lundi 21 mai 2018

"Il nous faut des chrétiens fous !"

Vous avez peut-être suivi, ou lu depuis, le sermon du prêtre épiscopalien Michael Curry, lors du mariage princier samedi dernier. Je vous propose ici la traduction d'un sermon prononcé par lui en juillet 2012 et dont vous trouverez le texte original ici (clic)

Aujourd'hui, nous nous souvenons de Harriet Beecher Stowe, une femme qui a manié les mots pour libérer les esclaves. Je reparlerai d'elle un peu plus tard, mais pour l'instant, je rappellerai simplement qu'en 1943-44, une pièce de théâtre lui a rendu hommage sur Broadway. Ça s'appelait "Harriet", et Helen Hayes jouait Harriet Beecher Stowe. A la fin de la pière, sa famille se tient autour de Harriet et chante "The Battle Hymn of the Republic" pour rappeler le témoignage chrétien de cette femme aussi courageuse que téméraire. Je vous rappelle certaines paroles de ce cantique : 

Dans la beauté des lys, Christ est né au-delà des mers
Porteur d'une gloire qui nous transfigure, vous et moi
Il est mort pour rendre saints les hommes, mourons pour les rendre libres
Dieu, lui, continue à venir (God is marching on)
Glory, glory, hallelujah!
Sa vérité continue à venir (his truth is marching on)

J'ai choisi comme texte pour aujourd'hui ces mots de l'évangile selon Marc (Marc 3,19-21) : "Alors [Jésus] rentre à la maison, et la foule se réunit à nouveau, à tel point qu'ils ne pouvaient même pas manger. Ayant entendu cela, ceux de chez lui (sa famille) s'en allèrent le saisir. En effet, les gens se disaient : Il est fou." 

Il y a plusieurs traductions possibles pour ce passage ; la King James Version évoque l'inquiétude de la famille de Jésus avec les mots : "Il est à côté de lui-même" (beside himself). La vieille version J.B. Phillips traduit : "Les gens disaient : Il doit être fou !" Ma préférée, dans la Contemporary English Version, dit ceci : "Lorsque la famille de Jésus entendit ce qu'il faisait, ils pensèrent qu'il était fou et ils allèrent le chercher pour qu'il soit sous contrôle". 

Pardonnez-moi de le dire ainsi, mais Jésus était, et est, fou ! Non seulement ça, mais en plus tous ceux qui choisissent de le suivre, ceux qui veulent être ses disciples, ceux qui veulent vivre et être en chemin avec lui, sont appelés, convoqués, mis au défi d'être aussi fous que Jésus ! Aujourd'hui, je veux vous dire ceci : "il nous faut plus de chrétiens fous". 

Je ne veux pas être trop rapide à juger la mère et toute la famille de Jésus. Après tout, ils avaient de bonnes raisons d'être inquiets. Nous avons lu tout à l'heure, en 1 Pierre, un passage qui fait écho à ce que Jésus enseignait dans le Sermon sur la Montage : "Ne rendez pas le mal pour le mal, ni l'insulte pour l'insulte, au contraire, bénissez car c'est à cela que vous avez été appelés pour que vous héritiez de la bénédiction" (1 Pi 3,9). C'est fou. Dans la lecture de l'évangile selon Matthieu il y a quelques minutes, Jésus dit : "Le plus grand d'entre vous sera votre serviteur" (Mt 23,11). C'est fou. 

Ce que le monde dit malheureux, Jésus dit béni. Bénis les pauvres et les pauvres en esprit. Bénis ceux qui sont pleins de compassion. Bénis ceux qui ont soif et faim de l'avènement de la vraie justice de Dieu. Bénis ceux qui oeuvrent pour la paix. Bénis êtes-vous lorsque vous êtes persécutés pour avoir essayé d'aimer et de faire le bien. Jésus était fou. Il disait "Aimez vous ennemis, ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous utilisent avec malveillance". Il était fou. Il priait pendant que les gens l'assassinaient : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font." Ça, c'est complètement fou.

