lundi 1 avril 2019

VDMA

La vision du monde alternative (VDMA) : essayez, vous ne serez jamais déçus.
Vous n'aimez pas les faits qui vous sont présentés ? dites que vous adhérez à d'autres faits, qu'on ne voit pas là tout de suite, mais qui sont autrement probants. 
Vous n'aimez pas les gens qui vous sont présentés ? dites qu'une chose en eux est insupportable à votre dieu et que vous ne pouvez par conséquent ni admettre d'être en leur présence, ni même admettre leur existence (mais enfin, vous avez bon coeur, la preuve, vous admettez quand même qu'ils existent, à la seule condition qu'ils ne se montrent jamais et se fassent oublier). 
Vous n'aimez pas l'idée qu'il va falloir se serrer la ceinture pour que d'autres puissent être nourris, éduqués, soignés ? pas grave, il suffit de croire vraiment que chaque humain est un monde en soi-même qui n'est jamais appelé à se préoccuper des autres. 
C'est très pratique, d'avoir une vision du monde alternative. Vous avez toujours raison. Vous êtes toujours du bon côté d'un débat moral. Vous n'avez pas besoin de vous fatiguer à écouter les autres. Vous pouvez, en toute bonne conscience, imposer votre façon de voir, pas seulement à la table du dîner notez bien, mais aussi dans le monde social, dans les débats politiques et les prises de décision qui en découlent. 
Vous avez un abonnement à des bénéfices substantiels découlant d'une industrie ou d'une autre ? dites que dans votre monde, c'est un droit absolu, et tout ira bien. 
Une vision du monde alternative à la mienne, croyez-moi, je connais : je vous rappelle que je discute tous les jours de religion et de politique avec un chat. On n'a pas exactement la même façon d'aborder l'univers et ses problématiques. Sauf que nous sommes d'accord sur des faits, ce qui rend la vie non seulement supportable mais tout à fait agréable parce qu'elle permet notre communauté. Aux éventuels petits malins qui supputeraient la défaillance de ma santé mentale d'une part et un débat sur l'existence de mon chat d'autre part, je répondrai d'une part que c'est vraiment gentil de vous préoccuper de ma santé mentale mais il ne faut pas (vraiment, il ne faut pas) et d'autre part que pour pouvoir discuter de la vie ou non-vie de mon chat, il faut qu'il soit dans la boîte et donc qu'on ne puisse plus discuter avec lui. CQF(à peu près)D.
Je disais donc, avant d'être interrompue par mon petit délire perso, qu'une vision du monde alternative n'est pas en soi un problème. Elle le devient lorsqu'elle sert à manipuler. C'est alors une vision du monde délirante qui impose le malheur à d'autres et qui ne recouvre qu'un incroyable égoïsme. Je ne suis pas loin de penser que c'est la définition du péché, tel que Luther en parlait : être replié sur soi, inaccessible à tout discours extérieur, à toute relation avec un autre que soi-même. 
Tiens, Luther, justement, il est temps que je lui rende ce qui lui appartient, ou ce qui appartient du moins à ceux qui se réclamaient de lui aux temps premiers de la Réforme : VDMA, ça désigne l'expression latine "Verbum Domini Manet in Aeternum", qui traduit le grec "τὸ δὲ ῥῆμα Κυρίου μένει εἰς τὸν αἰῶνα" dans le premier chapitre de la première épître de Pierre, qui lui-même citait le prophète Esaïe (Es 40,8) :   "וּדְבַר־אֱלֹהֵ֖ינוּ יָק֥וּם לְעוֹלָֽם׃". En hébreu, ça dit en gros : la parole (ou la chose) de notre Dieu reste debout (ou se lève, ou dure) pour des temps très longs (ou pour aussi longtemps qu'il y a des gens pour s'en souvenir). Le bonheur de la lecture midrashique est de déplier ce texte dans des dimensions inattendues. Pierre, dans sa reprise du texte hébreu, enlève la mention de "notre Dieu" pour dire simplement "Seigneur", rendant universel l'accès à ce Dieu-là. 
Il reste un problème. De quelle parole parle-t-on ici ? 
Et si j'en parle, c'est que c'est précisément le coeur du problème dont je parlais au début. Si vous dites que la parole de Dieu désigne la Bible, vous êtes sur une pente glissante : au bout du bout d'un tel raisonnement, il y a la possibilité de dire que la Bible dit la vérité sur tout, y compris les sujets qui relèvent de la science, et donc que le monde a été créé il y a environ 6000 ans puisque la Bible le dit. Il y a la possiblité de fonder sur la Bible une vision du monde alternative, qui ne correspond en rien à des faits sur lesquels tout le monde pourrait se mettre d'accord. Il y a dorénavant ceux qui y croient, et les hérétiques qu'il faut combattre. Il y a la possibilité de fonder un ordre théocratique. C'est une immense tentation (depuis ce côté-ci de l'océan, j'ai l'impression très nette que c'est une tentation à l'oeuvre aux USA en ce moment). 
Vous voyez le problème ? Ca n'a l'air de rien, l'interprétation d'un obscur verset biblique. Mais ça peut renverser les empires. Parce que ça fait toute la différence entre le délire et l'Evangile. 


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