mercredi 20 septembre 2017

Un roi parti en voyage

- Dis, mon humaine, à ton avis, comment ça marche, une parabole ?
- Mmffhshff...
- Mioui. Je vois.
- M'enfin mon chaton, il est cinq heures du matin ! ça peut pas attendre que le réveil sonne ?
- ...
- Oui, je sais, tu es un chat. Pour toi, vivre le jour et dormir la nuit c'est une aberration, et que tu le tolères sous ton propre toit n'est qu'un effet de ton immense miséricorde, laquelle n'étant que féline a parfois ses limites. OK. C'était quoi, la question ?
- Les paraboles, à ton avis, comment elles fonctionnent ?
- Tu veux dire, comme celle de la semence qui pousse toute seule, celle où il est dit : "Qu'il dorme où qu'il veille, la semence germe" (Mc 4,27) ?
- Il est dit aussi "Veillez, car vous ne savez ni le jour, ni l'heure." (Mt 24,42)
- "Et lui, il dormait." (Mc 8,24)
- "Vous dormez encore !" (Mt 26,45)
- "L'enfant n'est pas morte : elle dort." (Mc 5,39)
- "Ne dormons pas comme les autres, mais veillons." (1 Th 5,6)
- OK, OK, OK ! Je devrais pourtant savoir qu'il ne faut jamais entrer dans une bataille de citations avec toi ! je me fais avoir à chaque fois! 
- J'ai une question technique à propos de la parabole des talents.
- Miouiui. Voilà : dans la version de Matthieu (Mt 25,14-30), on nous parle juste d'un homme qui part en voyage et qui confie ses biens à ses serviteurs. Dans celle de Luc (Lc 19,11-27), il s'agit d'un homme de haute naissance qui s'en va dans un pays lointain pour se faire investir de l'autorité royale et revenir ensuite. Et le verset d'avant, l'auteur dit que Jésus dit cette parabole "alors qu'il était près de Jérusalem et qu'on croyait qu'à l'instant le Royaume de Dieu allait paraître". Donc, logiquement, il parle de lui-même, non ?
- Oui, sûrement. Mais je ne suis pas sûre que ce soit la chose la plus importante à déterminer. On se doute bien qu'il ne s'agit pas d'un type ordinaire, c'est sûr...
- Le maître qui fait les comptes à son retour, c'est lui, non ?
- Pour l'immense majorité des exégètes, oui, bien sûr. Il s'agit de parler du Christ en train de dire qu'il s'en va vers son avènement mais que tout n'est pas fini pour autant, au contraire, tout commence.
- Alors c'est assez important, non ?
- Oui, évidemment ! c'est essentiel ! et on ne peut pas en faire l'économie dans la prédication... Mais justement, peut-être qu'on a tellement entendu cette parabole, on l'a tellement méditée, qu'on n'entend plus les détails, les aspérités, les accrocs, on va directement à sa signification et on oublie de passer par les étapes du doute et de l'hésitation de lecture.
- Mioui ?
- A un moment ou à un autre, toutes les paraboles déraillent. On avait l'impression d'avoir tout compris, d'avoir distribué tous les rôles et compris toutes les ficelles, et puis il y a un truc qui coince. Et c'est là que ça devient intéressant.
- Mioui ? continue, j'aime bien ta douce voix...
- A un moment, il ne peut plus s'agir de parler de notre monde ni de trouver une compréhension parfaite ni une leçon de morale applicable à nos vies. Il s'agit de voir comment ça parle à côté pour nous entraîner dans autre chose.
- Mmmmm...
- Tu vois, à un moment, il faut prendre une décision sur la place que toi, tu peux prendre dans la parabole. Ne pas rester dehors, mais oser mettre un pied dedans et voir comment tu vis dedans... Tu vois ?
- ...
- J'y crois pas. Il dort.


mardi 19 septembre 2017

Prière

Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses,
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Ne nous soumets pas à la tentation...
Ne nous soumets pas à la tentation de la facilité.
Lorsque le chemin devient escarpé, aide-nous à garder le regard sur l'horizon,
Aide-nous à ne pas le plonger vers l'abîme.
Lorsque la maladie vient frapper, aide-nous à garder, au creux de nous-mêmes,
L'étincelle nécessaire pour supporter le quotidien.
Lorsque la mort rode, aide-nous à dire "non",
A vivre la révolte nécessaire.
Lorsque la mort s'approche, ne nous laisse pas seuls.
Lorsque ta parole résonne dans notre vie, aide-nous à entendre,
Même s'il serait bien plus simple d'écouter
Toutes les autres voix qui nous appellent.
Et qu'ainsi, vivre soit un combat nécessaire et une joie profonde.
Amen

(c) PRG

lundi 18 septembre 2017

D'un bond...

