vendredi 13 novembre 2020

Le silence et l'absence

L'Église repose sur un type qui n'est plus là, c'est-à-dire, littéralement, sur rien. Et sur une parole qui, elle, reste, sur un souffle donné, l'immatérialité même. 

L'espèce de bouillonnement autour de la question du "droit" à la célébration des cultes me semble assez symptomatique d'une grande peur. Confrontés au vide obligé, nous sommes tentés de remplir. Confrontés à l'arrêt obligé, nous sommes tentés de redémarrer quelque chose qui vienne recouvrir cette peur du vide. 

Et si c'était l'occasion, plutôt, de se demander : quand tout s'arrête, que reste-t-il ? 

Quand il n'y a plus de rassemblements, de chants, de prières à haute voix, de rencontres, que reste-t-il ? 

Quand les activités d'Église s'arrêtent, que devient l'Église ? 

Il nous est donné, dans ce temps bien étrange, de contempler ce qui ne se donne jamais à voir d'habitude : une Église toute nue, toute vide. Que voyons-nous ? Que reste-t-il ? 

Ne serait-il pas temps de vraiment s'arrêter, et de vraiment regarder ce vide ? Ne serait-il pas temps de dire que toutes nos actions servent peut-être en temps ordinaire à recouvrir la peur du vide ? 

Mais quelle peur ? Il y en a deux. 

Il y a la peur que tout repose sur nous, que l'Église disparaisse si nous cessons de nous agiter. Alors bien sûr, on comble. Il faut produire du contenu. Il faut soulever la poussière. Il faut se sentir agir pour espérer que tout ne s'écroule pas complètement. 

Mais surtout, il y a la peur de l'absence, bien plus fondamentale, bien plus importante, celle qui est au coeur même de notre foi. Celui qui nous appelés n'est plus là - et pourtant son Eglise existe bien. Le tombeau est vide - et pourtant la résurrection existe. Dieu se fait absence et nous laisse seuls, il se fait promesse et en appelle à notre désir de rencontre. Il échappe à notre main-mise sur lui. Il se fait, pour toujours, celui que nous ne pouvons posséder. Ça, c'est très angoissant : il ne nous reste plus que le lien de confiance avec un absent. Et pourtant, c'est avec cet absent que nous sommes invités à entrer en relation. Le vide n'est pas un handicap, c'est la condition même de ce lien. C'est parce qu'il est absent que la foi est possible... 

Ne serait-il pas temps de ralentir, de mettre de côté les tentatives pour combler le silence et l'absence, pour accueillir cette absence... autrement ? 

Pour habiter le silence et l'absence et laisser résonner cette question toute simple : où en êtes-vous avec Dieu en ce moment ? 

4 commentaires:

  1. Tout le paradoxe de notre foi repose sur cette absence. Ton commentaire est superbe, c'est bien l'essentiel qu'on decouvre dans cette absence qui nous effraie.

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  2. Merci Pascale! Cela rejoint l’interrogation de certains responsables religieux face au confinement, et ce fut la mienne : faut-il combler le vide par des cultes, au risque de passer à côté d’une occasion unique de redécouvrir Dieu, la foi autrement ? Je vois pourtant que face au vide, nous ne sommes pas armés à égalité... Je m’en aperçois en accompagnant certaines personnes. Sans doute aussi l’absence et le silence sont-ils déjà vécus en confinement isolé ( le culte ne devenant qu’une parenthèse). En communauté, c’est une expérience difficile dans le long terme mais je suis totalement d’accord que nous avons besoin de faire le vide pour laisser l’espace se remplir autrement. Merci pour cette belle méditation.

