Pour aborder la deuxième partie du livre de Carey Nieuwhof, je me heurte à un problème de traduction. L'auteur, en effet, y aborde un concept passionnant : le character, en anglais dans le texte. Si on traduisait simplement par "caractère", on passerait totalement à côté du sujet. En français, le caractère désigne essentiellement l'affectivité : on a un caractère coléreux, sensible, joyeux. En anglais, il s'agit plutôt du caractère moral, de la structure de la personnalité, de ce qui fait agir de bonne ou mauvaise façon : beaucoup moins l'affectivité que l'éthique personnelle et l'engagement dans sa propre action. Autant le "caractère" à la française n'est pas tellement au risque du compromis, autant le character de la langue anglaise prend là tout son sens.
Si, dans ma vie morale, dans les choix que je fais, les engagements que je prends, je me laisse aller au compromis en lâchant un peu ou beaucoup sur l'honnêteté, la sincérité, les promesses que je fais, les obligations que j'ai, que se passe-t-il ? L'auteur nous dit que c'est une question centrale. Il y a un grand risque à ne pas cultiver son propre character.
Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais... Le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais... Je découvre donc ce principe : moi qui veux faire le bien, je suis seulement capable de faire le mal. Au fond de moi-même, je prends plaisir à la loi de Dieu. Mais je trouve dans mon être une autre loi qui combat contre celle qu'approuve mon intelligence. Elle me rend prisonnier du péché qui est en moi. Malheureux que je suis !
Le compromis se cache en nous. Ça relève, au fond, de notre nature humaine, de la pente naturelle de notre humanité. La bataille entre la volonté de faire le bien et la pente qui nous pousse au compromis est de toujours.
Plusieurs signes nous permettent, nous dit l'auteur, de voir ces compromis en nous : un abîme se creuse entre notre vie publique et privée ; nous cachons des choses ; nous manquons à notre parole ; nous justifions nos mauvaises actions et mauvaises décisions ; nous nous refermons sur nous-même. Résister à tout cela, travailler son son propre character, demande du travail, de l'honnêteté, et c'est inconfortable : on ne peut plus accuser les autres, ou les circonstances. Et puis il est probable que personne dans notre vie n'aurait l'idée de nous demander de développer notre character pour résister aux compromis et aux compromissions. Personne ? si, en fait. Pour les chrétiens, il semble que Jésus ait abordé la question, nous dit l'auteur. Il l'a fait dans la parabole du chemin étroit, celui que bien peu prendront...
Ce chapitre du livre de Carey Nieuwhof me semble particulièrement important. Il vient toucher à un côté du ministère qui m'a toujours laissée incertaine : quand on vient demander au pasteur "ce qu'il faut faire". Oh bien sûr, je peux exhorter à la vie bonne, accompagner sur des chemins où lâcher colère, rancunes et impasses, parler de douceur et d'honnêteté. Mais dire ce qu'il faut faire ? Au nom de quoi saurais-je mieux que la personne ce qu'il importe qu'elle fasse ? Et pourtant, il importe de ne pas oublier cette exigence de vie bonne, de vie difficile, qui consiste à rechercher le chemin étroit, à la seule boussole de la grâce.
Nous verrons, au chapitre suivant, si l'auteur nous propose des pistes pour aborder cette question de façon concrète. La suite, donc, au prochain billet !
Vous voyez qui est Lewis Carroll ? Oui, l'auteur d'Alice au pays des merveilles. On ne le sait pas forcément, mais c'était un diacre de l'Eglise anglicane, qui n'a cessé tout au long de sa vie de s'interroger sur ce que signifie réellement être chrétien. On en fait souvent le portrait d'un homme pas vraiment mûr, fasciné par les petites filles, qui se perdait dans des histoires charmantes à destination des enfants. Grave erreur, car toute sa vie ne se résume pas à Alice, et il a écrit beaucoup d'autres choses. Dans la préface à son dernier roman, Sylvie et Bruno, il écrivait que le véritable devoir d'un être humain dans la vie était "le développement du character, l'élévation progressive vers un niveau plus élevé, plus noble, plus pur, la construction de l'Homme parfait". Cette phrase a mis en colère des tas de gens, outrés que cet auteur si drôle, si innocent, si léger, se laisse aller à des considérations aussi moralistes et adultes... Que voulait-il dire par là ? Tout simplement ce que Carey Nieuwhof, plus d'un siècle plus tard, nous dit à son tour : il importe de se préoccuper de ce que nous sommes. De ce qui nous fait agir. De notre intériorité telle qu'elle se manifeste dans nos actes les plus simples, les plus quotidiens. Car agir bien, être quelqu'un de bien, ce n'est pas une façade, c'est quelque chose qui est issu de notre profondeur, c'est véritablement notre intégrité qui est en jeu. Et la compromission, nous dit l'auteur, commence par de petits compromis.
Encore faut-il se mettre d'accord sur le fondement théologique de ce que signifie "agir bien". L'auteur prend soin de préciser cette question. Il y a deux façons de considérer une "action bonne" en matière de religion : soit on agit bien pour gagner quelque chose (son paradis, son salut, le droit de vivre, la liberté, quel que soit le nom que vous voulez donner à ce qui doit être gagné), soit on agit bien parce qu'on l'a déjà gagné. Or pour les chrétiens, le paradis, le salut, sont déjà gagnés, déjà offerts. C'est fait : plus besoin de passer sa vie à s'en préoccuper.
