« Pour bien gouverner l’Église de Dieu, il n’est pas seulement nécessaire que la parole et les sacrements soient purement administrés, mais aussi qu’il y ait quelque police ou discipline, tant entre ceux qui en ont la conduite, qu’entre les particuliers, afin de conserver la doctrine en sa pureté et de garder en bon ordre les assemblées ecclésiastiques, de contenir un chacun en son devoir, et que tous reçoivent avertissement, repréhension, consolation et subvention en leur nécessité, selon qu’il en sera besoin ».
Il y a dans ce texte des échos de l’apôtre Paul quand il rappelle ce qui se trouve au cœur de l’Église et sans quoi il n’y a pas d’Église. On entend aussi des échos des épîtres pastorales, les lettres envoyées aux pasteurs des premières communautés chrétiennes lorsqu’il est apparu qu’il fallait tenir sur la durée parce que que le retour du Christ n’était pas pour tout de suite, et que l’enjeu de la fidélité au Christ impliquait aussi une dimension communautaire et éthique.
Il est fait référence aux critères des Réformateurs sur ce qui fait l’Église : la Parole et les sacrements (le culte) ; la juste doctrine (l’enseignement) ; l’aide aux nécessiteux (la diaconie). Cela désigne en théologie réformée les trois missions de l’Église.
Ce qui sous-tend ce texte surtout, c’est la référence explicite aux grands principes contenus dans la confession de foi de La Rochelle, texte de référence pour les réformés depuis près de 5 siècles.
Tout ceci forme le contexte de ce texte, qui est le prologue de la Discipline de l'Église protestante de Londres et qui date de 1641. Reprenons point par point.
· Il y a Église là où la Parole est reçue et les sacrements droitement administrés :
La Confession de La Rochelle statue en son point 1.28 : « Nous protestons que là où la Parole de Dieu n’est (pas) reçue, et où on ne fait nulle profession de s’assujettir à elle, et où il n’y a nul usage des Sacrements : à parler proprement, on ne peut juger qu’il y ait aucune Église. Partant nous condamnons les assemblées de la Papauté, vu que la pure vérité de Dieu en est bannie, èsquelles les Sacrements sont corrompus, abâtardis, falsifiés, ou anéantis du tout ; et èsquelles toutes Superstitions et Idolâtries ont la vogue. »
Autrement dit, si le culte, et l’Église dont le culte est le cœur, ne respectent pas ces principes, cette église n’est pas une Église.
· Une anthropologie pessimiste
Ayant rejeté l’idée non biblique que les humains peuvent participer à leur propre salut, les Réformateurs rappellent que les humains sont par nature enclins au péché et ne peuvent en sortir par eux-mêmes. Ils font référence parmi beaucoup d’autres textes à la sortie d’Eden mais aussi à l’interpellation lancée par Dieu à Caïn aveuglé par la jalousie juste avant le meurtre d’Abel (Gn 4,7) : « le péché est tapi à ta porte ». Le texte montre que malgré la fraternité, malgré cette interpellation, Caïn ne parvient pas à surmonter le péché qui le ronge.
La Confession de foi de La Rochelle (article 1.9), pose ainsi les choses : « Nous croyons que l’homme ayant été créé pur et entier, et conforme à l’image de Dieu, est par sa propre faute déchu de la grâce qu’il avait reçue. Et ainsi s’est aliéné de Dieu, qui est la fontaine de justice et de tous biens, en sorte que sa nature est du tout corrompue. Et étant aveuglé en son esprit, et dépravé en son cœur, a perdu toute intégrité sans en avoir rien de reste. Et bien qu’il ait encore quelque discrétion du bien et du mal, nonobstant nous disons, que ce qu’il a de clarté, se convertit en ténèbres quand il est question de chercher Dieu ; tellement qu’il n’en peut nullement approcher par son intelligence et raison. Et bien qu’il ait une volonté par laquelle il est incité à faire ceci ou cela, toutefois elle est du tout captive sous péché ; en sorte qu’il n’a nulle liberté à bien, que celle que Dieu lui donne. »
Cette anthropologie rappelle que seule la grâce peut sauver, que notre salut dépend entièrement de Dieu, et qu’il convient de se méfier des efforts des humains pour se faire leur propre salut.
La question se pose alors de savoir comment vivre ensemble ; et pour les Réformateurs, comment être une Église ensemble.
· « Qu’il y ait quelque police ou discipline… » : la nécessité d’avoir des principes d’administration, c’est-à-dire une discipline
C’est d’abord un principe biblique, comme lorsque Paul s’adresse aux jeunes communautés chrétiennes pour les exhorter à la discipline, par exemple en 1 Co 14,40, « que tout se fasse convenablement et dans l’ordre » dans l’Église.
Les Réformateurs ayant ôté au clergé la capacité de gouverner se trouvent face à un problème : si l’ordre de l’institution ne peut plus dépendre d’un système pyramidal qui concentre le pouvoir entre les mains de quelques-uns, comment maintenir une discipline suffisante pour fonctionner ensemble ?
La solution est simple : on confie à l’institution en tant que structure de gouvernement ce qui a été enlevé au clergé. Ce sont désormais les textes de référence qui font loi, qui gouvernent un être-ensemble. La Bible est centrale, ainsi que ses interprétations sous forme de textes de référence comme les confessions de foi, les textes synodaux, les règlements et, à partir de Calvin, la discipline ecclésiastique. Calvin à Genève, disant que nous n’avons pas vocation à vivre « comme des rats sur la paille », met toute son énergie à écrire et mettre en œuvre ce qu’aujourd’hui on appellerait un code de bonnes pratiques et qui est littéralement une discipline, à laquelle tous se soumettent volontairement pour pouvoir former ensemble l’Église.
C’est dans le dialogue, la disputatio, le conflit des idées (qui n’est pas, justement, conflit d’autorité ni de pouvoir), que les textes communs sont élaborés. Sinon, c’est le spectre de l’autoritarisme du clergé qui risque de revenir. La régulation du vivre-ensemble dépend désormais de la participation de tous à ce travail législatif et théologique.
A partir de la Réforme, l’administration c’est du spirituel, car une bonne administration est le reflet d’une bonne théologie. Ce principe protestant explique pourquoi les protestants sont de bons administrateurs : c’est au cœur de leur compréhension de l’Église.
Ce principe exige aussi le respect du principe de la parrhesia imposé par le Christ à ses disciples.
· La parrhesia est un principe grec commenté par Jésus, transmis aux disciples et mis en œuvre dans les jeunes communautés.
C’est, littéralement, le principe de la communication claire, l’injonction à parler librement et ouvertement. C’est un principe éthique qui consiste à dire la vérité, à assumer de dire « je » parce que nous sommes rendus libres de notre parole et appelés à l’habiter vraiment, devant Dieu et devant les humains. C’est un principe risqué : Jésus en meurt, Paul aussi. C’est le risque de la prédication, qui fait le cœur de la vie de l’Église, et pour les Réformateurs c’est aussi un principe de vie communautaire.
Voici comment se conclut la Discipline de 1641:
« Supplions bien humblement ce bon Dieu et Père par notre Seigneur Jésus Christ, qu’il lui plaise d’étendre sa sainte bénédiction pour nous faire tous vivre en union de doctrine (= dans la même foi), étant liés de charité (= d’amour fraternel) mutuelle, et qu’ainsi de même cœur et volonté nous parachevions notre course à son honneur et gloire, à l’édification de l’Église et à notre salut. A lui soit honneur et gloire et bénédiction à jamais, par Jésus Christ notre Sauveur, en la communion du Saint Esprit. »
Amen