vendredi 8 février 2019

Droit à la Parole

Siglibert, ensuite, se trouva dans une communauté très fière de ses racines. Depuis la Réforme ! Ces derniers temps, c'est vrai, le gène de la foi ne semblait pas s'être vraiment transmis, il manquait une bonne partie des nouvelles générations, mais la foi dans ce coin-là avait changé les paysages et les mentalités, la politique et les gens, et c'était très important de se le rappeler. 
C'est une conférence sur le protestantisme qui permit à Siglibert de découvrir cette communauté. Il avait bien remarqué, en marchant dans le quartier, l'église aux portes toujours fermées, sans réaliser qu'il s'y passait encore des choses. Le soir de la conférence, il en avait pourtant apprécié les proportions, l'atmosphère, le calme. Le dimanche suivant, il s'était risqué à assister à une célébration. 
On lui avait souri gentiment et tendu un recueil de cantiques et il s'était installé sur un banc, pas trop près de la porte et pas trop près de la chaire. Un pasteur en robe installait ses papiers sur le pupitre et indiquait les numéros de cantiques à afficher sur un panneau en bois à un jeune homme bien coiffé. Quelques personnes aux cheveux argentés se saluaient à mi-voix et s'installaient sur les bancs. Siglibert espéra ne pas avoir fait de faux pas en prenant la place de quelqu'un, mais on le laissa tranquille, quelques personnes lui adressèrent même un signe de tête en passant. 
L'orgue s'éveilla et tout le monde cessa de parler. La musique était belle, solennelle. Siglibert entra dans une sorte de rêve éveillé où des images de son enfance survenaient sans ordre, il se demanda un instant s'il avait pensé à acheter du pain puis ouvrit au hasard le livre de cantiques. Un froissement général lui indiqua que la musique était terminée et que tout le monde s'était levé ; il fit de même. Le pasteur, solennellement, bénit l'assemblée au nom de Dieu et, d'un signe, fit asseoir les gens. 
Siglibert écouta avec beaucoup d'attention les textes que le pasteur lut ensuite. On lui parlait d'enfermement en soi-même, de désespoir et d'espoir malgré tout, d'un Dieu qui parlait d'ailleurs et ne retenait pas la faute. On se leva, on se rassit. On chanta, un cantique lent et ancien, qui éveilla en lui un écho, il n'aurait su dire lequel. 
Avant de prêcher - et cela le surprit - le pasteur demanda en leur nom à tous que Dieu leur donne l'intelligence pour comprendre, l'esprit pour souffler de la vie dans les mots. Les mots n'étaient-ils donc pas vivants depuis toujours ? Il parla ensuite de pain et de poissons, de partage et du petit rien qui suffit, de Parole et de paroles. Siglibert ne comprit pas tout, il y avait manifestement des références à des choses et des textes qu'il ne connaissait pas, mais il comprit que depuis 500 ans, ces choses qui se disaient avaient fait survivre tout un peuple et qu'il s'agissait désormais d'en vivre. Il entendit qu'il y a une nouveauté toujours possible. 
Il y eut des annonces, rapides, parce que "vous avez bien sûr tous reçu le bulletin", et une quête où les regards ne se croisaient pas. Il y eut un rassemblement autour de la table et il hésita à s'y joindre, mais personne ne l'y invita et il resta à sa place. Les gens se passèrent des bouts de pain et des coupes et il prièrent ensemble avant de revenir à leurs places. Une longue prière plus tard, tout le monde se leva pour partir. 
On se rassemblait auprès de la porte pour serrer la pince au pasteur. Il avait un mot aimable pour chacun et en serrant la main de Siglibert, il eut un mouvement des sourcils interrogateur, auquel Siglibert répondit en expliquant qu'il était de passage. "Ah, très bien, bienvenue", et le poussa vers la sortie avec la fin de sa poignée de main. 
Sur le parvis, un petit groupe s'assemblait. 
- Vous ne savez pas la nouvelle ? Surtout ne le dites à personne...
- Non, quoi ?
- Il paraît que le pasteur veut nous quitter.
- Oui, il paraît que sa femme veut trouver du travail.
- Mais il n'est là que depuis 10 ans !
- Quelle ingratitude...
Seul et découragé, Siglibert, lentement, s'éloigna.



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