédés de notre propre parole ! oui - on peut le voir comme ça). Soutenus par une parole qui n'est pas la nôtre, animés par un souffle qui n'est pas le nôtre. On se bat avec des armes offertes par un autre. Apparemment pas bien efficaces : des mots, du souffle. Destinés à d'autres que nous-mêmes, tournés vers le monde, vers autrui, vers l'humanité toute entière. Nous sommes liés de souffles et de mots. 
Être porteurs de mots et d'un souffle venus d'ailleurs : voilà ce qui nous permet de tenir le coup, de tenir le choc. De ne pas nous décourager. De tenir le cap vers un monde qui se profile... 

Jeanne Lombard


mardi 24 mars 2020

Dérisoire et absurde

Une femme vient au temple, pour une toute petite chose. Elle n'a pas accès aux grandes choses de la religion de toute façon - c'est une femme, et elle est pauvre, et sans importance. Elle n'est là que pour cette chose-là : mettre son argent dans le tronc des bonnes oeuvres. Geste absurde et dérisoire : cela ne changera rien au destin commun. Au moment de compter les sous, peut-être même ce simple sou se perdra-t-il sous la table, peut-être ne sera-t-il même pas compté. 
Une simple vie. Il est absurde et dérisoire de croire qu'une simple vie ait pu sauver l'humanité toute entière. Une simple vie dont le souvenir aurait pu se perdre, dont l'utilité aurait pu disparaître à tout jamais des mémoires. Celui dont la vie, bientôt, va se perdre est assis auprès du trésor et regarde ce qui s'y joue. 
Les gens importants viennent s'y sentir importants. La légitimité s'expose et se savoure. Être bon et le savoir, ça se gagne à coups de dollars, chacun selon ses moyens. Jusqu'au grain de sable qui vient enrayer la machine. Le simple sou absurde et dérisoire, le tout petit, le presque rien, qui vient en remontrer aux liasses rebondies. Les apparences sont vouées au néant. Le presque rien, le grain de sable, est ce qui compte infiniment. 
C'est que le grain de sable représente ce qui fait vivre réellement, par-delà la mort, la mort de faim quand on n'a plus rien, la mort de maladie quand il n'y a plus de traitement, la mort de désespoir quand tous les rêves se sont envolés, la mort de trop parce que le trop envahit tout. Le grain de sable représente l'absurde et le dérisoire d'une infinie confiance qui se donne jusqu'au bout. Tant qu'on peut, on donne. On donne ce qu'on a de si peu : le petit bout d'espoir, le petit bout de reste, le petit bout de ce qu'on a qu'on reconnaît être universel. Quand ce qu'on a ne fait que passer par nous. 
Celui qui va mourir regarde, et voit la métaphore de ce qui s'annonce. Sa vie va se terminer, absurde et dérisoire mort à venir, mais elle n'est pas en vain. Elle signe la fin d'une histoire, et le début d'une autre, trace d'une infinie espérance. 
Assis en face du tronc, Jésus regardait comment la foule mettait de l’argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup.
Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes. Appelant ses disciples, Jésus leur dit : « En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc. Car tous ont mis en prenant sur leur superflu ; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. » (Mc 12,41-44) 
Matthias Stom, Vieille femme à la bougie

lundi 23 mars 2020

Redresse-toi !

Cette femme se tient, silencieuse, dans un coin de la synagogue. Elle se tient courbée, penchée vers le bas, accablée par toute une vie de souffrance et de silence. Courbée vers le sol par un poids trop lourd. Toute maladie nous rend muet. Nous enferme, nous impose le silence. Pas seulement à cause de la douleur, mais parce que trop souvent, parler c’est s’exposer à entendre l’autre ajouter à nos blessures. « Secoue-toi ! redresse-toi ! mais qu’est-ce que tu as bien pu faire pour que ça t’arrive ? si j’étais toi… » Ca ne laisse plus beaucoup de place pour une parole vraie. Ca ne laisse pas d’espace pour qu’un souffle puisse apporter un peu d’apaisement, un peu de nouveauté dans l’accablement. Et surtout, le « il faut »… « Il faut que tu te secoue… il faut que tu prennes sur toi… » Comme si ça n’était pas déjà le cas ! La maladie rend sourds et aveugles ceux qui ne veulent pas la voir, pas l’entendre. La souffrance enferme dans une prison de solitude. 

Au fond, tous nos rapports aux autres tiennent largement dans ce « il faut » ou « il faut pas ». Et vous l’entendez bien, ça tient de l’ordre. Aux deux sens du terme : ce qui force à faire quelque chose, et ce qui met de l’ordre, ce qui met les choses à leur place. Vouloir de l’ordre, c’est savoir où on en est, si ce à quoi, ou à qui, on fait face, est bien là où il faut… Il faut… il faut pas… 

Ce n’est jamais le bon moment ni le bon endroit pour que quelque chose de la souffrance puisse se dire. Il y a toujours des bien-pensants pour dire que ce n’est pas le moment, pas l’endroit. Et il y en aura toujours. Les pires, ce sont les bien-pensants religieux. Parce qu’ils pensent parler au nom de Dieu, en toute bonne foi si j’ose dire. Et que la loi de Dieu peut très vite se transformer en un nouveau « il faut »… Seulement voilà : à un moment ou à un autre, on se voit soi-même dans la position de celui qui souffre, et qui ne peut pas parler, et qui doit rester avec sa souffrance face à tous les « il faut » du monde. Et qui finit par ne plus entendre que des ordres, auxquels de moins en moins il peut faire face au quotidien, parce qu’un ordre supplémentaire n’est plus qu’un poids supplémentaire. 

