mardi 31 mars 2020

Les mots pour le dire

L'effort n'est pas encore pour maintenant. Dans quelques jours, déjà, il faudra se confronter à la perspective d'une vie qui résiste à la mort... mais pour l'instant, ce qu'il nous faut, ce sont des mots pour dire la mort. Pour la dire sans éviter de la regarder en face. Pour la dire sans hésiter à souffrir à cause d'elle. 
Pour la dire, surtout, pour d'autres que nous-mêmes. Pour tous ceux qui l'affrontent au quotidien, qui se battent contre elle. Pour tous ceux que nous avons oubliés, à nos frontières, dans nos bidonvilles, dans nos prisons, dans les failles et les points aveugles de notre société. C'est le moment de dire la douleur de la pauvreté, pas la belle, celle que nous souhaitons, celle de la simplicité et de la clarté par manque d'encombrement, non, l'autre, la misère, la terrible, celle qui ne sait pas d'où viendra le prochain bout de pain. C'est le moment de nous lamenter avec celles qui souffrent parce qu'elles sont physiquement plus faibles qu'un homme, empêtrées dans l'obligation de rester et qui n'ont même pas les mots pour dire la culpabilité. C'est le moment aussi de dire le refus de l'avidité qui condamne les uns au trop de tout et les autres au manque de tout. Nous avons les mots pour cela, nous avons la révolte pour cela. Nous avons le temps pour cela. 
Toi, Dieu, pourquoi as-tu abandonné ? Pourquoi as-tu renoncé à accompagner ceux qui souffrent, ceux que nous avons, nous, oubliés ? Pourquoi es-tu si absent ? 
Nous avons les paroles faciles pour dire que tu es là malgré tout, que tu luttes avec nous, contre la misère et la douleur et la peur, et pourtant, notre expérience de chaque jour, c'est que tu nous laisses nous débattre seuls. Si elles sont trop faciles, ces paroles, elles tuent, elles nous font baisser les bras, détourner le regard, oublier la douleur. 
On ne peut les dire en vérité qu'en ayant fait l'expérience de ta présence malgré tout. On ne peut les dire que si on se met soi-même à l'épreuve d'en être relevés. 
Pour l'instant, nous avons les mots pour nous lamenter avec le monde, parce que nous ne craignons pas de rejoindre le monde avec ces mots-là. En vérité. 
Bientôt, dans quelques jours, nous serons appelés à croire bien plus incroyable que cela : que la mort a été vaincue. C'est beaucoup plus difficile à croire parce que nous n'avons pas les mots. La mort, nous la voyons, nous la craignons, nous nous en lamentons avec le monde. La résurrection, c'est autre chose... Qui nous donnera les mots pour la dire ? 
Peut-être que de ce creux, de cette absence de mots au coeur de tous ces maux, naît doucement le désir puissant de cette vie nouvelle qui s'apprête à surgir... 

Dirk Van Baburen, Le Couronnement d'épines

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