Quand j'étais au collège, ma vie était misérable, essentiellement parce que la vie à la maison était misérable. J'avais heureusement pour professeur une femme extraordinaire qui a su m'encourager dans les petites choses et m'ouvrir les yeux à de plus grandes. Elle m'a permis de ne pas couler à pic. Un jour, elle a raconté à toute la classe une histoire probablement apocryphe, celle d'un concours d'écriture où il s'agissait d'imaginer une suite à un début d'histoire.
Voici quel était ce début :
"Emporté par son poids, il trébucha et tomba dans le puits. Il entendit le couvercle se refermer sur lui, bien avant de toucher terre lourdement dans l'obscurité. Il se trouvait dans une petite salle voûtée éclairée par une bougie posée dans une anfractuosité et ne voyait aucune ouverture sinon celle du plafond par laquelle il était tombé. Il avait de l'eau jusqu'aux mollets. En tournant sur lui-même, il distingua une grille dans un mur mais de l'autre côté, des yeux fixes ne le quittaient pas, surmontant des crocs immenses de crocodiles affamés. Un peu plus loin, une cage, dont la porte était retenue par une cordelette qui commençait à s'effilocher, semblait contenir des rats agités. Ses mains étaient toujours liées dans son dos. Un instant plus tard, un éboulement fracassant vint boucher l'ouverture du plafond. La bougie se renversa et mit le feu à un ballot de paille à côté d'un tonneau d'explosif. Il était pris au piège."
Le lauréat du concours d'écriture avait proposé ce qui suit :
"D'un bond, il se libéra."

L'Evangile, il est là pour moi, dans toute cette histoire : dans le regard favorable, d'où qu'il vienne ; dans le récit des tribulations ; dans la créativité nécessaire face à l'adversité, mais surtout, dans la seconde d'éternité qui précède la libération et l'ouverture d'inimaginables possibles. 
"D'un bond, nous sommes libérés."

Capitaine Mayne-Reid, A fond de cale (1894)

vendredi 15 septembre 2017

Le Samaritain était-il bon ?

