jeudi 6 juillet 2017

Ici Houston, répondez

Mon humaine et moi, on n'est pas toujours d'accord sur tout. Tiens, hier soir par exemple. Elle avait laissé un truc dans la coupe à baballes sucrées. Dans mon tour d'inspection nocturne, juste après le premier houhou de la chouette dans le jardin du voisin, je suis allé y voir de plus près. Et ce matin, elle est devenue toute rouge, étalée par terre, après avoir marché sur une petite balle que j'avais mis la moitié de la nuit à détacher de sa grappe. Un boulot monstre. Et elle, paf, elle marche dessus, ça s'écrase, elle glisse, elle fait "boum" en tombant par terre et après elle crie. C'est un exemple typique de pas être d'accord sur un truc. 
N'empêche. Elle ne se rend pas compte que c'est pourtant moi qui fais tout le boulot dans cette maison. Parce qu'une fois aplatie par terre après qu'elle ait occis ma baballe en marchant dessus, merci beaucoup, elle a eu une illumination. Evidemment. Vous croyez quoi ? Que je me laisse occire mes jouets juste pour le fun ? Non, ça fait partie du boulot. 
"Pourquoi ? pourquoi le mal, pourquoi le malheur, pourquoi la douleur, pourquoi l'injustice…" Que cette question se pose pour vous à l'occasion d'une chute accidentelle sur une baballe sucrée ou pas, c'est une question qui se pose de toute façon. Même les chats le savent, figurez-vous. Mais il arrive qu'on oublie de la poser pour de vrai, cette question. 
Alors ne soyez pas surpris si dimanche, elle commence sa prédication par ces mots : "pourquoi le mal, pourquoi le malheur…". 
Il faut parfois un choc du réel pour retrouver la réalité de ce qu'est un être humain en relation avec Dieu, et dans ce cas, c'est utile d'avoir quelqu'un au sol qui… OK, j'ai perdu la métaphore, là. Il arrive que je m'embrouille dans mes paraboles. N'est pas JC qui veut. 


mercredi 5 juillet 2017

L'interprète et le pasteur

Au chapitre 20 de l'évangile selon Jean se trouve une conclusion. Et pourtant il existe un chapitre 21… Un successeur de l'auteur a ajouté ces lignes, pour parler aux chrétiens de son temps, pour inscrire leur réalité dans la trame des mots.

Jésus se manifesta une nouvelle fois aux disciples, près de la mer de Tibériade. Voici comment il se manifesta. Simon Pierre et Thomas, qu’on appelait Didyme, Nathanaël qui venait de Cana en Galilée, les deux fils de Zébédée et deux autres des disciples étaient ensemble. Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils répondirent : Nous venons avec toi. Ils partirent, et montèrent dans la barque. Cette nuit-là, ils ne prirent rien. L’aube était déjà là, et Jésus se tint sur le rivage. Les disciples ne savaient pas que c’était Jésus. Jésus leur dit alors : Enfants, avez-vous de la nourriture ? Ils lui répondirent : Non. Il leur dit : Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. Ils jetèrent donc le filet, et ils n’avaient pas la force de tirer à cause de la masse des poissons. Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : C’est le Seigneur.
Simon Pierre, entendant que c’était le Seigneur, ceignit son vêtement, car il était nu, et se jeta à la mer. Les autres vinrent avec la barque, car ils n’étaient pas loin de la terre, à environ deux cent coudées, et ils tirèrent le filet plein de poissons. Lorsqu’ils débarquèrent, ils virent qu’un feu de braises avait été allumé, avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : Apportez des poissons que vous avez pris. Simon Pierre tira le filet à terre, plein de cent cinquante trois gros poissons, et malgré leur nombre, le filet ne se déchira pas. Jésus leur dit : Venez, mangez. Aucun des disciples n’osait le questionner : Qui es-tu ? Ils savaient que c’était le Seigneur. (Jn 21,1-12)