Cette femme, c’est l’image de chacun de nous lorsque nous nous trouvons du mauvais côté des « il faut ». C’est l’image de toute l’humanité, incapable de se relever seule, de voir vers le haut, d’entrer véritablement en contact avec Dieu. Elle est femme, elle est déformée, elle n’a droit qu’à un petit coin discret parmi les autres qui viennent célébrer Dieu. Oui, mais quel Dieu ? A quel Dieu rend-on un culte dans ces conditions ? Elle, elle ne peut plus entendre qu’un dieu qui l’accable chaque jour davantage, auquel elle ne peut pas répondre parce que sa souffrance l’en empêche. 

Mais quel Dieu ? Les dieux que nous imaginons, ce sont des dieux qui disent « tu dois ! » Quand nous croyons les entendre, nous nous disons « je dois » : je dois faire mieux, je dois aller mieux, je dois avoir de grands projets pour moi-même. Nous entendons « il faut ! ». Il faut changer le monde, il faut faire mieux que le voisin, il faut croire exactement comme il faut, il faut suivre aveuglément ce que nous entendons. Il faut vite ramasser toutes les richesses qui passent, parce qu’on ne sait pas de quoi demain sera fait. Il faut être comme il faut. Sauf que… est-ce bien là le véritable Dieu ?

Il arrive un moment où nous nous trouvons confrontés à un Dieu que nous n’avions jamais imaginé. Ce n’est certes pas n’importe quel Dieu, ce n’est pas une image idéale de Dieu, c’est un Dieu surprenant parce qu’il vient nous rejoindre là où nous sommes, précisément là où notre souffrance nous empêche de faire le moindre effort supplémentaire pour rejoindre Dieu. C’est lui qui vient ! 

C’est ce qui se passe pour cette femme, face à Jésus qui la relève et la libère de son infirmité. 

Mais les autres, tout autour ? Quel est leur « il faut » ? Dans quelle bonne conscience sont-ils enfermés comme un nouvel « il faut » auquel il faut se conformer ? Jésus les appelle des « hypocrites ». Ce n’est pas une insulte, c’est une constatation. Hypocrite, ça veut dire en grec, littéralement, « sous le critère », sous le jugement. Ca désigne une attitude de vie : celle qui consiste à mettre toute sa vie sous le signe d’un ordre à atteindre, d’un critère à remplir. Le chef de la synagogue ne fait rien d’autre que donner voix à ce critère, à cet ordre, lorsqu’il s’insurge en prenant la foule à témoin : oui, il y a six jours pour soigner, mais la loi de Dieu impose l’ordre du sabbat, et le jour du sabbat, on se repose. La loi de Dieu est alors présentée comme la vérité ultime, comme l’indication de ce qu’il faut faire pour être en règle avec Dieu. Pour être hypo-crite, sous-la-loi… 

Mais Jésus vient de répondre en acte à cette objection bien-pensante. Il n’est pas venu respecter la loi, il est venu l’accomplir. Il est venu lui donner tout son sens, sens qui s’est perdu à force de vouloir en respecter la lettre. Jésus rappelle que le sens du sabbat, c’est de libérer des liens qui encombrent et empêchent de vivre. Respecter le sabbat, c’est rappeler que Dieu est le Dieu de la libération de tous les esclavages. Y compris, oui, l’esclavage du travail ininterrompu, comme celui que les hébreux ont connu en Egypte. Il arrive un temps où Dieu décrète que personne ne peut être enfermé irrémédiablement et que sa loi vient mettre un terme à tout esclavage pour réanimer l’espérance, pour redonner des forces. S’arrêter de travailler, c’est admettre que nous souffrons, en temps ordinaire, d’un esclavage qui nous rend étrangers à nous-mêmes, même, et peut-être surtout, si nous nous réalisons dans ce travail. Là n’est pas notre identité propre, là n’est pas le cœur de notre liberté. Notre véritable liberté, c’est d’être libéré par un autre que nous-mêmes. 

Tout le débat, ce jour-là dans la synagogue, est là : comment faut-il voir le sabbat ? comme le jour de l’obéissance ? ou comme le jour de la libération ? Comment faut-il voir la loi de Dieu ? Comme l’appel à une obéissance qui nous donnerait de nous réaliser ? ou comme la libération de nos propres tentatives pour exister par nous-mêmes ? Entre les deux, vous avez peut-être l’impression qu’il y a l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette. Et pourtant, l’infime espace qui sépare ces deux positions, c’est l’Évangile. Celui qui vient bousculer notre certitude d’être dans le vrai. Celui qui vient nous empêcher d’être bien-pensants. En soulignant avec une force terrible que l’obéissance aveugle débouche sur une apathie qui tolère la servitude, qui nous bouche les yeux et les oreilles face à la souffrance de notre prochain. Alors que l’Évangile, lui, nous fait faire un premier pas vers la vie. Lorsque Jésus vient nous guérir de notre hypocrisie, alors le sabbat devient une fête, où l’amour rayonne au service des autres. Il ne s’agit plus de nous rassurer sur nous-mêmes… mais de nous tourner vers les autres. Même s’il ne s’agit que de souffrir en silence avec lui, avec elle. On est passé du repos des cimetières… à la libération pour la vie. On est passé d’un ordre qui contraint à un ordre qui libère. 