Vous connaissez l'histoire. C'est Jésus qui la raconte : un homme se fait agresser par des brigands qui le laissent à moitié mort dans le fossé. Un dignitaire religieux, puis un autre, passe par là et fait un détour pour ne pas s'approcher. Un Samaritain (dont Jésus ne dit jamais qu'il est bon : c'est un sous-titre souvent ajouté dans nos bibles, c'est tout), lui, s'arrête, soigne l'homme, le met sur sa monture et l'emmène dans une auberge où il le laisse aux bons soins de l'aubergiste. Moralité ? Il faut être bon, comme le Samaritain, et se préoccuper de notre prochain qui est bien mal en point. Vraiment ?
Pour décaler un peu notre regard, je voudrais d'abord vous inviter à penser à ces deux dignitaires religieux qui passent sans s'arrêter. C'est un scandale que des hommes de Dieu n'aient pas eu pitié et aient laissé mourir un type au bord de la route, alors que le Dieu qu'ils servent est amour, c'est la première réflexion qui nous vient... 
En réalité, ils ont un comportement parfaitement éthique. S'ils s'arrêtaient, alors qu'ils sont en chemin pour aller exercer leurs fonctions, s'ils s'approchaient et touchaient cet homme et si cet homme s'avérait être mort, ils seraient obligés de se purifier, pour respecter les lois de pureté. Ce qui signifie qu'il ne pourraient pas remplir leurs fonctions religieuses, qu'ils ne pourraient pas servir d'intermédiaires entre les croyants et Dieu. Ils ne pourrraient pas faire ce qui doit être fait pour permettre aux gens de reprendre leur place active dans l'ordre social après s'être mis en règle avec Dieu selon les lois édictées pour son peuple. Cela aurait donc un impact sur l'ensemble de la société. Voilà ce qui est en jeu : le service d'une multitude, plutôt que le service d'un seul. Pour servir une multitude d'humains, ils font le choix (et peut-être le coeur lourd) de renoncer à soigner celui-là. 
Pouvons-nous les en blâmer ? Ne faisons-nous pas ce genre de choix rationnels régulièrement ? Ne soignons-nous pas les nôtres avant les autres que nous ne connaissons pas ? Sans même aller jusqu'à parler de préférence nationale, ne nous semble-t-il pas souvent bien naturel de nous préoccuper d'abord de la misère "de chez nous" avant d'imaginer porter secours à d'autres, pour ne pas éparpiller les moyens et les forces dont nous disposons ? Je ne dis pas que c'est une bonne chose. Mais c'est un comportement qui repose sur une logique, et même une éthique, ça n'a rien d'absurde. Première chose donc : avant de critiquer, réfléchissons aux motifs qui animent ces deux hommes... et aux nôtres.
Deuxième chose : il vaut la peine d'aller voir comment est construite cette histoire. Si vous lisez le texte (qu'on ne trouve que dans l'évangile selon Luc, au chapitre 10), vous constatez que l'histoire du Samaritain est encadrée par un débat entre Jésus et un docteur de la loi. Et c'est cette inclusion qui donne tout son sens à l'histoire du bon Samaritain. Juste avant la parabole, le docteur de la loi demande à Jésus "qui est mon prochain ?". Et juste après, Jésus lui demande à son tour, parlant des hommes de la parabole, "Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ?"
On a pour habitude de se dire, en lisant cette parabole, que notre prochain, c'est celui qui est dans le fossé, très mal en point, et qui a besoin d'aide. Or, la question de Jésus ne permet précisément pas cette réponse. Il demande "lequel de ces trois" est le prochain : c'est-à-dire, est-ce l'un des deux dignitaires religieux, ou le Samaritain ? C'est une question assez fermée qui ne laisse pas beaucoup de place à l'interprétation ! Et l'homme de répondre : c'est le Samaritain, celui qui a montré de la miséricorde envers le blessé. Ce n'est pas le bon gars bien de chez nous, c'est celui qui est rejeté, ostracisé, vu comme un citoyen de deuxième classe, et qui pourtant vient porter secours. Le prochain, c'est celui qui sauve. 
Le prochain, ce n'est pas celui qui doit être sauvé, c'est celui qui vient nous sauver.
Extraordinaire renversement. Mon prochain, c'est celui dont moi, à terre et perdant la vie, j'ai besoin...  Et lorsque, pour finir, Jésus conclut en disant "Va, et toi, fais de même", qu'est-ce que ça signifie ? Qu'il faut sauver le prochain, ou se voir comme celui qui a besoin d'être sauvé par le prochain, l'étranger ? 
Il n'y a pas de réponse générale à cette question. Chacun est, devant Dieu, appelé à y répondre par sa vie.

(c) Annie Vallotton

jeudi 14 septembre 2017

Pour trois sous de Dieu

Dieu ? Vous m'en mettrez pour trois euros, merci.
Pas assez pour faire exploser mon esprit ni troubler mon sommeil,
mais juste assez pour remplir un verre de lait frais,
autant qu'une sieste au soleil.
Je ne veux pas trop de Dieu, il faudrait alors aimer l'homme noir
ou ramasser des choux avec un immigré.
Je veux l'extase, pas la transformation.
Je veux la chaleur du ventre maternel, pas une nouvelle naissance.
Je veux une livre de Dieu dans un sac en papier.
Dieu ? Vous m'en mettrez pour trois euros, merci.

Wilbur Rees (trad. PRG)

