- Fennnnnneeeeeeeeccc !!!
- Et voilà. Ça r'commence. Bon, chaton, je te laisse la maison, je reviens dans une demi-heure, ok ?
- Okkkkkkkaaaaayyy ! et oublie pas les crevettes si tu fais les courses, hein ? yiippiiiii ! sale souris, attend que j't'attrape, hahaha !
C'est, donc, l'heure du fennec. Je sais toute l'ironie qu'il y a à traiter mon félin de canidé, et pourtant, si vous le voyiez rabattre ses oreilles en arrière en guise de prologue à une demi-heure de folie totale dans toute la maison, vous comprendriez : ça lui donne l'air d'un fennec, cet adorable petit renard des sables. Il n'a pas perdu l'esprit, il n'a pas été piqué par une mouche ni rien, c'est juste qu'il est un chat et que les chats ont des moments de folie. Je continue donc seule (et dehors dans la cour) une conversation commencée il y a un moment.
J'évoquais il y a quelque temps avec Luke (et Dietrich Bonhoeffer) la nécessité de ne pas se faire d'illusions sur l'Église, ou plutôt de se garder de vivre avec l'idéal inaccessible d'une Église parfaite par elle-même. Parfaite, elle l'est, en tant qu'elle est appelée par Dieu à être un corps dont la tête est le Christ. Mais imparfaite, parce que, comme Jésus est né, a vécu et est mort en humain, nous sommes contraints par notre humanité à ne pas nous croire capables de bonté permanente. Le bien nous échappe et le mal s'insinue. Même dans l'Église, celle d'ici-bas à laquelle nous appartenons.
Pourtant, nous sommes appelés à vivre comme des saints. N'y a-t-il pas là une énorme contradiction ? Le terme clé ici, c'est "appelés à". Nous sommes appelés à croire que c'est possible, à croire que nous pouvons faire confiance malgré la méfiance, à rendre le bien pour le mal, à pardonner les offenses. C'est un effort individuel, et c'est un effort collectif. C'est l'exercice du muscle de la charité, de la compassion, de l'amour, qui s'atrophie si on ne fait qu'en parler sans jamais s'en servir.
Je regarde mon chat passer à toute vitesse le long de la porte-fenêtre du salon, sauter sur le dossier du canapé, puis sur la table avant un rétablissement hasardeux sur la petite table branlante qui supporte une lampe. Je pourrais, bien sûr, rentrer et le mettre dans une cage le temps qu'il se calme. On peut aussi, comme je le fais à présent, sortir pour attendre que ça se calme. Il n'est pas certain qu'il y ait de solution idéale en la matière.
Dans mes recherches sur la question de l'hospitalité, celle qui se joue en Église occupe beaucoup de mon temps. L'hospitalité, c'est ce qui se tisse entre accueillis et accueillants, ça met en jeu tous les meilleurs et les pires instincts de l'âme humaine : territorialisme, fraternité, volonté de rencontre, volonté de se préserver, peur et curiosité... C'est une expérience de l'incarnation, comme celle de Jésus qui est né dans une étable parce que la salle commune était trop pleine et qui a dû fuir dans le pays d'à côté pour échapper à la mort.
Vivre et discuter avec un chat met ces choses-là en évidence : difficile de dire qui vit chez l'autre, qui se montre hospitalier pour l'autre. Ça se tricote tous les jours, et parfois, ça oblige à sortir de ce qu'on considère être chez soi, le temps que les conditions soient réunies à nouveau pour que ce soit vivable. Le drame, c'est quand les conditions sont si loin d'être réunies que certains se voient contraints de quitter l'Eglise pour de bon et de se considérer étrangers à elle. Je pense aux abus sexuels perpétrés par des gens en position d'autorité, sur des êtres trop fragiles pour se défendre et qui porteront toute leur vie les séquelles et la culpabilité de ces agressions. Je pense aussi à ceux qui n'ont jamais réussi à trouver leur place, ceux qui avaient des questions qui n'ont pas été entendues, ceux qui débordaient d'enthousiasme à leur découverte de l'Evangile et qui n'ont pas réussi à rentrer dans le rang des habitués qui ne souhaitaient pas de débordement, ceux qui, sous le coup du malheur, de la maladie, de la solitude, n'ont pas réussi à adapter leur comportement aux règles implicites de la communauté. Quand on est à l'intérieur de l'Eglise, on ne voit pas ceux qui n'y sont plus. Il arrive même qu'on les blâme, mais le plus souvent, on les oublie.
Il m'est arrivé, souvent, quand je disais que j'étais pasteur, qu'on me parle spontanément de cet éloignement. Parce qu'un oncle à l'hopital n'avait pas reçu la visite espérée ; parce qu'une grand-tante avait vécu douloureusement son éducation religieuse ; parce que le jour où l'envie de prier a surgi, la porte de l'église était fermée ; parce que "quand on se dit chrétien, on ne peut pas faire des choses comme ça" ; parce que l'Eglise est imparfaite, les gens qui y sont aussi, et que c'est décevant.