Commentaire

En mettant en scène à la fois le "disciple que Jésus aimait" et Simon Pierre, l'auteur de ce passage désigne la réalité des croyants après Pâques. Embarqués dans la toute jeune Eglise, les croyants ont besoin à la fois d'un interprète et d'un pasteur (comme l'écrit l'exégète Jean Zumstein). L'interprète, c'est celui qui sait reconnaître le Christ dans la silhouette sur le rivage, et dont la parole va permettre de comprendre autrement leur réalité : c'est celui qui dit "C'est le Seigneur !" Le pasteur, c'est celui qui, d'une parole, entraîne les disciples à la pêche, garant de la barque commune, mais c'est aussi celui qui se précipite vers le Christ sans attendre et se jette à l'eau lorsque sa voix se fait entendre. 
Dans l'Eglise d'aujourd'hui, les pasteurs sont à la fois pasteurs et interprètes. Comme pasteurs, il leur revient de maintenir l'unité, de faire en sorte que la barque ne tangue pas trop et que chacun et chacune y trouve sa place, il leur revient aussi de sauter les premiers dans l'eau quand on aperçoit le Christ qui nous attend. Comme interprètes, ce sont ceux qui savent dire "C'est le Seigneur" pour éclairer autrement le monde dans lequel nous vivons tous, de rappeler sans cesse que c'est à l'écho d'une parole venue d'ailleurs que nous trouvons le sens de ce que nous faisons. 
Ca ne va pas sans tension pour celui ou celle qui endosse la fonction. Quand on saute dans l'eau, il arrive qu'elle soit froide, et quand on désigne le Christ en disant que c'est lui, il arrive que les auditeurs entendent autre chose ! C'est ainsi. Nous ne faisons pas l'Eglise, nous autres pasteurs, nous aidons seulement à vivre du sens reçu… et nous ne le faisons pas parce que c'est facile, mais parce que nous y avons été appelés.


mardi 4 juillet 2017

Ô bienfaisante empathie

Au presbytère, juste avant Noël, ô miracle, le plombier était disponible.

- Ah mais c’est parce qu’il fait froid dehors ça madame, la chaudière elle a du mal à chauffer quand il fait froid. Faut la comprendre. 



Toute personne ou société citée ici est purement fictive, toute ressemblance avec des personnes ou sociétés existantes ne serait que pure coïncidence. Aucun artisan n'a été blessé pendant le tournage de cette chronique. 

lundi 3 juillet 2017

Jugez-vous les uns les autres

Jugez-vous les uns les autres, comme je vous ai jugés.
Ce serait plus facile comme ça, vous ne trouvez pas ? ça justifierait nos penchants les plus malsains, qui consistent à regarder les autres avec méfiance pour se dire "ouhlà, celui-là, celle-là, n’est pas comme il faut !" Avec l’idée bien arrêtée que nous-mêmes, nous sommes comme il faut. Que Dieu nous a bien regardés sous toutes les coutures, que nous avons réussi à lui cacher le pire, que ça a fait illusion, et qu’il a décidé que nous étions bons pour le service, et libres de nous sentir légitimes à ses yeux. Oui, ce serait plus facile… 
Mais bien sûr, ce n’est pas ainsi que ça marche, avec Dieu.
Parce que Dieu n'est pas une idole. Une idole, par définition, c'est ce à quoi nous accordons du pouvoir, tout en sachant très bien que ça n'en a aucun et que nous pouvons très bien jeter aux orties l'objet, l'idée, la personne que nous mettons à cette place-là, quand on en a assez de supporter cette idole-là et qu'on en veut une autre. Il y a toujours de la place dans notre coeur pour une idole, et notre imagination est infinie pour en créer toujours de nouvelles. 
Si Dieu était une idole, on pourrait décider qu'il nous regarde sans sourciller et nous déclare bons pour le service, quitte à en changer un jour prochain pour que notre nouvelle idole nous serve à autre chose. Mais Dieu n'est pas une idole. 
Dieu, c'est un inconnu pour nous. Nous ne le taillons pas de nos mains, nous ne jugeons pas de sa bouille sur une affiche, nous ne l'achetons pas pour le porter autour du cou et être admirés par la foule. Il reste inaccessible. Nous n'avons pas de pouvoir sur lui. La seule chose que nous puissions faire, c'est accepter de rentrer en relation avec lui, tel qu'il se révèle à nous. Son jugement fait partie de ces choses dont nous ne pouvons pas juger objectivement. Par contre, la relation avec lui, c'est ce qu'il nous est donné de vivre. Et là, on se retrouve aimés. Dans cette relation-là, c'est l'amour qui s'expérimente. Ca s'appelle la foi. De se savoir suffisamment aimés pour que ça compte infiniment plus que tout le reste, et que ça nous donne la force de vivre tout le reste. 
Ca nous arrache à la tentation du jugement, parce que nous échappons à cette trouille du jugement. Pour nous, c'est une question réglée, par la confiance que Dieu nous accorde et que nous lui accordons en retour. 
Et pourtant, quand Jésus nous dit « aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés », nous, nous continuons à entendre malgré tout « jugez-vous les uns les autres, comme je vous ai jugés ». Ca reste toujours tapi à la porte de notre coeur, cette histoire-là. Et c'est toute une vie de foi, partagée avec d'autres, qui nous permet de continuer à expérimenter que nous sommes rendus capables de ne pas nous juger les uns les autres, pour une seule et simple raison : nous ne sommes pas jugés non plus.
Au fait, cette phrase, aimez-vous les uns les autres, elle vient d'où ? On la trouve chez Jean, en deux passages distincts : Jn 13,34-35 et Jn 15,12-17. Le même Jean qui dit ailleurs "vous ne serez pas jugés" (Jn 3,18), et précise que c'est une histoire de confiance… 