(c) Le Devoir

mercredi 13 septembre 2017

Les actes pastoraux ne font pas le chrétien

Trois pasteurs sont en train de discuter de leurs soucis immobiliers. L’un d’entre eux raconte que le clocher de son temple est envahi par des chauve-souris qui font un boucan épouvantable et qui dérangent tout le monde pendant le culte. « J’ai tout essayé, dit-il, j’ai mis des filets, j’ai essayé de les effrayer avec un sifflet à ultra-sons, rien à faire ! » Un des deux autres pasteurs lui dit : « J’ai connu ça aussi. J’ai réussi à régler le problème… momentanément. » « Mince, comment tu as fait ? » « Facile, j’ai nommé une des chauve-souris chef du clocher, elles sont toutes sorties se battre dehors et j’ai fermé la fenêtre. » Le troisième pasteur se met à rire et dit : « Moi j’ai réussi, je n’ai plus aucune chauve-souris dans le clocher ! » « Mais comment tu as fait ça ? » « Facile. Je les ai baptisées, je les ai confirmées, et on ne les a plus jamais revues ! »
C’est une réalité de nos Églises : bien souvent, nous ne revoyons plus ceux que nous avons baptisés et confirmés… 
Certains peuvent s’en plaindre, mais au fond, si on y réfléchit bien, paradoxalement, c’est peut-être une bonne chose. Parce que ce que signifie le baptême, ce que signifie la confirmation, c’est que Dieu nous offre, gratuitement, sans engagement, son amour, pour que nous puissions en vivre, en vivre vraiment. Et ça inclut de pouvoir s’éloigner de son Église, parce qu’il y restera toujours une place pour chacun de nous, quoi qu’il arrive. L’amour de Dieu n’exige rien, l’amour de Dieu n’oblige à rien : c’est un véritable cadeau. Avec le baptême, avec la confirmation, nous disons : Dieu t’offre une place parmi ses enfants, et cette place ne te sera jamais retirée, son amour ne te sera jamais retiré.
Ensuite, c’est à l’Église de se rendre aussi accueillante que possible pour tous les enfants de Dieu, parce que nous avons toujours besoin de nous rappeler ce qui nous a été dit lors de notre baptême et de notre confirmation. Et c’est à chacun de réaliser que d’écouter Dieu chaque jour, chaque dimanche, ou dès que c’est possible, ça nous aide à vivre, à approfondir la joie de se savoir un de ses enfants, et à vivre la foi qui nous a été offerte avec les frères et soeurs d'adoption qui nous ont été donnés.
Nous ne cesserons jamais de le dire et le redire : l’amour de Dieu est gratuit, et c'est un bonheur toujours renouvelé de partager cette nouvelle-là. Quel que soit notre chemin, quelles que soient nos certitudes et nos doutes... 

(c) La Voix du Nord


mardi 12 septembre 2017

Prière

Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses,
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Rends-nous libres des dettes qui nous accablent,
Et libres de délivrer ceux que nous tenons étranglés
Par leur dette envers nous.
Viens trancher dans le vif de nos colères et de nos peurs,
De nos repentirs trop rapides et de nos pudeurs maladives.
Aide-nous à faire place nette, pour que la vie puisse reprendre.
Amen


lundi 11 septembre 2017

Le politique et le croyant

Que chacun soit soumis aux autorités établies ; car il n'y a pas d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu. C'est pourquoi celui qui résiste à l'autorité s'oppose à l'ordre de Dieu ; ceux qui s'opposent attireront un jugement sur eux-mêmes. Les chefs, en effet, ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas craindre l'autorité ? Fais le bien, et tu auras son approbation, car elle est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains, car ce n'est pas pour rien qu'elle porte l'épée : elle est en effet au service de Dieu pour faire justice, pour la colère, contre celui qui pratique le mal. C'est pourquoi il est nécessaire d'être soumis - non seulement à cause de la colère, mais encore par motif de conscience. C'est aussi pour cela que vous payez des impôts. Car les gouvernants sont attachés au service de Dieu pour cette fonction même. Rendez à chacun ce qui lui est dû - l'impôt à qui vous devez l'impôt, la taxe à qui vous devez la taxe, la crainte à qui vous devez la crainte, l'honneur à qui vous devez l'honneur. (Rm 13,1-6)