On voit, bien sûr, tout le potentiel danger d'une telle affirmation. "Mais alors, ça sert à quoi d'agir bien ?" "Qu'est-ce qui va garantir que les gens vont bien agir ?" L'absence de sanction génère, bizarrement, une immense peur.
Il y a aussi la question de savoir si c'est seulement possible, d'être quelqu'un de bien, comme ça, sans rien y gagner. L'auteur cite longuement Paul dans l'épître aux Romains :
Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais... Le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais... Je découvre donc ce principe : moi qui veux faire le bien, je suis seulement capable de faire le mal. Au fond de moi-même, je prends plaisir à la loi de Dieu. Mais je trouve dans mon être une autre loi qui combat contre celle qu'approuve mon intelligence. Elle me rend prisonnier du péché qui est en moi. Malheureux que je suis !
Le compromis se cache en nous. Ça relève, au fond, de notre nature humaine, de la pente naturelle de notre humanité. La bataille entre la volonté de faire le bien et la pente qui nous pousse au compromis est de toujours.
Plusieurs signes nous permettent, nous dit l'auteur, de voir ces compromis en nous : un abîme se creuse entre notre vie publique et privée ; nous cachons des choses ; nous manquons à notre parole ; nous justifions nos mauvaises actions et mauvaises décisions ; nous nous refermons sur nous-même. Résister à tout cela, travailler son son propre character, demande du travail, de l'honnêteté, et c'est inconfortable : on ne peut plus accuser les autres, ou les circonstances. Et puis il est probable que personne dans notre vie n'aurait l'idée de nous demander de développer notre character pour résister aux compromis et aux compromissions. Personne ? si, en fait. Pour les chrétiens, il semble que Jésus ait abordé la question, nous dit l'auteur. Il l'a fait dans la parabole du chemin étroit, celui que bien peu prendront...
Ce chapitre du livre de Carey Nieuwhof me semble particulièrement important. Il vient toucher à un côté du ministère qui m'a toujours laissée incertaine : quand on vient demander au pasteur "ce qu'il faut faire". Oh bien sûr, je peux exhorter à la vie bonne, accompagner sur des chemins où lâcher colère, rancunes et impasses, parler de douceur et d'honnêteté. Mais dire ce qu'il faut faire ? Au nom de quoi saurais-je mieux que la personne ce qu'il importe qu'elle fasse ? Et pourtant, il importe de ne pas oublier cette exigence de vie bonne, de vie difficile, qui consiste à rechercher le chemin étroit, à la seule boussole de la grâce.
Nous verrons, au chapitre suivant, si l'auteur nous propose des pistes pour aborder cette question de façon concrète. La suite, donc, au prochain billet !
Raphoz |
La difficulté est de s'y tenir, sur ce chemin. Pas d'y entrer mais de s'y tenir.
RépondreSupprimerMais pourquoi dites-vous que le salut est deja gagné ?
Je réponds à cette dernière question dans le billet suivant ! C'est une question essentielle en effet.
RépondreSupprimer"L'absence de sanction génère, bizarrement, une immense peur." J'ai vraiment constaté que pour certains, sans sanctions en cas de fautes, agir "bien" n'a aucun intérêt. Mais si on ne parlait pas de sanctions mais plutôt de récompenses ? D'une certaine manière, peut-on continuer de désirer agir "bien" sans attendre (même de manière inconsciente) de récompenses ?! Si je ne crois pas vraiment que je serais sanctionnée ni récompensée dans un au-delà incertain, agir « bien » donne tout de même accès à une certaine forme de récompenses dans le présent, et qui permet, me semble-t-il, de tenir la route. Dans le cadre du ministère, je pense aux "récompenses personnelles ou sociales". Sans, comment avancer ? Vivre sans récompenses, c'est comme manger des aliments au goût insipides et continuer de les manger car il paraîtrait que c'est bon pour nous, sans en voir les effets sur notre santé ou sur notre corps. Les récompenses personnelles et sociales pourraient être alors : être content de soi, satisfait de son travail, ou bien encore recevoir une parole de reconnaissance ou un simple merci. Mais, est-ce que j'agis ou j'offre mon temps pour un merci ? En théorie : non, je ne le fais pas POUR ça. Mais je peux continuer de le faire avec confiance et envie GRACE à ça. Cependant, la question qui demeure c’est « qu’est-ce qu’agir bien » ? « Bien », selon qui ? Un merci, un geste ou une parole de reconnaissance disent-il vraiment que j’ai bien agi / bien parlé ?
RépondreSupprimerLes autres je ne sais pas, mais moi j'ai besoin de signes de reconnaissance tout simplement parce que je ne suis pas un réservoir sans fond... mais je suis d'accord avec toi, ça ne touche pas au fond théologique du problème.
RépondreSupprimerTout à fait, c'est ce que je voulais soulever : on ne peut pas faire sans reconnaissance. Une certaine forme de récompense donc. Est-ce que la récompense ça ressemble un peu à la sanction, mais à l'envers ? Une forme de carotte pour avancer ? :-)
RépondreSupprimerPeut-être deux façons de voir la reconnaissance : soit elle valide un objet (ce truc mérite quelque chose), soit elle valide un sujet (ce sujet mérite d'être reconnu juste parce qu'il est sujet). Je n'arrive pas trop à formuler ça... qu'en penses-tu?
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