Je regarde mon chat s'installer sur son coussin tout feutré de poils et se lécher consciencieusement une patte. Pour moi, le moment de crise est passé. Pour beaucoup, il est encore si présent qu'ils ne tenteront peut-être plus jamais de rejoindre l'Eglise, la "petite", humaine institution qui s'efforce d'organiser la vie des croyants, alors qu'il font toujours bien partie de l'Eglise, la grande, la vraie, celle dont Dieu seul connaît les contours. Et je rêve d'une Eglise qui n'oublie pas qu'elle ne sera jamais propriétaire de ses frontières, parce que des gens là-dehors lui appartiennent et qu'il suffirait d'un peu d'attention pour qu'on leur fasse de la place et qu'ils s'y trouvent enfin bien. Parce que c'est chez eux.
J'évoquais il y a quelque temps avec Luke (et Dietrich Bonhoeffer) la nécessité de ne pas se faire d'illusions sur l'Église, ou plutôt de se garder de vivre avec l'idéal inaccessible d'une Église parfaite par elle-même. Parfaite, elle l'est, en tant qu'elle est appelée par Dieu à être un corps dont la tête est le Christ. Mais imparfaite, parce que, comme Jésus est né, a vécu et est mort en humain, nous sommes contraints par notre humanité à ne pas nous croire capables de bonté permanente. Le bien nous échappe et le mal s'insinue. Même dans l'Église, celle d'ici-bas à laquelle nous appartenons.
Pourtant, nous sommes appelés à vivre comme des saints. N'y a-t-il pas là une énorme contradiction ? Le terme clé ici, c'est "appelés à". Nous sommes appelés à croire que c'est possible, à croire que nous pouvons faire confiance malgré la méfiance, à rendre le bien pour le mal, à pardonner les offenses. C'est un effort individuel, et c'est un effort collectif. C'est l'exercice du muscle de la charité, de la compassion, de l'amour, qui s'atrophie si on ne fait qu'en parler sans jamais s'en servir.
Je regarde mon chat passer à toute vitesse le long de la porte-fenêtre du salon, sauter sur le dossier du canapé, puis sur la table avant un rétablissement hasardeux sur la petite table branlante qui supporte une lampe. Je pourrais, bien sûr, rentrer et le mettre dans une cage le temps qu'il se calme. On peut aussi, comme je le fais à présent, sortir pour attendre que ça se calme. Il n'est pas certain qu'il y ait de solution idéale en la matière.
Dans mes recherches sur la question de l'hospitalité, celle qui se joue en Église occupe beaucoup de mon temps. L'hospitalité, c'est ce qui se tisse entre accueillis et accueillants, ça met en jeu tous les meilleurs et les pires instincts de l'âme humaine : territorialisme, fraternité, volonté de rencontre, volonté de se préserver, peur et curiosité... C'est une expérience de l'incarnation, comme celle de Jésus qui est né dans une étable parce que la salle commune était trop pleine et qui a dû fuir dans le pays d'à côté pour échapper à la mort.
Vivre et discuter avec un chat met ces choses-là en évidence : difficile de dire qui vit chez l'autre, qui se montre hospitalier pour l'autre. Ça se tricote tous les jours, et parfois, ça oblige à sortir de ce qu'on considère être chez soi, le temps que les conditions soient réunies à nouveau pour que ce soit vivable. Le drame, c'est quand les conditions sont si loin d'être réunies que certains se voient contraints de quitter l'Eglise pour de bon et de se considérer étrangers à elle. Je pense aux abus sexuels perpétrés par des gens en position d'autorité, sur des êtres trop fragiles pour se défendre et qui porteront toute leur vie les séquelles et la culpabilité de ces agressions. Je pense aussi à ceux qui n'ont jamais réussi à trouver leur place, ceux qui avaient des questions qui n'ont pas été entendues, ceux qui débordaient d'enthousiasme à leur découverte de l'Evangile et qui n'ont pas réussi à rentrer dans le rang des habitués qui ne souhaitaient pas de débordement, ceux qui, sous le coup du malheur, de la maladie, de la solitude, n'ont pas réussi à adapter leur comportement aux règles implicites de la communauté. Quand on est à l'intérieur de l'Eglise, on ne voit pas ceux qui n'y sont plus. Il arrive même qu'on les blâme, mais le plus souvent, on les oublie.
Il m'est arrivé, souvent, quand je disais que j'étais pasteur, qu'on me parle spontanément de cet éloignement. Parce qu'un oncle à l'hopital n'avait pas reçu la visite espérée ; parce qu'une grand-tante avait vécu douloureusement son éducation religieuse ; parce que le jour où l'envie de prier a surgi, la porte de l'église était fermée ; parce que "quand on se dit chrétien, on ne peut pas faire des choses comme ça" ; parce que l'Eglise est imparfaite, les gens qui y sont aussi, et que c'est décevant.
Je regarde mon chat s'installer sur son coussin tout feutré de poils et se lécher consciencieusement une patte. Pour moi, le moment de crise est passé. Pour beaucoup, il est encore si présent qu'ils ne tenteront peut-être plus jamais de rejoindre l'Eglise, la "petite", humaine institution qui s'efforce d'organiser la vie des croyants, alors qu'il font toujours bien partie de l'Eglise, la grande, la vraie, celle dont Dieu seul connaît les contours. Et je rêve d'une Eglise qui n'oublie pas qu'elle ne sera jamais propriétaire de ses frontières, parce que des gens là-dehors lui appartiennent et qu'il suffirait d'un peu d'attention pour qu'on leur fasse de la place et qu'ils s'y trouvent enfin bien. Parce que c'est chez eux.
Vulpes zerda |
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