Il nous faut des chrétiens qui soient aussi fous que le Seigneur. Assez fous pour aimer comme Jésus, pour donner comme Jésus, pour pardonner comme Jésus, pour faire justice, pour aimer la compassion, pour marcher humblement avec Dieu - comme Jésus. Assez fous pour oser changer le monde, du cauchemar qu'il est souvent, en rêve que Dieu rêve pour lui. Et pour ceux qui veulent le suivre, pour ceux qui veulent être ses disciples, ceux qui veulent vivre et le suivre sur le chemin ? Ça sera peut-être un choc pour vous, mais nous sommes appelés à la folie. 

Laissez-moi vous parler d'un exemple de cette folie dans le Nouveau Testament : Marie de Magdala, Marie-Madeleine. Pour une raison ou pour une autre, on lui fait souvent une sale réputation. Mais rappelez-vous de la crucifixion de Jésus. L'empire romain crucifiait les gens pour des crimes contre l'État. C'était une torture publique, une peine capitale volontairement brutale, une exécution destinée à faire passer le message que la révolution et les révolutionnaires ne seraient pas tolérés. Si vous étiez un proche ou un disciple d'une personne qui se faisait crucifier, il n'était pas prudent de rester trop près lors de la mise à mort. La seule chose sensée à faire, c'était d'aller se cacher ou de partir en exil. 

Ceci étant dit, faisons le compte de ceux que Jésus avait appelés à le suivre : Simon Pierre ? absent. Jacques ? absent. André ? absent. Barthélemy ? absent. Thomas ? absent. Judas ? vraiment absent. Marie-Madeleine ? présente et bien présente ! Voilà ce qu'est une disciple ! Lorsque les esclaves chantaient "Were you there when they crucified my Lord?" ("étiez-vous là, lorsqu'ils ont crucifié mon Seigneur ?"), il y avait cette femme, Marie, qui pouvait vraiment répondre "J'étais là !" Ça, c'est vraiment fou ! 

Ça peut paraître évident, mais nous avons un jour spécial pour nous souvenir des chrétiens fous. Je crois que ça s'appelle la Toussaint, le jour de tous les saints. Ça ne s'appelle pas "le jour des gens tous pareils", c'est le jour de tous les saints, parce que, même s'ils sont faillibles et mortels et des pécheurs comme le reste d'entre nous, lorsqu'il le fallait, ceux que nous honorons comme des saints ont commencé à marcher au son d'un autre tambour. Durant leur vie, ils ont fait quelque chose qui comptait pour le royaume de Dieu. Comme vous le savez, nous sommes en train d'écrire un livre qui servira à nous souvenir d'eux ; nous l'avons appelé "Saintes femmes, Saints hommes", mais on aurait tout aussi bien pu l'appeler "Les chroniques des chrétiens fous".

Une des personnes que nous célébrons dans ce livre est Harriet Beecher Stowe, une descendante de Marie-Madeleine. Elle est née en 1811, dans une famille pieuse consacrée à l'Évangile de Jésus et à la transformation d'un monde, du cauchemar qu'il est trop souvent, en un rêve que Dieu prévoit pour lui. Elle est surtout connue pour un ouvrage de fiction, La cabane de l'oncle Tom.

Dans cette fiction, elle disait la vérité. Elle raconte l'histoire de la façon dont l'esclavage accablait une famille, accablait des vrais gens. Elle dit la vérité sur la brutalité, l'injustice, l'inhumanité de l'institution de l'esclavage. Son livre a eu le même rôle que les vidéos sur YouTube qui rapportent les injustices et les brutalités d'aujourd'hui. Il est devenu viral au 19e siècle. Il a permis aux abolitionnistes de faire front commun et il a rendu fous de rage ceux qui avaient un intérêt personnel à ce que l'esclavage existe. L'influence de ce livre a été si grande que lorsque Abraham Lincoln a rencontré Harriet Beecher Stowe, il aurait dit "Voilà donc la petite dame qui a commencé cette grande guerre !"

