A plusieurs reprises dans les évangiles, Jésus entre en conflit avec des responsables religieux sur le sens du sabbat. Là où les responsables religieux insistent sur la nécessité du respect de ce jour, notamment en ne travaillant pas (ce qui pour Jésus signifie s'abstenir de faire des miracles, en gros), lui insiste sur le sens profond de ce jour férié.
On pourrait se dire que puisque c'est Jésus, quand même, il sait bien ce qu'il fait et que les autres ont forcément tort. Mais au fond, est-ce qu'on creuse vraiment pour savoir la raison derrière chacun de leurs arguments ? Pas forcément. Or, ce qui est intéressant, c'est que tous ces gens très bien, Jésus compris, s'appuient sur des textes bibliques pour justifier leur position.
Si vous connaissez un peu le monde religieux, ça vous rappellera forcément quelque chose. Trancher une question du genre "Est-ce qu'on a le droit de faire quelque chose ou pas ?", dans les milieux religieux, c'est avoir recours aux textes de référence. Et comme c'est une histoire de choix de textes et d'interprétation, c'est toujours la porte ouverte à des débats plus ou moins houleux.
Démonstration : sur la question du sabbat, il y a deux textes principaux dans la Bible hébraïque (ce que les chrétiens appellent Ancien Testament). Le premier est au chapitre 20 de l'Exode, dans une des deux versions des dix commandements (littéralement des "dix paroles" ou décalogue) : "Car en six jours YHWH a fait les cieux, la terre et la mer et tout ce qui y est contenu, et il s'est reposé le septième jour : c'est pourquoi YHWH a béni le jour du repos et l'a sanctifié." Ca évoque la fin du récit de la création du monde, dans le livre de la Genèse. Après avoir organisé le monde et y avoir installé de quoi le peupler, y compris des humains, Dieu se retire et se repose. Respecter le sabbat, c'est alors montrer son respect pour le Dieu créateur qui a donné à l'humain une place particulière dans le monde et les moyens nécessaires pour l'habiter (y compris le repos).
Le deuxième texte, c'est l'autre version du décalogue, au livre du Deutéronome, au chapitre 5 : "Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d'Egypte et que YHWH ton Dieu t'en a fait sortir à main forte et à bras étendu : c'est pourquoi YHWH ton Dieu t'a ordonné d'observer le jour du repos." Ici, ce qui est l'objet de l'observance, ce n'est pas l'oeuvre de Dieu comme créateur, mais comme libérateur. C'est sur ce texte-là que Jésus s'appuie. Il ne disqualifie pas l'autre texte, mais choisir d'interpréter celui-là pour renouveler le sens du sabbat, c'est assez gonflé de la part de Jésus… et on l'oublie quand on se contente de lire à la surface des textes. Comprendre que l'interprétation de Jésus, son choix de texte pour justifier les actes et les paroles qu'il ose le jour du sabbat, est un coup de force, un acte proprement révolutionnaire, c'est assez libérateur en soi, non ? D'autant que précisément, il s'agit de libération. Quand Jésus agit et parle le jour du sabbat pour guérir, délier, redresser ceux qui l'approchent, c'est justement pour rappeler que le Dieu qu'il connaît et dont il fait foi est un Dieu qui libère les êtres humains, alors que ceux-ci n'ont que trop tendance à s'enfermer eux-mêmes et à enfermer les autres.
Question d'interprétation… et la question qui se pose à tous ceux, de n'importe quelle religion, de n'importe quelle époque, qui se targuent d'interpréter des textes est la même qui se posait à Jésus : de quel Dieu témoigne-t-on en choisissant d'interpréter tel ou tel texte ?
James Tissot https://www.brooklynmuseum.org/opencollection/objects/13427 |
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