Le sacré, toutes les formes de sacré devant lesquelles nous courbons l’échine dans nos vies, relèvent du « il faut ». L’Évangile, lui, relève d’un un ordre bien différent : l’ordre du « tu peux ». Ca se dit aussi parfois « va, ta foi t’a sauvé ». 

Le Dieu qui nous parle, celui qui nous parle vraiment, et que nous pouvons vraiment entendre, Dieu nous dit « tu peux ». Tu peux ! Ta vie t’a été donnée. Tu es libre d’agir, libéré de tous les « il faut ». Tu peux vivre en sauvé, car ta vie est sauve. Ce n’est plus « tu dois » mais « tu peux » ! Les liens qui te retenaient prisonnier ont été relâchés et ta vie peut s’épanouir.

Le sens de la loi tel que le manifeste Jésus, ce n’est pas la loi en elle-même : c’est l’amour de Dieu. Et ça, rien ni personne ne peut le posséder. Le sens de la loi, personne ne peut en disposer. Ni pour écraser les autres, ni pour s’écraser soi-même. Tu peux bien maîtriser la loi, tu n’en maîtriseras jamais le sens : le sens, c’est quelqu’un, c’est Jésus le Christ, c’est l’amour de Dieu manifesté au monde, incarné, entré dans notre humanité. A qui le reçoit, il est donné d’être délivré des « il faut ». Au moins un petit peu, juste pour libérer l’espace d’une confiance renouvelée. 

En se soumettant à la Loi de Dieu comme à un ordre, on la trahit. En se soumettant à la Loi de Dieu comme à ce qui libère, on en vit. C’est simplement de la confiance, née d’une rencontre avec Jésus-Christ au détour d’un moment de notre vie. 

N’écoutez pas ceux qui vous disent : aimer Dieu, c’est simplement respecter la loi. Même si c’est le chef de la synagogue ; même si c’est votre pasteur ; même si c’est vous-mêmes. Aimer Dieu, c’est le laisser nous libérer de nos liens. 

Car c’est lui seul qui nous dit : 

Va leur dire ! Va leur dire que je les attends, que je suis déjà en chemin.

Va leur dire que mon amour les accompagne, à chaque instant de leur vie.

Va leur dire que dans un regard échangé, dans une parole vraie, je suis.

Va leur dire que ma parole est une promesse.

Va leur dire que mon secours leur est acquis, que ma main soutient chacun de leurs pas.

Va leur dire que j’attends que, au creux de ton silence, tu entendes la liberté qui résonne pour toi comme pour ton prochain.

Car, au cœur de ton être même, il y a une part de toi qui est libre, que tu le saches ou non. Il y a une part de toi qui est libre, que tu le veuilles ou non. Libre à toi d’accepter de vivre ainsi, ou de te soumettre à une multitude d’ordres qui te donnent l’illusion d’être dans le vrai. Libre à toi d’accepter que je te libère, véritablement, pour la vie. 

Ainsi nous parle, à tous et à chacun, notre Seigneur.

Amen !

samedi 21 mars 2020

Prière pour traverser l'épreuve

En cette période inédite et insolite de pandémie, nous voilà Seigneur, amenés à traverser l'épreuve du confinement et de l'isolement.
Préserve nous de la tentation du découragement, du recroquevillement, du repli sur nous-mêmes, et du sauve-qui-peut.
Donne-nous de savoir garder la tête froide et le cœur chaud, de garder raison, de garder confiance, de garder humanité.
Que nos cœurs restent largement ouverts aux besoins de nos proches, de nos voisins, des plus fragiles.
Nous pourrions être saisis par la peur de lendemains incertains et par l'angoisse du vide.
Aide à nous à habiter pleinement le présent, en ta présence, dans l'attention à ce qu'il convient de faire pour nous même et pour les autres. Fais nous emprunter toujours et encore des chemins de vie ; donne nous d'imaginer de nouvelles formes d'activités, de fraternité et de solidarité.
Nous te confions tous ceux que le virus a atteint sévèrement et qui luttent pour la vie, leurs familles inquiètes dans l'impossibilité de les entourer.
Nous te remettons le personnel soignant admirable de courage et de dévouement. Renouvelle leur force.
Nous pensons à tous ceux que ce temps trouble et troublant, fragilise et angoisse.
Nous portons dans nos prières les personnes soucieuses de leur devenir, de leur revenu, de leur travail, de leur vie professionnelle, les entrepreneurs comme les salariés.
Nous intercédons pour ceux qui dans ces moments particuliers sont les premiers oubliés ; les SDF, les plus précaires, les immigrés.
Prier pour eux, c'est à la mesure de nos moyens et de nos possibilités, agir pour eux, avec la force que tu nous donneras.
Que les jours à venir qui correspondent à la période de Carême, deviennent pour chacun l'occasion de se retrouver lui même, devant toi, en vérité sur l'essentiel. Que pour les couples et pour les familles, ce temps soit propice au partage, aux échanges, à l'écoute mutuelle.
Seigneur comme toute épreuve, celle ci peut être négative ou positive.
Ne nous laisse pas entrer en tentation mais donne nous force et foi pour la traverser en restant debout dans la confiance.
Ensemble, liés les uns aux autres, malgré les distances qui nous séparent, nous te disons

Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal,
Car c'est à toi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire,
Aux siècles des siècles,
Amen

Que la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, garde vos cœurs et vos pensées en Jésus-Christ. (Épître aux Philippiens, chapitre 4, verset 7)

Pasteur Denis Heller, le 19 mars 2020

Jérôme Bosch, Triptyque de Job

vendredi 20 mars 2020

Choc du réel

Élian Cuvillier partage avec nous un autre texte sur la situation actuelle. 

Que nous apprend ce temps si particulier que nous vivons, temps de confinement ? Que nous dit ce réel auquel nous sommes confrontés ? Je parle à dessein ici de réel et non de réalité. La réalité c’est ce qui nous entoure et qui est toujours, peu ou prou, soumis à interprétation. Par exemple quand on débat du danger du Coronavirus ou de l’ampleur des mesures à prendre. La réalité ce sont les discours des politiques, des scientifiques, des philosophes, des théologiens ou de l’homme de la rue qui interprètent le phénomène auquel nous assistons. Ce sont les informations qui ne cessent de nous être proposées, en particulier par les chaines d’info en continue. Ce sont bien évidemment ces lignes que vous lisez et qui sont une tentative de donner du sens à ce qui nous arrive. La réalité est donc toujours plus ou moins construite, interprétée : bref, elle se discute. 
Le réel c’est quand cette réalité, discutable et discutée, vient percuter nos existences et, avec elles, nos angoisses les plus profondes, les plus secrètes. Le réel c’est une rencontre. Et cette rencontre fait choc. Elle nous heurte. Nous blesse parfois, rouvrant des plaies plus ou moins bien cicatrisées. Le réel, c’est ce qui arrive dans notre réalité quotidienne. C’est une rencontre qui fait contrainte, un événement dont on ne peut faire l’économie, qu’on ne peut éviter. Il peut parfois être heureux (comme l’événement d’une rencontre amoureuse) ou malheureux (comme l’événement de la fin de ce lien amoureux). Ces derniers jours, le réel a d’abord fait effraction comme un événement plus ou moins brutal, traumatique pour certains d’entre nous, et, pour tous, déstabilisant. Il se nomme le Coronavirus, un virus dont on nous a expliqué pendant de longs jours la réalité mais qui n’avait pas fait réel dans nos existences sauf pour ceux qui en étaient infectés et ceux qui en sont morts. Le réel, très concrètement — réellement devrais-je dire — c’est depuis mardi la décision, qui nous concerne tous, de confiner la population, de suspendre toutes les activités. Ce peut être aussi, je l’ai dit, le fait d’être soi-même contaminé, d’en mourir ou de voir mourir un proche. Cela c’est le réel : quand la réalité du monde vient nous affecter, nous heurter au plus profond de nous-mêmes de façon inattendue. Et c’est toujours un choc. Je l’appelle le choc du réel.
Choc d’abord par son irruption soudaine : nous ne nous y attendions pas. C’était pour les autres, les Chinois, les Italiens, mais pas pour nous. Et alors, notre regard sur ce qui nous entoure s’en trouve aussitôt modifié : ce sont les mêmes choses que nous voyons mais nous les regardons autrement. Avec surprise ou étrangeté. Un matin ensoleillé, signe du printemps, qui prend un tour singulier parce qu’il se présente à nous d’une façon tout à fait nouvelle : nous ne pouvons le vivre comme nous l’avions envisagé et ainsi, il signifie tout autre chose. Il nous porte à la réflexion et fait parfois sourdre en nous une pointe d’angoisse, comme un écho de fin du monde. Plus exactement de fin d’un monde, celui de nos habitudes et de nos certitudes qu’il faut réviser, au moins provisoirement. 
C’est ensuite la fragilité à laquelle nous renvoie cette rencontre avec le réel : nous sommes donc si peu de choses ? Notre existence d’habitude si occupée est désormais désœuvrée, renvoyée au vide qui la guette. De quoi cette journée sera-t-elle donc faite ? Avec quoi la remplira-t-on, puisqu’il faut bien s’occuper pour ne pas être effrayé par la vacuité de nos vies ? 
C’est ensuite les interrogations que cela soulève en nous : à quoi nous raccrochons-nous pour tenir ? Une conviction, des idéaux suffisent-ils ? Tiennent-ils la route devant ce réel accablant et décourageant qui met en question radicalement notre réalité quotidienne ? Il y a aussi les autres. Soit confinés avec nous et il faut alors s’encourager, s’aider, se protéger (c’est difficile quand on vit ensemble !), se supporter, vivre des solidarités ou voir (re)surgir des rancœurs. Soit ils sont loin de nous et alors c’est la crainte et la peur de la solitude, à moins que ce ne soit la culpabilité de les laisser eux-mêmes seuls et isolés.
Peut-être est-ce aussi l’occasion de nous tourner vers ce que, faute de mieux, j’appelle une transcendance ou une verticalité qui peut donner du relief à l’horizontalité de nos vies. C’est-à-dire une parole différente, une parole autre, une parole qui fait altérité, qui fait rupture par rapport au quotidien. Chacun peut la trouver dans la littérature, la peinture, la musique, l’art, que sais-je encore. Mais aussi dans une tradition spirituelle. Or, en cette affaire, il me semble que la parole biblique (dans ses traditions juive et chrétienne) est susceptible d’offrir les ressources nécessaires pour trouver de quoi nourrir la réflexion et encourager en des temps difficiles. Par exemple, relire les Psaumes à la suite du peuple juif, des Pères de l’Église, de la tradition monastique et de la Réforme, peut constituer un soutien pour qui cherche de quoi se nourrir avec autre chose qu’un simple divertissement. 
Et puis, viendra le jour ou le Coronavirus ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Et alors qu’en restera-t-il ? Il est trop tôt pour le dire. Tout dépendra comment nous aurons vécu la période qui s’ouvre. À quel degré nous aurons été rencontrés par le réel Coronavirus. Et dans quel état intérieur nous aurons été rencontrés. Les activités reprendront, la bourse remontera, les voyages recommenceront. Mais comment resterons-nous marqués par cette aventure inédite dans nos vies ? L’humain a cette capacité d’oublier : chez ce mammifère étrange, le plus important n’est pas ce dont il se souvient mais ce qu’il a remisé au plus profond de sa mémoire ! La génération d’après-guerre, celle de nos parents et grands-parents a été durablement marquée par l’occupation. Je me rappelle mes parents faire encore des réserves de sucre dans les années 70 du siècle dernier ! Le souvenir de la privation restait ancré dans leur mémoire. Pour les générations suivantes, la mienne et celle de mes enfants, cela n’avait aucun sens parce qu’elles n’avaient pas vécu cette privation. Et cependant, la précipitation avec laquelle nous nous sommes rués sur les supermarchés dès le confinement annoncé laisse penser que ces réflexes que l’on pensait d’un autre âge sont toujours présents en nous. 
Sans doute la pandémie à laquelle nous sommes confrontés n’a-t-elle rien de comparable avec la seconde guerre mondiale, malgré le fait que « nous sommes en guerre » contre ce virus. Rien de comparable en nombre de morts (pas de génocide, pas de tuerie de masse), rien de comparable en termes de privations (pas de rupture d’approvisionnement et Internet qui permet de communiquer). Mais cependant, maintenant que nous voilà au cœur de l’épreuve, peut-être nous faut-il déjà nous projeter vers demain en nous posant la question avant de l’oublier dans la joie d’une activité retrouvée : en quoi cela doit-il modifier, pour nous qui en aurons été témoins et acteur, notre façon d’appréhender et de vivre ce monde ? En quoi notre réalité — plus ou moins bien construite — doit elle se laisser interpréter, questionner par ce réelqui la rencontre aujourd’hui ? La question est d’ores et déjà posée. Pour la plupart d’entre nous qui ne sommes ni soignants, ni impliqués directement sur le « front » de cette « guerre » étrange, nous avons du temps pour réfléchir. Après tout, c’est au moins un bénéfice de cette rencontre avec le réel que constitue l’épidémie : commencer à réfléchir sur nous-mêmes et sur le monde qui vient, celui de l’après Coronavirus. 

