La chose la plus difficile à vivre quand vous êtes pasteur, c'est le sentiment d'une profonde solitude. Bien sûr, vous êtes sans arrêt au milieu de plein de gens, que vous écoutez du mieux que vous pouvez, vous êtes à l'écoute de la Parole de Dieu, vous parlez, vous expliquez, vous échangez, vous hésitez, vous apprenez, vous découvrez. Il ne se passe pas un jour sans que vous ayez des rendez-vous avec des gens de tous les horizons, de tous les âges, des convaincus, des formidables, des agressifs, des incertains, de tout ça à la fois... Mais vous restez, irrémédiablement, seul. Pourquoi ?
Le pire conseil que j'ai reçu en la matière c'est : "il ne faut pas se sentir seul". D'accord, mais comment ? à essayer de suivre ce conseil, on ne fait que se sentir coupable en plus.
Alors pourquoi ?
Parce qu'il est très difficile de se confier. On tisse des liens d'amitié profonde, on devient une personne parfois importante dans un cercle familial, on fait en sorte que les gens se rencontrent, se parlent, se fassent confiance ; mais il arrive toujours un moment où vous êtes le pasteur et que les relations avec autrui ne pourront pas dépasser cette vérité-là. Il arrive toujours un moment où il est impératif que vous soyez juste celui qui écoute, qui accompagne, qui exhorte, qui conseille... et qui partira. Dans ce moment-là, la réciprocité ne fonctionne plus. Dans ce moment-là, il se noue autre chose.
C'est à vous, alors, de réaliser que vous ne pouvez pas vous confier totalement. Il y a le secret pastoral : certaines choses qui vous font souffrir sont inexplicables sans révéler des choses que vous savez sur les autres, et ça, ça n'est pas possible. Il y a la vocation qui consiste à laisser une place à Dieu à toute table où vous vous trouvez, et à vous effacer pour qu'il s'agisse de lui et pas de vous. Il y a les attentes fantasmées envers "Le Pasteur", et la colère lorsque ces attentes ne sont pas remplies ; et là, vous avez beau vous dire que vous êtes un pasteur et pas Le Pasteur et que ça n'est pas une attaque personnelle contre vous, c'est souvent dur à encaisser. Il y a la méfiance aussi lorsque vous avez cru pouvoir vous confier et que cette confiance a été trahie. Il y a le fait que le pasteur vit au presbytère, et que certains imaginent que puisqu'ils payent, ils ont le droit d'y entrer comme ils veulent et d'observer le pasteur comme un poisson rouge dans son bocal (heureusement, c'est rare). Il y a l'envie, parfois, de rire et plaisanter sans se poser de question, pour réaliser un peu tard que ça peut choquer certains Il y a les moments où vous pensez échanger en toute discrétion, pour réaliser au bout d'une semaine que tout le monde est au courant de vos affres du moment.
Il y a la volonté de tout faire pour faire le mieux possible, et du coup, pour tenir le coup, on laisse de côté beaucoup de choses : les amis qui ne font pas partie de la communauté locale, les liens à cultiver, familiaux, associatifs, les loisirs qui vous font sortir de chez vous, la rencontre avec des gens extérieurs à l'Église... quand vous avez cinq cultes à préparer dans une semaine, vous avez tout juste le temps de remplir le frigo et pas celui d'en partager la nourriture avec d'autres.
Est-ce une fatalité ? Non, sans doute. Mais ça demande d'en prendre conscience et de décider consciemment que la solitude est une ennemie lorsqu'elle sape vos forces au lieu de vous en redonner. Ca demande de prendre le risque de la confiance, envers et malgré tout, et de cultiver des relations profondes et vraies avec des gens qui ne vous voient pas que comme "Le Pasteur", mais comme un être humain qui ne survit que par les relations tissées avec d'autres. C'est admettre que cette faiblesse est, en fait, une force. C'est, d'une certaine façon, le saut de la foi.
(c) PRG |
Criant de vérité. Ça rejoint tellement ce que je vis ! Merci ! <3
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