samedi 1 juillet 2017

Déclaration de foi, 5

Nous continuons à lire la déclaration de foi de l'Eglise protestante unie de France. 

"Dieu se soucie de toutes ses créatures. Il nous appelle, avec d'autres artisans de justice et de paix, à entendre les détresses et à combattre les fléaux de toutes sortes : inquiétudes existentielles, ruptures sociales, haine de l'autre, discriminations, persécutions, violences, surexploitation de la planète, refus de toute limite." 

Dieu nous appelle - c'est, en soi, déjà une déclaration de foi. Le verbe "appeler" désigne à la fois un acte de création (appeler à l'existence) et un acte de salut (proclamer une vie nouvelle). Ici, en plus, il s'agit d'un appel à l'action. Toutes ses créatures sont appelées à ne pas rester centrées sur elles-mêmes, mais à élargir leur regard, à constater l'état du monde et, ayant accueilli Dieu comme créateur et sauveur, à participer à leur façon à cette création et à ce salut.
La lutte pour la création et le salut, c'est une lutte constante contre le délitement et le malheur. Nous ne gagnerons pas cette lutte-là, mais nous pouvons y participer, et d'abord en la constatant. D'autres que nous-mêmes qui nous disons chrétiens, d'ailleurs, participent à cette lutte, d'autres savent en distinguer les éléments et les enjeux. Nous n'avons pas le monopole de la bonté ni de la justice. Nous participons modestement, tout simplement parce que nous sommes persuadés que Dieu ne nous dit pas quoi faire - il nous offre une liberté d'agir et d'être.
Nous avons juste un regard particulier, parce que nous sommes porteurs d'une vigilance particulière vis-à-vis de ce que la Bible désigne et dénonce comme tentation idolâtre, c'est-à-dire contre tout ce qui se pose comme absolu, qu'il s'agisse de pouvoirs humains, de certitudes ou de vérités toutes faites.
La liste de fléaux détaillée ici n'est bien sûr pas limitative. Il s'agit de dire, aujourd'hui, dans ce monde-ci, ce qui nous semble le plus urgent, le plus criant, là où nous sommes appelés tout particulièrement à agir. Je m'arrêterai juste sur le tout dernier item de cette liste, le refus de toute limite. Le refus de toute limite est au coeur de notre expérience du mal dans ce monde. Et il ne s'agit pas seulement, de loin, de dénoncer tous ceux qui, par orgueil ou aveuglement, refusent les limites sociales et politiques, ceux qui piétinent les autres, jusqu'à leur dénier toute humanité, jusqu'à les massacrer en masse parfois.
Non, le refus de toute limite, c'est une réalité tapie à la porte de notre coeur à tous et pas seulement des pires d'entre nous. C'est haïr l'humanité qui nous limite, haïr le fait d'être mortels, faillibles et faibles. C'est rêver de toute-puissance en la croyant à notre portée malgré tout.
Or, l'Evangile vient à rebours de nos rêves de toute-puissance. Il ne consiste jamais à dire "tous tes rêves sont possibles", ni "il n'existe aucune limite à ce que tu peux faire", mais au contraire à affirmer tranquillement qu'au coeur même de notre réalité humaine, de nos limitations, de nos failles et de notre péché, sans que nous sachions trop comment, parce que cela nous est donné, de la nouveauté peut germer, de l'inattendu s'inviter et nous ouvrir d'autres perspectives. Pour nous et pour le monde.