Elian Cuvillier

Eugène Delacroix, Le Christ au lac de Genésareth

jeudi 19 mars 2020

Un temps hors du temps

Mon chat est couché sur mon agenda. En temps ordinaire, ça m'amuserait ou ça m'agacerait, selon le contenu du dit agenda, débordé ou vide. Aujourd'hui, je prends ça comme une question implicite : et aujourd'hui, quoi ? Aujourd'hui, l'ordinaire est réinvesti d'un poids qui avait disparu. 
Dans la suspension de la vie ordinaire se déploie autre chose. Comme un aperçu d'un temps parallèle, que nous ne pouvons entrevoir que lorsque nous ralentissons le nôtre, pour l'habiter autrement. De gérer le temps, nous sommes passés à être obligés d'habiter le temps. Qu'en ferons-nous ? 
Cette question, bien sûr, ne s'adresse qu'à ceux qui sont obligés de s'arrêter, de se retirer de la vie du dehors. Mais ceux qui sont toujours dehors, eux, voient leur temps s'accélérer : il en va de la vie maintenue, dans un combat contre la fatalité. 
La crise profonde qui secoue le monde entier en révèle les fragilités, les lignes de rupture. Ce soir, je pense à tous ceux qui se battent pour que la fragilité ne mène pas à la mort, pour qu'une humanité possible continue à se déployer parce qu'elle est partagée. Pour que des gestes humains, cumulés, permettent de maintenir la vie pour ceux qui voient la leur bouleversée. 
En grec, le mot krisis, qui a donné le mot "crise" désigne le moment décisif d'une maladie, où les choses tourneront soit pour le mieux soit pour le pire, moment critique, moment où le jugement est suspendu, où le glaive va tomber d'un côté ou de l'autre. Ce moment nous fait prendre radicalement conscience de la différence radicale entre un côté et l'autre. La vie, ou la mort. 
La Bible comporte de nombreux passages où le jugement est annoncé, où la vie et la mort sont mises en balance. C'est en général pour appeler les humains à une décision, un changement, une prise de conscience qui fait changer de direction, et c'est toujours dans un contexte d'urgence, de nécessité absolue tout de suite, maintenant. 
Dans les vies trop vides des uns, trop pleines des autres, la crise a des échos différents. Mais j'ai le sentiment que nous avons pris conscience qu'elle nous concerne tous ensemble. Le besoin d'être reliés aux autres, le souci des plus faibles, l'acceptation des consignes de confinement, me semblent en être les signes. La crise nous concerne tous, elle vient réclamer notre plus grande humanité. 
Qu'il nous soit donné d'habiter ce temps hors du temps pour un surcroît d'humanité... 