Paul a été frappé, littéralement, par l'Evangile. Et si l'on en croit ce qu'il en a dit des années plus tard, ce qu'il a compris au fond, ce qui radicalement lui a fait changer de vie, c'est que que la dignité d’un humain est par-delà la moindre de ses compétences propres. Dire cela, pour Paul comme pour nous, c’est affirmer que l’espace social, avec ses règles et ses codes, n’est pas le tout de la vie humaine.  La valeur intrinsèque de la vie humaine n'en dépend pas, ne dépend pas de la conformité à cet ordre ni de ce que nous en pensons. Pourtant, l’apôtre Paul nous appelle au respect radical de cet ordre social. Pourquoi ?
Pourquoi, si chacun est accepté inconditionnellement par Dieu, faudrait-il se soumettre, comme le dit Paul, aux autorités ? Je ne vous le cache pas, ce passage de la lettre de Paul aux Romains a parfois servi, au cours de l’histoire, à justifier tout et n’importe quoi, du renoncement à se mêler aux affaires politiques à la soumission la plus servile, de la justification d’un ordre politique inique à la bataille rangée contre lui. Mais tout cela ne fait que trahir la pensée de Paul. Lorsque Paul dit « soumettez-vous aux autorités », il affirme que l’être humain, livré à lui-même, soumis à nul autre qu’à lui-même, entre nécessairement en conflit avec les autres humains. La loi du plus fort, c’est la loi de la nature, ce n’est pas l’ordre de la création telle que Dieu a voulu la donner aux humains.
Car la nature, ce n’est pas la création ! La nature c’est la loi du plus fort, du plus gros, de la bactérie la plus coriace, du virus le plus efficace. La nature ne se confond jamais avec la création. La variole fait partie de la nature ; avoir réussi à éradiquer la variole fait partie du projet de la création ! La création est devenir, la création est apprentissage d’habiter ensemble.
Reconnaître l’existence d’institutions politiques chargées d’arbitrer, dans un cadre légitime, les luttes de pouvoir et d’influence qui pourraient sinon dominer l’espace social, c’est affirmer que l’humain n’a pas à se soumettre à la loi du plus fort, à la loi de la nature. Qu’un autre avenir est possible que l’écrasement des uns par les autres. Un tel ordre politique est bien un don de la providence de Dieu.
D’ailleurs lorsque Paul écrit ce passage de l’épître aux Romains, il n’écrit pas aux autorités pour les exhorter à un bon gouvernement. Non : il écrit aux administrés, pour leur expliquer l’enjeu que représente l’ordre politique. Il ne se soucie pas de savoir si les autorités sont bonnes ou mauvaises, si elles exercent vraiment la justice, si elles œuvrent véritablement au bien de tous. Cette discussion-là n’est possible, justement, que lorsqu’un tel ordre politique existe. Il ne s’agit en aucun cas de cautionner un ordre établi, mais de légitimer l’existence même du politique, auquel soient soumis les intérêts particuliers et les rapports de force. Oui, les autorités constituées sont une nécessité pour que la liberté puisse se vivre ; pas seulement la liberté du plus fort, du plus méritant, mais la liberté de tous.
Reconnaître l’ordre politique comme un don de Dieu, c’est pour le croyant un motif de conscience. C’est là, et là seulement qu’il peut mettre en jeu sa liberté, afin que la liberté de tous soit respectée. Il ne s’agit en aucun cas de soutenir une forme de gouvernement plutôt qu’une autre, mais d’insister sur l’existence d’un ordre politique qui protège les individus tels qu’ils sont et leur permet d’exercer leur conscience. Il ne s’agit pas de favoriser un ordre moral plutôt qu’un autre, le statut de certains plutôt que le statut des autres, le droit des uns plutôt que le droit des autres, mais justement de libérer l’espace pour que chacun, dans sa singularité, ait la liberté de vivre.
Car, comme le disait Calvin de façon très imagée, nous n’avons pas vocation à vivre « pêle-mêle comme des rats sur la paille ». Nous n’avons pas vocation non plus à sauver le monde – ça, c’est Dieu qui le fait. Nous avons vocation, chacun à notre façon, à nous engager pour un monde plus humain – et cela n’est possible que si la liberté est possible, si le monde social est apaisé et le respect de chacun garanti. Cet espace-là est à défendre à tout prix. Contre la loi du plus fort. Pour que chacun, librement, puisse vivre comme un enfant de Dieu.



samedi 9 septembre 2017

La loi du plus fort

Ils traversaient la Galilée, et il ne voulait pas qu'on le sache. Car il instruisait ses disciples et leur disait : Le Fils de l'homme est sur le point d'être livré aux humains ; ils le tueront, et, trois jours après sa mort, il se relèvera. Mais les disciples ne comprenaient pas cette parole, et ils avaient peur de l'interroger. Ils arrivèrent à Capharnaüm. Lorsqu'il fut à la maison, il se mit à leur demander : A propos de quoi raisonniez-vous en chemin ? Mais eux gardaient le silence, car, en chemin, ils avaient discuté pour savoir qui était le plus grand. Alors il s'assit, appela les Douze et leur dit : Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. Il prit un enfant, le plaça au milieu d'eux et, après l'avoir pris dans ses bras, il leur dit : Quiconque acceuille en mon nom un enfant, comme celui-ci, m'accueille moi-même ; et quiconque m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais celui qui m'a envoyé. (Mc 9,30-37)

