Aujourd'hui, c'est ma collègue et amie Isabelle qui médite pour et avec nous...
J’aime le samedi saint.
Je crois même que c’est le jour de la semaine sainte que je préfère... Celui qui est loin de toute l’agitation et des fortes émotions des jours précédents, mais pas encore dans la joie absolue du lendemain... et pourtant on la sait là, toute proche !
C’est le jour du grand silence, celui où nous nous souvenons qu’ « il est allé prêcher même aux esprits en prison »[1]. C’est là que nous avons le temps de « repasser toutes ces choses dans [notre] cœur », comme Marie[2]. Nous, les disciples de 2000 ans plus tard (à peu près), nous avons le loisir de méditer sur tout ce qui s’est passé en ces-jours-là... en connaissant la suite de l’histoire.
Et pourtant, les premiers, de disciples, n’étaient pas calmes et tranquilles en attendant le lendemain.
Les évangiles ne nous racontent pas ce qu’ils ont fait le samedi, le shabbat qui a immédiatement suivi la mort de Jésus.
Ils n’ont pas pu s’étourdir d’activité, puisque c’était shabbat. Peut-être sont-ils allés aux offices de la Pâque juive, puisqu’ils étaient à Jérusalem pour cette fête.
Le jeudi soir, ils avaient fêté avec leur rabbi, puis ils s’étaient endormis alors qu’il leur demandait de prier avec lui. Quand on était venu le saisir, ils s’étaient tous enfuis[3].
Pierre avait suivi de loin, mais pour le renier par trois fois.
Jean et Marie étaient au pied de la croix... donc ils n’avaient aucun doute de l’issue de cette histoire folle, l’issue de ce temps qu’ils avaient passé à suivre Jésus sur les routes de Galilée et de Judée : celui qu’ils avaient admiré, aimé, envié, était mort, comme les deux brigands condamnés à mort en même temps que lui.
Déni, colère, marchandage, dépression, acceptation...ces phases classiques du deuil, ils n’ont pas eu le temps de les parcourir en une journée. Comme pour tout le monde, elles ont été plus ou moins mélangées, avec des aller-retours de l’une à l’autre. Mais ils ont au moins eu cette journée... et puis 40 jours ensuite, du dimanche de Pâques à l’Ascension, pour comprendre tout doucement qu’ils ne retrouveraient jamais leur vie d’avant, même si le Christ était ressuscité.
Les premiers disciples ont eu le temps du deuil...
Mais aujourd’hui, nous avons tendance à oublier le samedi saint, le temps du deuil.
Nous nous agitons pour préparer la fête du lendemain, voire même, dans bien des églises chrétiennes, nous avançons la fête du matin de Pâques pour fêter la résurrection dès le samedi soir.
D’accord, la journée liturgique commence le soir, comme la journée était comptée dans le Proche-Orient : d’un coucher du soleil à l’autre.
Mais ce que les évangiles racontent, eux, ça n’est pas une mort presque immédiatement suivie par la nouvelle de la résurrection. Comme le dit le symbole des Apôtres, c’est « le troisième jour » qu’il est ressuscité des morts – 3 jours, le temps de croire vraiment à sa mort, avant d’être complètement retournés par sa Vie.
Notre monde, aujourd’hui, tente d’éviter le deuil, la perte, jusque dans ses célébrations pascales.
Nous le voyons tout autour de nous, et tout particulièrement en ces jours où l’incendie de Notre Dame de Paris est balayé en quelques heures par les promesses de dons et de délais courts pour sa reconstruction. Enfin quelque chose à quoi on peut remédier : pas de personnes décédées comme les migrants en Méditerranée ou ailleurs ; pas de gilets jaunes qui refusent de rentrer chez eux et d’arrêter de manifester que rien ne va plus pour eux ; pas de gens à la rue qui meurent de froid l’hiver, de chaud l’été, et d’être ignorés chaque jour de l’année ; pas d’enseignants et d’enseignés qui ne se plient pas à la dernière idée de l’un ou l’autre gouvernement pour « tout arranger » ; pas de malades, ou de personnes âgées en EPHAD qui n’en peuvent plus que celles et ceux qui doivent s’occuper d’elles n’en aient plus le temps, plus l’attention, plus la douceur et l’amour requis pour demeurer humain.e.s...
Voilà, avec Notre Dame, ce sont des pierres, elles ne crieront pas si on ne prend pas le temps du deuil, de la mesure de la perte, du respect du souvenir, si, après le premier choc, on ne prend pas le temps du bilan, mais qu’on se précipite dans la reconstruction (De quoi ? Comment ? Par qui ? Pour quoi ?...).
A nous qui croyons, il nous reste le samedi saint. Pour prendre le temps du deuil, la mesure de la perte subie par les premiers disciples, avant d’arriver à la mesure du gain démesuré de Vie pour le monde.
Il nous reste le samedi saint, le jour du silence, le jour où nous prenons avec le Christ le temps de la descente dans les profondeurs.
Et une pierre pour nous aussi, devant un tombeau...
(Chut, demain matin, elle sera roulée...)
Isabelle Alves
[1] 1 Pierre 3, 19
[2] Luc 2, 51
[3] Marc 14,50
Giotto |
C'est très beau ce que vous écrivez, Isabelle. Merci.
RépondreSupprimerEt merci à Pascale de vous avoir donné la parole.