mardi 17 mars 2020

Et soudain tout s'est arrêté

Aujourd'hui, un texte du professeur de théologie pratique et exégète Élian Cuvillier, partagé avec vous

Jeudi 12 mars 2020, allocution du président de la République : pour lutter contre la propagation du Coronavirus, il annonce la fermeture des écoles, des collèges, des lycées et des universités. Il demande aux plus âgés d’entre nous de rester chez eux et à toute la population de limiter autant que possible ses déplacements. Le lendemain, le premier ministre ajoute que les rassemblements de plus de cent personnes sont interdits. Samedi 14 mars, ce sont les rassemblements non indispensables qui sont interdits (restaurants, bars, cinémas, commerces non alimentaires, cultes publics…). 
Et soudain, tout s’arrête ! Les entrepreneurs, les investisseurs, les sportifs, les églises, les associations, les commerces non essentiels etc. : plus rien ou presque ne fonctionne. Les frontières se ferment (l’espace Schengen n’est plus qu’un souvenir), les supermarchés sont pris d’assaut (comme à la veille d’une guerre), le libéralisme économique chancelle… Au passage, plus question de migrants qui meurent en Méditerranée, ni du conflit syrien qui tue toujours autant et tant d’autres malheurs qui frappent les populations moins favorisées que les nôtres : les médias ont d’autres préoccupations. Même le réchauffement climatique semble ne plus exister !
Tout ce que nous entreprenons et qui nous paraît essentiel n’est en somme que très secondaire : il suffit d’un virus pour que la machine se grippe. La bourse dévisse, le commerce mondial est au plus mal et tout semble figé. La Babel moderne est remise en question… provisoirement, certes, mais quand même ! L’avenir dira s’il était raisonnable de prendre toutes ces mesures. Politiquement, ça l’était, c’est clair. Pour le reste, il faut attendre : principe de précaution et peur de se tromper obligent. 
Mais déjà un premier enseignement : on s’aperçoit, un peu surpris, que l’arrêt généralisé de l’activité (économique, touristique, culturelle, cultuelle et intellectuelle…) ne change rien au cours réel des choses : la terre continue de tourner, la nature de fleurir au printemps, les animaux de vivre. Profitant même du ralentissement de l’activité, la pollution diminue, l’air devient plus respirable. Ironie du sort, le virus est un agent anti-pollution d’une redoutable efficacité. Un peu comme si la nature avait trouvé le vaccin (un virus !) pour se prémunir des humains décidément trop nuisibles pour elle. 
De quoi avons-nous donc si peur ? Pas du dérèglement climatique et de la fin du monde (n’en déplaise aux écologistes). Pas de l’immigration et du terrorisme (n’en déplaise aux nationalistes). Pas de la crise économique et du prix de l’essence (n’en déplaise aux Gilets Jaunes). Pas du chômage et de la modification des régimes de retraite (n’en déplaise aux syndicalistes et aux économistes). Pas des changements bioéthiques (n’en déplaise aux éthiciens et aux religieux). Non. Le seul consensus véritable sur lequel tout le monde se met d’accord aujourd’hui — quelles que soient ses opinions politiques, religieuses ou philosophiques — c’est la peur de la mort sous la forme d’un virus incontrôlable. 
De quoi le Coronavirus est-il le nom ? De ce que nous ne sommes plus en mesure d’accepter ce que Freud nomme le sentiment de finitude et le fatum (la fatalité). On pourrait dire aujourd’hui : l’incertitude. Notre société technicienne prétend tout contrôler et finalement elle n’a peut-être jamais été aussi fragile. Tout est prévu… sauf l’imprévisible. Et, ce que les sociétés encore traditionnelles ou plus précaires économiquement doivent supporter quotidiennement (il suffit d’aller faire un tour dans certains pays d’Afrique pour le réaliser), nous ne l’acceptons tout simplement plus. Que l’on puisse mourir d’un virus, d’une maladie imprévue, sans que l’État ou les services de santé n’y puissent rien, cela nous est devenu insupportable. Que nous ne puissions nous prémunir nous-mêmes et ceux que nous aimons, nous « assurer », contre l’imprévisible, nous est devenu inacceptable. 
Et pourtant, tel est bien peut-être un des enseignements premiers de ce que nous vivons, et quel que soit le nombre de victimes que le coronavirus fera : nous ne sommes pas maître de la vie. Nous pouvons essayer de prévoir, nous protéger — et il est normal que nous le fassions — il n’empêche : ultimement la fragilité première de notre condition humaine ne cesse de se rappeler à nous.
Alors quoi, rien d’autre à dire que ce constat un peu pessimiste ? Et bien si justement. Car, ce constat n’est pas aussi pessimiste qu’il n’y paraît. Le rappel de notre humaine fragilité peut au contraire être l’occasion d’un optimisme dynamisant. Non, nous ne sauverons ni le monde, ni nous-mêmes. Mais, une fois débarrassés de ce poids trop lourd pour nos épaules de démiurges improvisés, nous pouvons alors sereinement et paisiblement agir pour permettre qu’il soit possible d’habiter le monde, et de vivre l’existence précaire qui est la nôtre, aussi bien que possible. Pour nous, nos proches et tout ceux qui nous entourent. Rien de bien extraordinaire en somme. Cela s’appelle : essayer d’être, de devenir et de rester humain. Avec les autres. Car Freud auquel je faisais allusion disait, qu’outre la finitude et le fatum, le troisième problème qui se pose à l’humain… c’est l’autre. L’autre avec qui il faut bien vivre. Et c’est aussi cela que nous rappelle, en creux, le Coronavirus : comment vivre avec l’autre pour qu’il ne soit pas ce poison viral qui m’effraie, cet impur qui me met en danger et dont je dois me tenir éloigné, mais cet autre, imparfait comme moi mais irremplaçable, avec qui je dois essayer de vivre au quotidien. 
Elian Cuvillier