La loi de la nature, c’est la loi du plus fort. Quand des enfants crient dans la cour de récréation « c’est moi l’plus fort ! », ils mettent en jeu, pour mieux l’apprivoiser, ce penchant naturel de l’être humain, qui est de suivre la loi du plus fort. L’évangéliste Marc, dans ce texte, nous montre des disciples qui jouent à « qui c’est l’plus fort ». Ils viennent pourtant d’entendre Jésus annoncer sa mort et sa résurrection, ça pourrait les pousser à s’interroger sur le Dieu auquel ils croient, mais non. Ils suivent la pente naturelle de leur humanité, et se poussent du coude en chuchotant en chemin « c’est moi l’plus fort »...
Or le règne de Dieu ne suit pas la loi du plus fort. Jésus, pour dire cela, utilise des images qui nous parlent à tous, car tous nous avons été enfants, tous nous avons été confrontés à cette loi du plus fort qui, du plus lointain des âges, accable l’humanité. Jésus prend un enfant dans ses bras et affirme : croire en Dieu, ce n’est pas suivre le plus fort, c’est accueillir un tout-petit. Pourquoi ? Pourquoi dire cela, et qu’est-ce que ça signifie ?
Tout humain naît comme un bébé. Tout humain doit passer par l’enfance pour apprendre l’humanité. Jésus, pour parler de la foi, ne met pas en avant la connaissance parfaite, l’autorité, mais l’apprentissage, l’incomplétude, le perfectionnement progressif et la dépendance envers un autre que soi-même. Un enfant reçoit tout : l’amour, l’éducation, les soins constants, le langage dans lequel il baigne, les liens qui l’unissent aux autres ; ce n’est que peu à peu qu’il conquerra une autonomie sur tous ces plans. Un enfant ne produit rien : il n’est pas là pour être utile, ou productif, ou efficace. Il n’est même pas là pour montrer des capacités hors norme, pour se montrer exceptionnel. Il est là, simplement, pour vivre et grandir. Il n’y a pas de condition à remplir pour être un enfant. Ce qui rend légitime un enfant, ce n’est pas sa conformité à quoi que ce soit.
De même, le croyant n’est pas un être parfait, au sommet de ses compétences, qui aurait acquis par l’ascèse et toute une vie de renoncements la légitimité qui lui donnerait un droit à siéger en place d’autorité : c’est celui qui ne peut pas faire autrement qu’admettre qu’au fond, il ne sait encore rien. Celui qui est bien forcé, à son corps défendant sans doute, d’admettre que c’est ce qu’il reçoit qui le fait vivre, et pas ce qu’il produit.
Le croyant, celui qui est mis en mouvement par la foi, ne se fait aucune illusion sur ses propres capacités à se montrer légitime par lui-même. Il sait que sa légitimité n’est pas dans son efficacité, dans ses forces, mais dans le simple fait d’exister face à Dieu, accueilli par Dieu. Que c’est dans le regard de Dieu, plein du désir de vie pour lui, qu’il peut puiser ses forces.
Est-ce qu’on entend bien le fond proprement révolutionnaire de cette affirmation ?
Elle dit quelque chose d’essentiel sur Dieu. Dans deux des quatre évangiles, c’est Jésus qui est présenté, le premier, comme un bébé. Et ce n’est pas anodin. Cela nous force à faire face à cette réalité : Jésus, fils de Dieu, ou « fils de l’homme », comme il se désigne lui-même, renvoyant ainsi à un très ancien titre prophétique, Jésus fut bien un enfant humain. La révélation de Dieu sur terre passe par cette humanité faible, sans qualités, sans pouvoir autre que celui de recevoir. Jésus, comme chacun de nous, a été celui qui ne pouvait rien donner, rien produire, mais seulement recevoir, et grandir parce qu’il lui a été donné de vivre ainsi. Dieu est passé par cette humanité... il a pris le risque de mettre en péril son souffle fragile, souffle d’un bébé livré au monde, dès sa naissance. Voilà qui va à rebours de nos images de Dieu. Dieu comme celui qui prend des risques pour s’immiscer dans notre humanité, celui qui prend les mêmes risques que nous pour survivre. Dieu qui manifeste ainsi le lien de fondamentale dépendance entre la vie et le désir qui la porte, dans le regard d’un autre. Or, l’humanité ne supporte pas très bien ce Dieu-là...
C’est pourtant ce que dit Jésus lorsqu’il dit : pour être grand, soyez comme un tout-petit. Pour que votre foi soit grande, dépouillez-vous de toute prétention à gagner votre grandeur par vous-mêmes. C’est le désir de Dieu qui vous fait grandir, dans le lien de confiance qui vous unit à lui. Et rien d’autre. Soyez comme un enfant, c’est-à-dire ne vous faites pas d’illusions sur votre toute-puissance, sur votre capacité à faire vous-même la grandeur de votre foi.
C’est le fameux « esprit d’enfance » évangélique, qui n’a rien à voir avec une innocence primordiale, qui n’a rien à voir avec une puérilité crédule, une espèce de renoncement de l’être dans une soumission simpliste et analphabète, qui n’a rien à voir non plus avec une vertu morale ou une piété religieuse. L’esprit d’enfance, c’est vivre à partir d’un désir qui est hors de nous-mêmes, c’est vivre à partir du désir de Dieu. C’est ainsi que chacun est accepté par Dieu, indépendamment de ses qualités propres, de ses compétences, de ses particularités dans l’espace social. Ce n’est pas l’expérience qui fait le croyant, mais le choix que Dieu a fait de se lier de confiance avec lui, de lui offrir l’espace de confiance nécessaire pour grandir, pour vivre.
Or Jésus dit : pour accueillir Dieu, accueillez l'autre comme s'il était lui aussi ce tout-petit. Accueillez l'autre comme vous êtes accueilli, pas pour ses qualités propres, pas pour ses compétences, mais parce que moi, comme vous, je tiens tout de Dieu le Père. 
Cela nous rappelle, imperturbablement, que nous ne sommes croyants qu'en croyant que nous tenons tout de Dieu.