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  3. Pour le deuxième confinement, nous recevons des propositions de culte en ligne, sur écran parfois, des textes de méditation fleurissent dans notre boîte mail. Les églises locales tentent de maintenir le lien ténu qui unit leurs paroissien(ne)s, grâce aux moyens numériques disponibles. Personnellement, je ne regarde plus de culte en ligne et je ne lis plus les textes que l’on m’envoie « pour prier ensemble, chacun chez soi ». Tous ces artefacts me sont indifférents, et manquent singulièrement de … chair.
    Le vide qui nous agresse n’est pas un vide spirituel. Chacun entretient avec Dieu un dialogue, singulier et plus ou moins quotidien, et cela en dépit des circonstances, quelles que soient ces circonstances. En revanche, il existe bien un vide. C’est celui de l’autre, de mon frère, de ma sœur, de mon ami(e) spirituelle, avec qui j’ai plaisir à prier le dimanche, que j’ai plaisir à retrouver au temple une fois par semaine, pour un moment de paix, de réflexion, de mise en abîme du temps séculier. Oui, ce temps-là m’est volé, confisqué, par une réglementation inique, tout à fait inouïe et insensée. Cela est inacceptable. Et je m’étonne et je m’inquiète du silence assourdissant des autorités représentatives de l’EPuF, qui semblent laisser faire dans l’indifférence la plus grave, tandis que beaucoup de nos coreligionnaires, et singulièrement les plus âgé(e)s, souffrent de cette absence de culte en chair et en os. D’autant que beaucoup n’utilisent tout simplement pas l’internet. Avoir faim de l’autre, ce n’est pas une vaine expression. Je préfère ici ne même pas parler de la célébration de la Sainte Cène, de sa disparition pure et simple de la vie du croyant. Faut-il en revanche rappeler ce que ces interdictions de culte ont pour les Protestants de douloureux et les ramènent à l’histoire tragique du protestantisme dans notre pays ?
    En conclusion, je dirais que décidément, les cultes numériques ne remplissent aucun vide, qu’ils peuvent cependant agréer certains d’entre nous, mais que le vide de fraternité ne peut se combler qu’auprès de notre prochain, pas de son avatar.

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    1. Sans pour autant contredire le fond du message, qu'au contraire j'appuie vivement, je voudrais intercéder en faveur des autorités de l'EPUdF. Ce combat n'est pas le leur, puisque c'est la FPF qui est interlocuteur du gouvernement (quand "loqui", donc parler, y en a, ce qui n'est pas toujours le cas). S'il y a quelqu'un à critiquer, c'est François Clavairoly en sa qualité de président de la FPF.
      Cette approbation de l'absence de culte est une particularité de la caste pastorale réformée française, secondée par un courant réformé très libéral, à croire qu'ils en ont marre de célébrer des cultes - et les assemblées se vidant face au manque d'enthousiasme des célébrants, ils croient avoir raison. Qu'en est-il du corps d'Église dont nous sommes tous membres et le Christ en est le chef (la tête) ? L'idée de ne pas avoir besoin des autres, n'est-elle pas fermement rejetée dans les Écritures ?

      Si la rencontre de Dieu se faisait au mieux dans la solitude, le monde serait plein d'ermites et de stylites. Or, ces derniers, pour autant qu'ils excellaient (dépassaient les autres), ne pratiquaient pas l'ermitage mais vivaient en étroit contact avec les autres, les gens normaux, et en plus profitaient de la générosité des autres. L'être humain est un être social par définition, l'être chrétien l'est d'avantage.
      Et très franchement, Pascale, ta réflexion est une claque au milieu de la figure de tous ces paroissiens qui n'ont pas la possibilité de voir du monde, qui n'ont que le culte pour rencontrer une âme humaine - faisons écart de Dieu pour un instant - parce qu'ils sont trop vieux pour avoir des enfants scolarisés, et trop jeunes pour avoir les aides-soignantes.
      Mon seul pain ce sont mes larmes
      Nuit et jour en tous les lieux ;
      On se rit de mes alarmes
      On me dit: Où est ton Dieu ?
      Mon coeur songe aux temps passés,
      Vers ton temple j'avançais,
      Aux accents de la trompette,
      Au milieu du peuple en fête.

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