Frans Hals, Young Man with a Skull

lundi 16 mars 2020

Ambiance de fin d'un monde

C'est, aujourd'hui, un temps bien sombre, pour nous tous qui sommes arrachés à nos habitudes, à notre vie, à notre insouciant égoïsme. Nous ne semblons plus avoir de contrôle sur les événements, obligés de les subir et de faire au mieux pour protéger ce qui peut l'être. Doutant, sans doute, de nous-mêmes, de notre monde et peut-être de Dieu. 
Voici Ezéchiel. Vous le voyez, Ezéchiel sur son rocher ? Il rumine.
Il se souvient de l'arrachement lorsque le roi de Babylone, Nabuchodonosor, a contraint à l'exil tous les gens importants du peuple de la petite terre d'Israël, juste pour empêcher tous les autres de se rebeller. Là au moins, il pouvait les surveiller. Loin de la terre promise et donnée, loin de Jérusalem et du Temple, loin leur famille, leur héritage, leurs racines, le petit groupe arraché à son monde survit. C'est un temps bien sombre.
Parmi ces gens exilés à Babylone se trouvait un jeune homme, Ezéchiel. C’était le fils d’un prêtre, c’est-à-dire d’un homme dont le métier était de représenter le peuple d’Israël auprès de Dieu, dans le grand temple de Jérusalem. Ezéchiel, lui aussi, était devenu prêtre. Seulement voilà : il n’était plus à Jérusalem, il se trouvait bien loin, dans la lointaine Babylone. Ezéchiel a vécu ainsi cinq longues années, avec les autres exilés, à Babylone, sur les rives du fleuve Kebar. 
Il tournait et retournait dans sa tête des questions terribles. Il voyait les gens de son peuple souffrir, tellement nostalgiques de leur pays et de leur Dieu que certains préféraient se laisser mourir. Les parents ne savaient plus quoi dire à leurs enfants. Les enfants ne savaient plus comment faire confiance à leurs parents. Il n’y avait plus d’espoir. Au bout d’un moment, tout le monde finissait par croire qu’il n’y avait plus de Dieu – c’était moins douloureux. 
Ezéchiel tournait et retournait tout cela dans sa tête, dans son exil à Babylone, au milieu de ses compatriotes. Et l’angoisse le saisit. Il pensait que son métier de prêtre l’obligeait à encourager ses frères à affronter la souffrance, à rester fidèle à Dieu. Mais il ne pouvait pas s’empêcher de se demander... Où était Dieu ? Que faisait Dieu pour son peuple ? Pourquoi avait-il laissé faire ça, pourquoi ne venait-il pas à leur secours ? Que faisait-il pour son peuple, pour tous les peuples écrasés de la terre ? Pourquoi ne venait-il pas mettre un terme à toutes les oppressions et à toutes les souffrances ? Et pourquoi les humains s’acharnaient-ils à faire le mal sur la terre, même ceux qui avaient connu Dieu ? 
Ezéchiel avait l’impression que l’histoire n’avait plus de sens. En tout cas, si elle avait un sens, il ne le comprenait pas. Personne ne pouvait comprendre... Alors Ezéchiel restait des heures à contempler le fleuve Kebar, assis sur un petit bout de rocher, en cette terre étrangère, et il se demandait : "Que fait Dieu ? Où va le monde ?"
Je crois que tous les humains se posent cette question, à un moment ou à un autre. Il arrive toujours un moment où on a l’impression que tout est trop injuste, trop incompréhensible, surtout quand des gens souffrent alors que, bien sûr, ils n’ont pas mérité ça. Mais c’est là, au bord du fleuve Kebar, loin de Jérusalem, loin de la terre promise, que Dieu, pourtant, va parler à Ezéchiel. Il lui apparaît au milieu d’un arc-en-ciel (Dieu semble avoir un truc pour les arcs-en-ciel), et il lui ordonne d'aller parler au petit groupe des gens d'Israël en exil à Babylone. Il est assez remonté contre eux, d'ailleurs, mais il leur envoie ce prophète en le prévenant qu'ils vont probablement refuser de l'écouter (dur métier, prophète). "N'aie pas peur", lui dit Dieu, ni d'eux ni de leurs paroles, "ce sera comme si tu étais entouré de ronces et assis sur des scorpions", mais n'aie pas peur. Et il ajoute une chose tout à fait étonnante : "Quant à toi, l'homme, ne te montre pas aussi récalcitrant qu'eux, écoute ce que j'ai à te dire. Ouvre la bouche et mange ce que je vais te donner." Ezéchiel, pour raconter l'histoire, reprend les mots de la littérature biblique, les mots des prophètes, le rythme et la fureur des récits prophétiques, et il dit ceci : 