(c) Eloïse D.

vendredi 8 septembre 2017

Retrouvailles

- Tu m'as manqué, mon humaine.
- Toi aussi, mon chaton.
- Ca s'est bien passé, tes examens à l'hôpital ?
- Bof, tu sais...
- Pas vraiment, en fait.
- Tu sais, quand tu t'installes pour une sieste et que quelqu'un vient te déloger pour te piquer ton coussin ou passer l'azpirateur ?
- Eurk... mioui !
- C'est un peu comme ça... et à la fin quelqu'un vient s'installer au pied de ton lit avec un air mi-dégagé mi-navré pour te dire ce que tu as et ce que tu n'as pas, ensuite tu fais ta valise et tu repars d'où tu étais venu.
- Faire la sieste ?
- Oui. Si tu veux.
- Et c'est quoi, ton petit carnet vert, là ?
- Ah, ça, c'est un cadeau... pour noter les maux et les mots. J'ai plein d'idées pour le blog, tu veux écouter ça ?
- Miaaaanan. C'est l'heure de la sieste.


jeudi 7 septembre 2017

Une leçon de conduite

C'est l'histoire d'un jeune homme qui voulait passer son permis. Tous les soirs, après le lycée, il allait à l'auto-école, pour apprendre le code de la route. Il trouvait ça difficile, mais il continuait, parce qu'avoir une voiture était son plus grand rêve. Il se disait qu'avec une voiture, il pourrait tout faire, tout devenir, tout être... et que le monde n'aurait enfin plus de secrets pour lui. La voiture, c'était la liberté. Sauf qu'il avait le plus grand mal à apprendre le code de la route. Un soir plus difficile que les autres, il est allé trouver son grand-père, qui lui a dit ceci :

