- Dis, mon humaine, dans ton système, là, qui mérite le salut ?
- Mon chaton, déjà ce n'est pas "mon" système, il existait bien avant ma naissance et je fais comme tout le monde, j'essaie de comprendre comment il marche et ce qu'il vaudrait mieux laisser dehors. Et puis je te retourne la question : à ton avis, qui mérite le salut ?
- Les gens qui pensent à remettre des croquettes. Et des bonnes, hein, pas des trucs cartonneux "goût saumon", on me la fait pas, à moi.
- Je vois. Et qui d'autre ?
- Euh... je sais pas. Les poissonniers ?
- Hmmm. Et ?
- Et les gens qui conduisent les camions qui amènent les crevettes jusqu'au poissonnier ?
- En gros, tous ceux qui concourent à la satisfaction de ta gourmandise, quoi.
- Pas ma gourmandise. Le strict minimum pour ma survie matérielle et émotionnelle.
- Je vois. Et les pourvoyeurs de gratouillis, non ? Ni les gens qui cousent des coussins dodus et moelleux ? Ni les plombiers qui font en sorte que le robinet soit réparé pour que tu ailles lécher les gouttes ?
- Si si. OK. Ceux-là aussi.
- Et quelques autres ?
- Et quelques autres, si tu veux.
- Mais lesquels, mon chaton ?
- Ah, pour ceux-là, mon humaine, je laisse Dieu décider.
- Alors on est revenus à ta question de départ : au regard de Dieu, qui a droit au salut ?
- Oui, mais au milieu de la discussion on a parlé de crevettes, alors tout va bien.
- Tout va bien parce que tu n'as aucun pouvoir mon chaton (sauf le pouvoir de la persuasion, qui est très grand, la force est puissante en toi). Mais sérieusement : la seule question qui importe à propos du salut, c'est "au regard de qui ?" Le problème, c'est que ceux qui ont le pouvoir de se prononcer sur la question ne sont pas Dieu et que c'est un pouvoir dont il est très facile d'abuser. Il faut pouvoir tenir fermement au salut comme ce qui se joue devant Dieu et nulle part ailleurs. Et alors, si on tient ça, la question qui reste c'est "Qui est ce Dieu ?" Avec quel Dieu un lien de confiance peut-il se créer, pour ne pas avoir peur de dépendre de lui pour ton salut ?
- Je vois. Mais tu n'as pas dit ce que c'est, le salut.
- Certes. Mais c'est simplement parce que personne n'en sait rien. On a des idées, on sait globalement ce que ça ne peut pas être, on a des métaphores pour dire ce que c'est, mais strictement parlant, personne ne le sait. Ce qui est peut-être bien une bonne nouvelle : ça rend les humains incapables de trancher et ça laisse cette décision strictement à Dieu. Enfin... en principe. Parce qu'en réalité, il y a bien des forces à l'oeuvre qui se mêlent de nous dire ce qu'est le salut. Depuis les religions qui imposent des codes de morale à une économie triomphante qui nous explique que travailler pour consommer c'est être, à nos propres parts d'ombre qui essaient de nous faire rejouer des tentatives pour nous sauver nous-mêmes ou aux machisme/racisme/haines ambiantes qui affirment que seuls les hommes/blancs/purs ont droit au salut... ça fait du monde à se croire propriétaires de la question.
- Vous êtes impossibles, vous les humains.
- C'est bien pour ça, mon chaton, qu'on a besoin d'aide.