"Je vis alors une main tendue vers moi ; elle tenait un livre en forme de rouleau. Il le déroula devant moi : il était écrit des deux côtés ; le texte était composé de plaintes, de gémissements et de cris de détresse." Celui qui me parlait dit : "Toi, l'homme, mange ce rouleau qui t'est présenté, puis va parler aux Israélites." J'ouvris la bouche et il me fit manger le rouleau. Il ajouta : « Toi, l'homme, remplis ton ventre et nourris ton corps avec ce rouleau que je te donne. » Je le mangeai donc et, dans ma bouche, il eut un goût aussi doux que le miel.
N’aie pas peur, ne soit pas effrayé… Ces paroles, c’est à Ezéchiel que Dieu les adresse ; il lui promet même un front "dur comme le diamant". Ne sois pas effrayé : n'aie pas peur de la folie du monde, de l'absurde des événements, du désespoir qui pointe, de la résistance des humains devant une parole qui sauve. 
Lorsque Dieu dit à Ezéchiel, n’aie pas peur, il ajoute : mange ce livre. Ça, c’est bien la dernière chose à laquelle nous, nous aurions pensé pour faire face à peur ! Manger un livre ! Mange un livre et parle, dit Dieu. Mange le livre des lamentations du peuple, toute l’amertume, toute la colère, tout le découragement… mange l’histoire désespérée, les espoirs inaboutis, les révoltes sans lendemain. Et curieusement, tout cela, dans la bouche d’Ezéchiel, a goût de miel. Et curieusement, cela lui donne la force, le courage de faire face à la peur, et de parler. 
Au fond, c’est une parabole de ce que nous faisons lorsque nous lisons la Bible. Nous ne la lisons pas comme un conte de fées plein de gentilles princesses et de preux chevaliers (même s’il y en a quelques-un.es), mais comme le livre qui nous raconte le monde, avec sa violence et ses compromissions, ses détours et ses accidents, ses malheurs et ses terreurs. Et puis ses beautés et son espérance. Lorsque nous lisons ce livre, lorsque nous « mangeons », nous grignotons, nous savourons ce livre, nous n’en tirons pas un savoir, une sécurité, qui nous protégerait de tout. La Bible ne recèle pas un savoir. La Bible, dans notre bouche, a un goût de miel. Elle nous dit "n’ayez pas peur", comme elle l’a dit à tant d’autres être humains avant nous. Et comme à eux, elle nous donne la parole… Parle, et n’aie pas peur… N’aie pas peur, et parle… 
A notre tour, nous pouvons parler, sans peur. Nous pouvons dire au monde l’espérance qui nous porte. Nous pouvons consoler les exilés. Nous pouvons risquer une parole difficile, exigeante. Qui tient en ces quelques mots : n’ayez pas peur ! ne cédez pas à la peur ! Dieu aime le monde, que vous le sachiez ou non, Dieu aime le monde, et il ne se résout pas à l’abandonner. Il est venu jusqu’au cœur du monde pour nous y rejoindre, jusque dans le pire de notre humanité. Et il n’est pas prêt de déserter… 
N’ayez pas peur ! ayez confiance en vous, parce que c’est par vous que Dieu agit dans le monde. Faites ce que vous pouvez. 
N’ayez pas peur ! ce n’est pas le malheur qui a le dernier mot sur nos vies. 
N’ayez pas peur ! ne vous résignez pas à croire que Dieu est absent, ne vous résignez pas à croire que vous êtes seul et que tout est perdu.
N’ayez pas peur ! quand la foule se jette sur une idée, quand la foule s’émeut et en reste à l’émotion dans de beaux élans spontanés et bruyants, vous, vous êtes fondés sur autre chose.
N’ayez pas peur de montrer à tous les humains la même tendresse que Dieu vous porte. 
N’ayez pas peur ! soyez certains que c’est Dieu qui agit pour le bien, en nous et par nous, et ne craignez pas de vous abandonner à cette grâce qui agit. Nous serons peut-être obscurs, discrets, humbles, mais nous aurons le courage inébranlable que nous donne la grâce. Courage de dire "non" à tout ce qui avilit l’humain. Courage de dire "oui" à ce qui le réconforte et le soutient, même minuscule, même temporaire, même si demain est incertain. 
N’ayez pas peur… 

Gustave Doré, La vision d'Ezéchiel