jeudi 3 mai 2018

Âne qui pleure, âne qui rit

Une aimable lectrice qui connaît ma prédilection pour les contes bibliques vient de me faire suivre une histoire en me demandant si ça ne pourrait pas faire une prédication. La voici : 

« Un jour, l’âne d’un fermier tomba dans un puits.
L’animal gémissait pitoyablement depuis des heures, et le fermier se demandait quoi faire. Finalement, il décida que l’animal était trop vieux et que le puits devait disparaître de toute façon. Il n’était donc pas rentable de récupérer l’âne.
Il invita tous ses voisins à venir l’aider.
Tous se saisirent d’une pelle et commencèrent à combler le puits.
Au début, l’âne réalisa ce qui se produisait et se mit à crier terriblement. Puis, au bout de quelques secondes, à la stupéfaction de chacun, il se tut. Quelques pelletées plus tard, le fermier regarda finalement dans le fond du puits et fut très étonné de ce qu’il vit : à chaque pelletée de terre qui tombait sur lui, l’âne faisait quelque chose de stupéfiant.
Il se secouait pour enlever la terre de son dos et montait dessus.
Pendant que les voisins du fermier continuaient à pelleter sur l’animal, il se secouait et montait dessus…
Bientôt, à la grande surprise de chacun, l’âne sortit hors du puits et se mit à trotter ! »

C'est un conte destiné à nous prouver que quoi qu'il arrive, si l'on est dans le bon état d'esprit, le pire peut se transformer en mieux. Et après tout, c'est une bonne partie du message de Pâques... Mais ce texte me met un peu mal à l'aise. Je ne crois pas que le message de Jésus consiste à dire que malgré les pelletées de terre, tout ira bien à la fin si on y réfléchit un peu : il est beaucoup plus radical que ça. J'ai l'impression qu'il nous appelle plutôt à nous reconnaître dans ceux qui jettent les pelletées de terre... et à réaliser qu'il n'est pas fatal que nous soyons celui-là, celle-là, que ce n'est pas un destin vivable. 
Mais examinons d'un peu plus près la métaphore (avant que mon chat s'en mêle et complique tout, comme d'habitude). Dans ce conte, clairement, nous sommes dirigés par le texte pour nous identifier à l'âne : l'âne à qui il arrive une fâcheuse mésaventure, compliquée d'un maître fourbe et cruel pourvu d'une grande quantité d'amis tout aussi fourbes et cruels, mais aussi l'âne qui réalise tout à coup que ce qu'il prenait pour une condamnation à mort va en fait lui permettre de se sortir de ce mauvais pas. Il se tait et se met au travail pour que la terre tombe où il faut et qu'il puisse monter dessus. Soit ; alors si l'âne, c'est moi, où est Dieu ? Peut-être dans le fermier (si Dieu est un juge impitoyable pour ceux qui ne servent à rien et font bien du tintouin pour rien alors qu'ils pourraient se contenter de mourir en silence). Peut-être dans les amis du fermier (si Dieu est le complice implicite de ceux qui, en toute bonne conscience, mettent à mort ceux qu'ils considèrent inférieurs et inutiles). Peut-être dans la terre qui tombe au fond du puits (si Dieu est le truc pratique qui vient nous tirer de tous nos embêtements). Peut-être dans le puits (si Dieu est le lieu de l'expérience religieuse qui change le cours d'une vie). Peut-être qu'il n'est nulle part dans cette histoire, parce que c'est idiot de chercher à trouver Dieu dans une métaphore qui n'est pas biblique. Ou peut-être que Dieu, il est dans l'âne. Il fait le choix totalement aberrant de se risquer à être un âne, à qui il peut arriver des mésaventures d'âne. Allez savoir. 
Alors je ne sais pas si j'utiliserais cette parabole pour prêcher, mais je crois que j'hésiterais beaucoup avant d'essayer. Parce que ce qui ressemble à une bonne nouvelle n'est pas nécessairement parole d'Évangile... et si c'est juste une jolie nouvelle, ça n'est pas l'Évangile. 

Baudets de l'île de Ré

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