vendredi 3 août 2018

Cynisme et curiosité

J'ai eu la chance de recevoir récemment une copie en pré-publication du prochain livre du pasteur canadien Carey Nieuwhof, Didn't See It Coming, à paraître en septembre 2018. Après avoir vécu, ces derniers mois, des moments difficiles, c'est une lecture qui tombe à point nommé. Puisqu'il m'y autorise, je me permets de partager ici avec vous quelques impressions de lecture. 
Carey Nieuwhof, après avoir été avocat, a reçu une vocation qui l'a poussé vers le ministère pastoral où il s'est épanoui et a vécu avec bonheur une croissance importante de son Église locale. Pourtant, et malgré le soutien de son entourage, il a fait un burn-out qui a failli le dégoûter pour de bon du ministère. Ce livre représente une réflexion honnête, sans doute douloureuse, sur les circonstances de cet accident de vie, et un message d'espérance pour tous ceux qui, hors de l'Eglise et dans l'Eglise, se trouvent confrontés à la perte de sens et à l'épuisement moral. Il insiste là-dessus : ce n'est pas propre à l'Eglise. Ce qu'il esquisse, c'est plutôt l'attitude spirituelle, mentale, qui pousse peu à peu vers l'impasse. 
Ce n'est pas une condamnation : à vrai dire, l'être humain est ainsi constitué qu'il court le risque de s'épuiser dans des impasses malgré sa meilleure volonté. 
Le chapitre 1 parle du cynisme, et pas pour le condamner là encore, mais pour en retracer l'origine. Qu'est-ce qui fait que quelqu'un qui était idéaliste, plein/e d'énergie, finit par tout voir en noir et laisser le cynisme le/la paralyser ? Il évoque un épisode particulier de son ministère, où il s'efforce de porter assistance à un couple qui vit de grandes difficultés, et à encourager la communauté à faire de même. C'est un accompagnement qui prend du temps et de l'énergie : "il m'arrivait d'avoir l'impression que les aider était comme essayer de vider l'océan à la petite cuillère, mais j'étais bien décidé à me mettre à leur service et à rendre visible la grâce de Dieu". Le jour où ce couple claque la porte de l'Eglise en reprochant au jeune pasteur et à toute la communauté de ne pas faire assez pour eux, c'est une véritable claque : "J'étais choqué, j'étais en colère, j'avais le coeur brisé. En fait, je n'avais aucune catégorie dans laquelle mettre ce qui venait de se passer". C'est alors que le cynisme fait son apparition. Comme une petite voix qui dit : "Ça ne sert à rien. Tout ce que tu as investi n'était qu'une perte de temps et d'énergie. Et tu sais quoi ? S'il peut te faire ça, d'autres pourront le faire aussi. Alors arrête de t'investir autant. Arrête d'investir dans les gens comme tu le fais. Arrête de donner autant de toi. Les gens vont juste se servir de toi et te rejeter, de toute façon. Ça ne sert à rien". 
C'est une expérience que nous avons tous faite, plus ou moins intensément. Aucun être humain ne peut y échapper. A un moment ou à un autre, nous sommes tous déçus, nous sommes tous déterminés à nous protéger à l'avenir. Nous avons la tentation de cesser d'aimer, de faire confiance, de nous livrer, d'aider, de servir... Nous cessons de croire que c'est possible !
Et voici ce qui, je le crois, a le plus de sens pour comprendre comment ça se noue (et du coup, comment ça peut aider à se dénouer) : "Le cynisme s'installe non pas parce que rien ne nous tient à coeur, mais justement parce que ça nous tient vraiment à coeur" ("Cynicism begins not because you don't care but because you do care"). Les cyniques sont, en réalité, des optimistes déçus. 
Seulement, peut-être bien que le cynisme est un choix. Un choix de facilité, parce qu'il est plus facile de croire que rien ne sert à rien, un choix pour se protéger - mais un choix. Il n'est pas obligé de s'y résigner : l'optimisme peut rester de saison.
L'auteur nous propose alors un "truc", un antidote au cynisme : la curiosité. Il dit avoir remarqué que "les cyniques ne sont jamais curieux, les curieux ne sont jamais cyniques". Or la curiosité, c'est un muscle qui se travaille, un choix conscient à faire pour rester ouvert à la nouveauté, à la possibilité... à la grâce donc. Choisir d'être attentif, d'être à l'écoute, de se donner ce temps-là, choisir de rêver : c'est ainsi qu'on peut se préserver du cynisme.
Avez-vous un avis sur la question ? vous pouvez laisser un commentaire pour ouvrir la discussion.
Quant à moi, je me propose de continuer à lire ce livre avec vous. Prochain chapitre, le compromis : nous avons encore bien des choses à découvrir.

Mélancolie (1789)

5 commentaires:

  1. Très intéressant. Avant de commencer la théologie, j'ai vécu une situation proche (quoique moins forte), avec en effet le cynisme qui prend le dessus (que je laisse prendre le dessus). Et en effet, c'est davantage parce que c'était un optimisme déçu (trahi ?) qu'un soudain désintérêt pour ce qui était en jeu. Hâte de découvrir la suite de tes impressions de lecture.

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  2. L'attention est un grand remède à beaucoup de choses. Mais elle-même n'est pas toujours facile à trouver. Il y faut des efforts.

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  3. Merci pour vos commentaires :-)
    La curiosité, l'attention, ça fait partie des choses à cultiver, et même pour lesquelles se battre pour en garder le temps. Trop souvent je le crains, l'urgence permanente nous pousse à assurer l'essentiel des choses à "faire" en oubliant les choses à "être" ! C'est un peu le thème du chapitre suivant. J'y reviens dans quelques jours. A bientôt !

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  4. Vraiment interessant. Je vois ici ou là (chez mes proches collègues, j'avoue) beaucoup de cynisme et je comprends en lisant qu'il s'agit sans doute d'optimisme déçu. Le soucis c'est que ça se transmets vite, comme un rhume, le "à quoi bon ?". Je le vois chez moi aussi, de plus en plus fréquemment. Un collègue m'a dit un jour "Fais attention : le ministère pastoral n'est pas une course de vitesse mais c'est plutôt un travail d'endurance." Depuis, je ne vois plus le ministère comme une suite de sprints, mais plutôt comme un marathon où il est autoriser de s'arrêter pour le ravitaillement, ralentir le ryhtme si besoin, mais il est vrai, surtout essayer de courir à un rythme pas trop lent pour ne pas être à la traine mais pas trop vite non plus pour ne pas s’essouffler au 5ème kilomètre... Le gros soucis : les crampes. Douloureuses, elles donnent envie d'arrêter la course sur un coup de tête et immobilisent la motivation pour qq temps...
    Pour revenir à l'article et quitter mon image, la curiosité doit faire parti du remède, mais je dirais que l'amour aussi. Continuer "d'aimer" les gens en s’intéressant vraiment à eux, malgré tout. C'est peut-être ce que l'auteur entends par "curiosité". Mais il y a des fois où cela est impossible d'être un curieux rempli d'amour... Que faire ?!

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  5. Un collègue qui avait de la bouteille m'a dit un jour que l'essentiel c'était le "ôs mè"... Agir, aimer, mais avec cet infime pas de côté qui fait qu'on n'y engage pas son être même. Je dois avouer ne pas être particulièrement douée pour ça...

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