mardi 9 avril 2019

Ce n'est pas ce qu'on possède qui fait notre vie...

Quelqu'un dans la foule dit à Jésus : "Maître, dis à mon frère de partager l'héritage avec moi". Jésus lui dit : "Est-ce moi qui ai été établi sur vous les humains pour être votre juge et vous départager ?" Il ajouta alors, s'adressant à eux : "Voyez : ne vous laissez pas aller à la cupidité, parce que ce n'est pas la richesse d'un homme qui lui garantit la vie". Il leur dit une parabole : "Un homme riche avait une terre qui rapporta beaucoup. Il se disait à lui-même : Que vais-je faire maintenant ? Je n'ai plus de place pour ranger mes récoltes. Il se disait encore : Voilà ce que je vais faire ; je vais abattre toutes mes granges, et puis j'en construirai de plus grandes et j'y mettrai toutes mes récoltes et toutes mes possessions, et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as de grands biens ici, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, fais bombance. Alors Dieu dit à cet homme : Abruti, cette nuit même, ton âme te sera demandée, et alors, à qui appartiendra tout ce que tu as préparé ? Moralité : c'est ainsi que vit celui qui thésaurise pour lui-même, au lieu de s'enrichir auprès de Dieu." (Lc 12,13-21)
Je peux être franche avec vous ? Il m'énerve, ce texte. Quelqu'un demande à Jésus de lui rendre justice, et Jésus refuse. Il n'est pas du côté de la justice. Ensuite, il nous raconte une parabole qui retrace la vie d'un homme qui a fait tout ce qui était humainement possible pour être sage en ce monde au prix d'une immensité d'efforts et d'intelligence et Jésus n'est pas du côté de la sagesse. Ni la justice ni la sagesse, vraiment ? 
Oui, vraiment. 
Lorsqu'il refuse de rendre justice à celui qui a été lésé par son frère dans une histoire d'héritage, c'est un peu comme s'il disait : vous n'avez pas été capables de vous causer pour résoudre ça, et c'est à moi que vous demandez ? Il pointe l'absence de dialogue, et c'est tout. Enfin presque tout, parce qu'il en profite au passage pour dire que ce n'est pas ce qu'on possède qui fait notre vie. Soit. Mais il pourrait en profiter pour nous dire clairement ce qui fait notre vie, non ? 
Entre ces deux personnes qui ne se parlent plus, qu'y a-t-il ? Des choses. De la richesse. Des possessions. De quoi se faire un nom, une vie confortable. Mais il semble que si l'un des deux possède tout ça, alors l'autre n'a rien : si l'un des deux devient quelque chose, alors l'autre n'est rien. L'abîme entre le rien et le quelque chose est si profond que rien, aucune parole, ne peut le traverse. Le gouffre qui nous sépare des autres lorsque nous avons le sentiment d'être quelqu'un et que l'autre n'est rien est impossible à surmonter. Le dialogue est impossible. 
Ce n'est pas la richesse en soi qui est à craindre. C'est l'attitude qu'elle nous impose, la barrière qu'elle étlève entre nous et les autres. Dans les événements tragiques de notre monde, il y a entre "eux" et "nous" comme une barrière insurmontable. Nous voudrions, nous aussi, dire à Dieu "fais-nous justice, règle ça pour nous !"
Mais il semble que cette justice-là ne soit pas celle que Jésus annonce. Et si Dieu ne répondait pas, tout simplement parce que nous aussi nous réclamons une justice qui n'est pas la sienne ? Peut-être préférons-nous nous bercer d'illusions plutôt que de regarder la vérité en face, cet abîme sous nos pieds. J'ai parfois entendu avec tristesse, dans mon ministère : "Moi, je sais tout ce qu'il y a besoin de savoir sur l'Islam, le Coran est plein de violence, pas étonnant..." Mais dire ça, c'est tenter de se rendre maître de la richesse de l'autre pour creuser entre l'autre et nous un abîme d'obscurité : depuis quand connaît-on quelqu'un parce qu'on a lu quelque chose sur lui ? Connaître quelqu'un, c'est risquer le dialogue. C'est se laisser toucher par son humanité, sa faiblesse et ses joies. Nous vivons dans un monde qui croit tout savoir sur l'autre sans jamais lui avoir parlé, en se contentant la plupart du temps d'adresser à l'autre des injonctions diverses et variées. Nous vivons dans un monde où des paroles terribles condamnent l'autre a priori, en refusant par principer d'imaginer qu'il soit possible d'entrer en dialogue avec lui... 
Quelque chose me dit qu'une parabole pour aujourd'hui parlerait des réseaux sociaux... 


1 commentaire:

  1. Bien vu... Certains textes bibliques laissent cette impression d'insatisfaction. Nous attendons de Jesus qu'il prenne notre parti - ou au moins nous explique pourquoi nous avons tort. Mais lui nous conduit ailleurs avec sa reponse. Merci pour cette belle analyse!

    RépondreSupprimer

Pour laisser un commentaire