  


vendredi 30 juin 2017

Chronique pastorale

- Pasteur ? Mais vous avez un vrai métier, en plus ?
- Non docteur. Et vous ?


Toute personne ou société citée ici est purement fictive, toute ressemblance avec des personnes ou sociétés existantes ne serait que pure coïncidence. Aucun membre des professions médicales n'a été blessé pendant le tournage de cette chronique. 

jeudi 29 juin 2017

La Bible dit que…

A plusieurs reprises dans les évangiles, Jésus entre en conflit avec des responsables religieux sur le sens du sabbat. Là où les responsables religieux insistent sur la nécessité du respect de ce jour, notamment en ne travaillant pas (ce qui pour Jésus signifie s'abstenir de faire des miracles, en gros), lui insiste sur le sens profond de ce jour férié.
On pourrait se dire que puisque c'est Jésus, quand même, il sait bien ce qu'il fait et que les autres ont forcément tort. Mais au fond, est-ce qu'on creuse vraiment pour savoir la raison derrière chacun de leurs arguments ? Pas forcément. Or, ce qui est intéressant, c'est que tous ces gens très bien, Jésus compris, s'appuient sur des textes bibliques pour justifier leur position. 
Si vous connaissez un peu le monde religieux, ça vous rappellera forcément quelque chose. Trancher une question du genre "Est-ce qu'on a le droit de faire quelque chose ou pas ?", dans les milieux religieux, c'est avoir recours aux textes de référence. Et comme c'est une histoire de choix de textes et d'interprétation, c'est toujours la porte ouverte à des débats plus ou moins houleux.
Démonstration : sur la question du sabbat, il y a deux textes principaux dans la Bible hébraïque (ce que les chrétiens appellent Ancien Testament). Le premier est au chapitre 20 de l'Exode, dans une des deux versions des dix commandements (littéralement des "dix paroles" ou décalogue) : "Car en six jours YHWH a fait les cieux, la terre et la mer et tout ce qui y est contenu, et il s'est reposé le septième jour : c'est pourquoi YHWH a béni le jour du repos et l'a sanctifié." Ca évoque la fin du récit de la création du monde, dans le livre de la Genèse. Après avoir organisé le monde et y avoir installé de quoi le peupler, y compris des humains, Dieu se retire et se repose. Respecter le sabbat, c'est alors montrer son respect pour le Dieu créateur qui a donné à l'humain une place particulière dans le monde et les moyens nécessaires pour l'habiter (y compris le repos).
Le deuxième texte, c'est l'autre version du décalogue, au livre du Deutéronome, au chapitre 5 : "Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Egypte et que YHWH ton Dieu t'en a fait sortir à main forte et à bras étendu : c'est pourquoi YHWH ton Dieu t'a ordonné d'observer le jour du repos." Ici, ce qui est l'objet de l'observance, ce n'est pas l'oeuvre de Dieu comme créateur, mais comme libérateur. C'est sur ce texte-là que Jésus s'appuie. Il ne disqualifie pas l'autre texte, mais choisir d'interpréter celui-là pour renouveler le sens du sabbat, c'est assez gonflé de la part de Jésus… et on l'oublie quand on se contente de lire à la surface des textes. Comprendre que l'interprétation de Jésus, son choix de texte pour justifier les actes et les paroles qu'il ose le jour du sabbat, est un coup de force, un acte proprement révolutionnaire, c'est assez libérateur en soi, non ? D'autant que précisément, il s'agit de libération. Quand Jésus agit et parle le jour du sabbat pour guérir, délier, redresser ceux qui l'approchent, c'est justement pour rappeler que le Dieu qu'il connaît et dont il fait foi est un Dieu qui libère les êtres humains, alors que ceux-ci n'ont que trop tendance à s'enfermer eux-mêmes et à enfermer les autres. 
Question d'interprétation… et la question qui se pose à tous ceux, de n'importe quelle religion, de n'importe quelle époque, qui se targuent d'interpréter des textes est la même qui se posait à Jésus : de quel Dieu témoigne-t-on en choisissant d'interpréter tel ou tel texte ?

James Tissot
https://www.brooklynmuseum.org/opencollection/objects/13427