Le président américain, Donald J. Trump, a décrété récemment que n'étaient pas les bienvenus pour migrer aux Etats-Unis les citoyens de "pays de latrines". C'est la dernière en date (du moins à l'heure où j'écris) d'une très longue série de remarques plus ou moins publiques, plus ou moins assumées, mais qui toutes ont soulevé des montagnes de commentaires horrifiés.
C'est que le président Trump expose, de façon très crue et très violente, ce qui se terre au fond de chacun et chacune de nous : ce sentiment lancinant, que nous recouvrons du manteau de la maîtrise de soi, que certains dans ce monde ne devraient pas exister.
Trop malades, trop inquiétants, trop basanés, trop différents, trop dépendants... "trop" quelque chose. Ou "pas assez" quelque chose. Mais de toute façon, inacceptables. Et ça se vit jusque dans nos églises, avec ces petits regards désolés devant tel ou telle qui n'est pas assez bien pour être là... qui n'est pas comme il faudrait.
Il y a au moins deux façons de faire face à ce sentiment bien ancré en nous, individuellement et collectivement, quand on réfléchit à la lumière de l'Evangile. La première façon, c'est de dire que le commandement d'amour laissé par Jésus nous invite à passer outre à ces vilains penchants pour se forcer à aimer son prochain malgré tout. Ca peut, dans le pire des cas, aboutir sur une belle hypocrisie. Dans le meilleur des cas, ça incite à se pencher ensemble sur la question et sur les textes bibliques pour se demander comment ça fonctionne, tout ça, et qui est le prochain de qui, pour comprendre ensemble d'où vient la lumière qui nous manque.
La deuxième façon, c'est d'admettre. Admettre que ce sentiment lancinant "tu ne devrais pas exister", c'est d'abord et avant tout quelque chose qui nous hante parce que c'est une question qui nous est posée personnellement. Moi, en tant que sujet humain, pourquoi suis-je en vie ? est-il légitime que je sois en vie ? que faudrait-il faire pour gagner le droit d'être en vie, même si je suis intimement convaincu que je n'y ai pas droit ? Le mystère de nos origines ne cesse pas de nous hanter. Et c'est tout naturellement, très humainement, que nous rejettons sur les autres le poids d'une question qui se pose pour nous. Nous passons sans le voir de "ai-je le droit d'exister" à "celui-là, celle-là, n'a pas le droit d'exister". C'est une façon comme une autre de se défendre contre la noirceur qui nous pèse, en nous-mêmes. Mais ce que je ne cesserai jamais de proclamer, c'est qu'au regard de Dieu, tout cela n'a que le poids d'un courant d'air. Dans le regard de Dieu, j'ai le droit d'exister et il est bon que je sois en vie. Dans le regard de Dieu, l'autre qui me fait face a le droit d'exister et il est bon qu'il soit en vie. Dans le regard de Dieu, tous ceux que je ne connais pas et qui, peut-être, me font peur, ont le droit d'exister et il est bon qu'ils soient en vie... Ca me remet à ma place, très modeste. Et ça me libère à la fois de l'hypocrisie et de la violence.
Je ne veux pas savoir comment ça se joue pour le président Trump. Ce n'est ni ma fonction ni ma vocation. Je ne peux qu'espérer qu'une parole de grâce vienne bouleverser ce qui manifeste une vraie souffrance et fait écho à celle de toute une nation. Et comme citoyenne du monde, j'ai le droit de m'inquiéter de ce que cet homme, dont on dit qu'il est le plus puissant du monde, ait les moyens de mettre en oeuvre par bien des façons ce fantasme qui nous hante tous.
C'est un bien beau texte. Merci.
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