Sur le papier, les chrétiens devraient être les gens les moins choquables du monde.
Celui qu'ils appellent Seigneur, celui qui a le dernier mot sur leur vie, est mort comme le dernier des derniers. C'est celui-là précisément, et pas un autre un peu mieux coiffé, qui est central pour leur espérance, leur vie spirituelle, leur vie tout court. Folie ! Scandale ! (ce n'est pas moi qui le dis, c'est Paul). Folie et scandale que de prêcher cela. Les chrétiens doivent, au coeur même de leur foi, faire avec ce scandale, cette folie, et y trouver en quoi c'est bon, en quoi la grâce de Dieu s'y renouvelle et se déploie en bousculant le monde et ses usages, ses habitudes et ses pouvoirs. En principe, ils croient que plus rien ne peut outrager Dieu, qui a accepté volontairement de passer, justement, par les pires outrages pour accéder jusqu'à nous.
On pourrait croire que ça les blase pour tout un tas de choses, or pas du tout. Comme l'essentiel de nos contemporains, les chrétiens semblent souvent se choquer de tout un tas de choses. "Oui mais quand même" sont peut-être les mots que je déteste le plus. La grâce se déploie pour les pécheurs, les moins que rien, les ratés de la vie... oui mais quand même, il faudrait qu'ils soient un peu mieux peignés. Dieu ne s'arrête pas sur le curriculum vitae pour faire route avec un quidam... oui mais quand même, il faudrait qu'il apprenne à marcher au pas. Dieu accepte et adopte... oui mais quand même, il faut montrer patte blanche, sinon où va-t-on ?
En réalité, ce réflexe n'a rien de fondé théologiquement, ou pour le dire autrement, ce n'est pas Dieu qui a des exigences. Je me demande parfois si ce n'est pas une bête question humaine, sur la façon dont fonctionnent les êtres humains.
Quand on a passé du temps et mis beaucoup d'énergie à faire des efforts pour se rendre acceptable, parce qu'on croit que c'est ainsi que Dieu nous acceptera (enfin), on a tellement investi qu'il est difficile de faire demi-tour, de penser autrement, de renouveller sa compréhension de la grâce. On a mis tellement de soi dans tout ça que renoncer, ce serait accepter de tout perdre, au fond.
Dans le déroulement du culte (ou de la messe), il y a un moment juste après le début où il y a la confession du (ou des) péché(s). C'est un moment où on fait retour sur soi, où on admet qu'on fait fausse route, qu'on s'est perdu, qu'on ne sait pas. À chaque culte (ou messe), on fait se détour pour admettre qu'on n'est pas comme il faudrait. Si on prend ça au sérieux, alors ça veut dire qu'on ne peut pas, sans être hypocrite, se croire en règle avec Dieu. On ne peut pas se faire d'illusion en croyant que des efforts, du temps, de l'énergie, peuvent nous mettre en règle avec Dieu. On ne peut pas croire qu'on a enfin atteint la sainteté et que du haut de cette sainteté, on peut juger les autres.
Ce moment-là, c'est un moment de choc, de deuil et d'acceptation. C'est la grande baffe de l'humilité. On en ressort tout nu, d'une certaine façon, et conscient que nos efforts, pour courageux qu'ils soient, ne sont que marginaux dans notre relation avec Dieu. Le moment qui suit, l'annonce de la grâce, nous redit que c'est dans la grâce de Dieu que notre vérité se joue.
Comment, après tout ça, se targuer de sa propre bonne conduite ? Comment s'outrager de la mauvaise conduite supposée des autres ?
Sur le papier, les chrétiens ne peuvent pas être choqués - sinon par eux-mêmes, d'abord et avant tout... Pour le reste, ils sont les messagers de la grâce. Celle qui n'attend pas pour agir que nous ayons fini d'être choqués.
(c) PRG |
OuI. Et ça aussi, il faut se le répéter tous les jours, parce qu'on est oublieux.
RépondreSupprimerC'est bien vrai...
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