- Prends le code, et ouvre-le n’importe où. Maintenant, dis-moi quel panneau tu vois.
- Un stop.
- Alors, qu’est-ce que ça veut dire ?
- Qu’il faut s’arrêter.
- Et ça veut dire quoi, qu’il faut s’arrêter ?
- Et bien, qu’il faut ralentir, rétrograder, freiner, et s’arrêter.
- Sinon, il se passe quoi ?
- Sinon, on risque d’avoir un accident, ou de se faire arrêter.
- Donc si tu ne respectes pas ce que dit le panneau, tu risques gros ?
- Pas forcément, si ça se trouve il n’y a personne au carrefour, alors ça ne gênera personne si on ne respecte pas le stop.
- Alors pourquoi tu le respectes ?
- Parce que ça dit qu’il faut le faire. Au cas où il y ait quelqu’un.
- Alors s’il y a un stop, c’est parce qu’il y a d’autres gens que toi sur la route ?
- Oui.
- Bon. Maintenant, ferme le livre, et ouvre-le à nouveau. Qu’est-ce que tu vois ?
- Un panneau « 50 ».
- Ca veut dire quoi ?
- Qu’on n’a pas le droit d’aller plus vite que 50 km à l’heure.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. C’est le panneau qui le dit.
- Ca veut dire que tu ne vas pas vérifier si le panneau a raison ou non, tu vas juste faire ce qu’il dit ?
- Oui... enfin si c’est le milieu de la nuit, que je vois très loin et qu’il n’y a personne, je peux peut-être aller un peu plus vite... ceci dit, il risque d’y avoir un radar...
- Alors tu fais confiance au panneau de toute façon, que tu saches ou non s’il a raison ?
- Oui, parce qu’il me dit que quelqu’un pourrait être en danger si je ne le respecte pas.
- Donc tu vas le respecter ?
- Probablement.
- Bon, maintenant ferme le livre, et dis-moi ce que tu dois faire.
- Comment ça ?
- Et bien, quel panneau tu dois respecter ?
- Comment ça, quel panneau ? Il n’y a plus de panneau si je ferme le livre.
- Mais tu as bien vu qu’il y en avait au moins deux. Un stop, et une limitation de vitesse à 50. Alors, lequel tu choisis de respecter ?
- C’est idiot, ta question, grand-père...
- Peut-être, mais réponds quand même.
- OK. Alors si je veux respecter les deux, du coup je ne vais pas prendre de risque, et je vais m’arrêter. Comme ça je respecte forcément aussi le 50.
- Donc, tu t’arrêtes.
- Oui.
- Tu coupes le moteur et tu restes là ?
- Oui.
- Alors, à quoi ça sert de passer ton permis ?

Le jeune homme en est resté comme deux ronds de flan. Comme vous, j'espère. Comme nous tous. Quand on referme la Bible, on respecte quelle loi ? Si on ne veut pas prendre de risque, on s'arrête et on coupe le moteur. On s'arrête de vivre. On devient mort. Et parfois, on impose aux autres de s'arrêter de vivre. C'est ça que veut dire Paul, quand il dit dans l'épître aux Romains (Rm 7,7-11) que notre rapport à la loi, au code de la route de la vie, est perverti par une profonde incapacité à la suivre de façon vivante. Il dit cela de façon assez cryptique, avec ces mots : "le péché a capturé la loi et m'a fait mourir". C'est que le péché est ce qui nous fait fermer le livre de la loi, avec pour seule consigne : maintenant, on fait le mort.
Est-ce que c'est cela que Dieu a voulu en nous donnant sa loi ? Non.
Est-ce que c'est cela qu'ont prévu les législateurs en mettant en place toute une série de panneaux indicateurs ? Non.
Ce qu'ils avaient prévu, c'est que ces lois nous aident à circuler, à aller voir ailleurs, à visiter, à rencontrer, à découvrir, à vivre, sans être des dangers publics et sans que les autres soient des dangers publics pour nous. De même, ce que Dieu avait prévu, c'est que sa loi aide les humains à vivre, en se respectant soi et en respectant les autres, sans se mettre en danger et sans mettre en danger les autres. Sauf que nous, on s'amuse à fermer le livre et à se poser des questions sur quelle loi il faut suivre, pour finir par n'en suivre aucune, pour ne pas prendre de risque.
Si vous vous décidez à lire tout ce que contient la Bible puis à fermer le livre et à décider de suivre toutes les lois à la fois, vous passez à côté de ce que la Bible est réellement : un don de Dieu pour la vie. Vous en ferez, à la place, un don de mort. Par contre, vous pouvez la lire comme un code destiné à ouvrir de nouvelles routes, de nouveaux espaces, des paysages insoupçonnés. Et là, vous vivrez. Parce que vous entendrez qu'il ne s'agit pas de lire des lois mortes, mais d'entendre une voix vivante. Alors, vous accueillerez la vie que Dieu vous donne. 





mercredi 6 septembre 2017

Prière

Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses...
... parce que sinon, nous allons rester coincés dans une vilaine relation avec toi.
Nous préférerons avoir peur, nous préférerons ressasser,
Nous préférerons essayer d'être parfaits pour te faire plaisir,
Juste pour être sûrs que tu nous aimes quand même.
Ne nous force pas à jouer ce jeu-là...
On y perdrait notre vie.
Offre-nous le pardon qui laisse le passé dans le passé,
Le pardon qui ouvre un avenir à venir...
Reprenons le chemin commencé.
Amen

(c) kirkandmimi sur Pixabay

mardi 5 septembre 2017