Qui a le droit de dire ce qui est juste ?
Trop souvent, ceux qui disent ce qui est juste le décrètent pour les autres et à leur place. C'est d'ailleurs une nécessité sociale, pour la régulation nécessaire des actes et des paroles, pour ne pas que la liberté des uns attente à la vie des autres.
Mais ça devient un problème si ceux qui décrètent ce qui est juste ne voient même pas qu'ils sont en train de passer à côté de la réalité de la vie des autres. Par exemple : j'ai lu dernièrement un texte d'un monsieur tout à fait furieux du délitement des valeurs de notre temps. Il se lamentait que les "vraies valeurs" ne soient plus respectées et ajoutait qu'au moins, à son époque (ce n'est pas un monsieur très jeune), ceux qui voulaient vivre autrement que la bonne société savaient se tenir à leur place et ne pas se faire remarquer : ils avaient choisi une vie alternative, il fallait assumer de vivre dans l'ombre. Avec cet argument, ce monsieur place un signe d'égalité entre justice et tranquillité des bonnes gens. Ce qui lui semble juste, à lui, c'est que personne ne vienne mettre en doute ses certitudes sur la vie bonne ; ce qui serait juste pour ceux qu'il repousse ainsi dans l'ombre, ce serait d'être à égalité de droits et de vie avec tous les autres, sans avoir à se cacher.
Sommes-nous bien conscients de se qui se cache sous notre idée de la justice ? Est-ce, dans notre esprit, la simple tranquillité qui nous évite d'avoir à nous pousser un peu pour faire de la place à d'autres différents, ou la recherche toujours remise sur le métier du respect de chacun dans sa réalité propre ?
Lorsqu'un raciste prétend affirmer que la justice recherchée par une personne dite "de couleur" n'est pas légitime, il décrète que cette justice-là n'est pas importante. Au nom de quoi ? Pourquoi sa propre justice serait-elle plus juste ?
Avec le féminisme est apparu crûment le fait que les hommes, sans avoir besoin d'y réfléchir, savaient que l'égalité réclamée par les femmes n'était pas importante. Au nom de quoi ? Il faut que ces débats aient lieu, il faut que des mots soient dits, il faut que des histoires soient racontées et entendues, pour qu'une autre idée de la justice puisse surgir. Une idée révolutionnaire, selon laquelle la femme est un être humain. Ni plus ni moins que les hommes. Au même titre.
Lorsque des gens disent "je n'arrive pas à vivre", la société peut très bien répondre "mais nous ça va, merci" ou "mais vous avez de quoi vous payer un téléphone, ne vous plaignez pas" ou "si vous êtes malheureux, prenez des antidépresseurs et taisez-vous". C'est une façon de refuser d'entendre. C'est extrêmement violent - mais qui l'entend, que c'est violent, sinon ceux qui le vivent ?
Lorsque des gens disent "je n'arrive pas à vivre", la société peut très bien répondre "mais nous ça va, merci" ou "mais vous avez de quoi vous payer un téléphone, ne vous plaignez pas" ou "si vous êtes malheureux, prenez des antidépresseurs et taisez-vous". C'est une façon de refuser d'entendre. C'est extrêmement violent - mais qui l'entend, que c'est violent, sinon ceux qui le vivent ?
Si mon idée de la justice, c'est que je ne veux pas me laisser embêter par la vie des autres, il y a des chances qu'elle soit loin d'être idéale.
Lorsque Paul dit aux Galates qu'il n'y a plus ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre, il y a deux façons de l'interpréter. Soit que ces choses-là n'ont plus aucune importance, et donc qu'il n'est pas légitime de se battre pour une égalité de fait. Soit qu'elles sont rendues si vraies par l'irruption de l'Evangile dans une vie que tous les combats en sont rendus possibles. Soit "l'égalité n'est pas importante parce que tout est donné en espérance", soit "l'espérance que me donne cette égalité me pousse à me battre pour qu'elle existe dès maintenant". Simple histoire d'interprétation ? Certes... mais elle change tout.
Lucas Cranach l'Ancien (v. 1520) |
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