Une femme de cette époque était supposée écrire de gentilles petites histoires, pas des histoires qui allaient perturber la conscience de toute une nation. Elle était supposée bien se marier, élever des enfants bien élevés, participer à quelques activités charitables et devenir un doux souvenir pour tous ceux qui l'avaient connue. Voilà quelle vie elle était supposée vivre. Mais elle était née dans une famille qui croyait que suivre Jésus signifiait changer le monde, du cauchemar qu'il est souvent, en rêve que Dieu a prévu. Et ça signifie parfois marcher au son d'un autre tambour. Parfois, ça implique de se préoccuper de quelque chose ou de quelqu'un alors qu'il est tentant de s'en détourner, ou de se lever alors que les autres s'assoient. Parfois, ça signifie parler alors que les autres se taisent. Parfois, ça signifie être différent, ou même fou. 

Lorsque Steve Jobs, un des fondateurs d'Apple, est mort l'an dernier, une vieille publicité pour Apple des années 90 est devenue virale sur YouTube. Elle était sortie en 1997 pour essayer de redéfinir la marque. Le slogan pour cette pub et pour la marque, c'était "Think different" ("Pensez différent"), une expression grammaticalement incorrecte, ce qui est justement le but de la manoeuvre, au moins en partie. On y voit un montage de photos et de bouts de films de gens qui ont consacré leur vie à inventer, inspirer, créer et se sacrifier pour rendre le monde meilleur, pour faire une différence. On y voit Bob Dylan, Amelia Earhart, Frank Lloyd Wright, Maria Callas, Muhammad Ali, Martin Luther King Jr., Jim Henson, Albert Einstein, Pablo Picasso, Mahatma Gandhi, et bien d'autres. Pendant que les images défilent, on entend ce poème : 

"Pour tous ceux qui sont fous. Les inadaptés. Les rebelles.
Les fauteurs de troubles. Ceux qui ne rentrent pas dans les cases.
Ceux qui voient les choses autrement. Ceux qui n'aiment pas les règles du jeu.
Ceux qui détestent le statu quo.
Vous pouvez les citer, les dénigrer, les glorifier ou les vilipender.
La seule chose que vous ne pouvez pas faire, c'est les ignorer.
Parce qu'ils font changer les choses.
Ils poussent la race humaine vers l'avenir.
Certains voient y des fous, nous voyons du génie.
Parce que ceux qui sont assez fous
pour croire qu'ils peuvent changer le monde
sont ceux qui le font."

Il nous faut des chrétiens fous. Le christianisme sain, aseptisé, est en train de nous tuer. Ça marchait peut-être à une époque, mais il n'y a plus d'Évangile là-dedans aujourd'hui. Il nous faut des chrétiens fous, comme Marie-Madeleine et Harriet Beecher Stowe. Des chrétiens assez fous pour croire que Dieu est bien réel et que Jésus est bien vivant. Assez fous pour s'engager sur le chemin radical de l'Évangile. Assez fous pour croire que l'amour de Dieu est plus grand que tous les pouvoirs du mal et de la mort. Assez fous pour croire, comme le disait souvent Martin Luther King, que "the arc of the moral universe is long, but it bends toward justice" ("l'univers moral fait une courbe très longue, mais qui tend vers la justice").

Il nous faut des chrétiens assez fous pour croire que les enfants ne sont pas obligés d'aller se coucher le ventre vide ; que le monde n'est pas obligé d'être comme il est trop souvent ; qu'il y a moyen de poser nos épées et nos boucliers au bord de l'eau et que, comme les esclaves le chantaient, "il y a plein de place dans le royaume de mon Père", parce que tous les êtres humains ont été créés à l'image de Dieu, et que nous sommes tous à égalité des enfants de Dieu qui doivent être traités en enfants de Dieu. 

Dans la beauté des lys, Christ est né au-delà des mers
Porteur d'une gloire qui nous transfigure, vous et moi
Il est mort pour rendre saints les hommes, mourons pour les rendre libres
Dieu, lui, continue à venir
Glory, glory, hallelujah!
Sa vérité continue à venir !


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