lundi 8 avril 2019

Trop sérieux (l'uberisation des tapis et quelques autres considérations)

- Mon chaton, l'heure est grave.
- Ah bon ? Qu'est-ce que tu as fait, encore ?
- ... Je te demande pardon ?
- Je t'en prie.
- Non, je veux d... Peu importe. Voilà : il paraît qu'on est trop sérieux.
- Je suis toujours sérieux.
- Kof, kof, kof. Tu viens d'assassiner le petit tapis à rayures.
- Il l'avait cherché. Il m'avait volé une croquette.
- Bon. Bref. Si tu permets, je vais sans autre détour te faire part de ma dernière découverte qui, je l'avoue, me plaît infiniment. Je suis tombée sur un article américain qui parle d'une membre du clergé de l'Eglise épiscopale américaine, une Eglise issue de l'Eglise anglicane après la révolution américaine (j'ai déjà évoqué ici même un sermon prononcé par un autre membre de ce même clergé à l'occasion d'un mariage princier). Cette femme, donc, y parle de son expérience en tant que pasteure "freelance" : elle n'est pas rattachée à une paroisse, mais "loue" ses services à des paroisses pour des choses bien précises. L'ubérisation du pastorat, en quelque sorte...
- J'en suis tout frisotté des moustaches.
- Ton sarcasme, mon chaton, m'indiffère. Je disais donc qu'elle intervient dans une paroisse pour deux cultes par mois et que pour le reste, ses services sont rémunérés à l'heure pour l'accompagnement pastoral et pour la formation. Elle est le pasteur habituel de cette paroisse, sans lui être rattachée, ni y vivre. Du coup, la communauté locale se prend en charge et décide des domaines précis qui doivent être affectés à l'activité du pasteur. Ca me semble, sur ce point précisément, plutôt futé...
- Parce que ça encourage les gens à se prendre en charge ?
- D'une certaine façon, oui. S'il n'est pas automatique que le pasteur va s'occuper des affaires de l'Eglise locale, alors on pense l'Eglise locale autrement. On pense la vie communautaire autrement que celle d'un groupe animé par le permanent de l'institution. Ca m'évoque un peu, toutes proportions gardées, la relation entre les premières Eglises et l'apôtre Paul : il les guidait à distance, en quelque sorte... et leur essort au départ montre que ce n'est pas la présence permanente d'un serviteur de l'Eglise qui fait l'Eglise, c'est la dynamique locale de ceux qui prennent la foi au sérieux et décident de mettre en oeuvre ce qu'elle leur inspire, personnellement et communautairement.
- Tu es en train de dire qu'il faut arrêter de mettre des pasteurs dans les Eglises ? Mais... tu n'auras plus de travail ? Qu'est-ce que je vais manger ?
- Mon chaton, ce n'est pas ce que je dis. Mais je pense à ces toutes petites communautés sur lesquelles pèse l'obligation de payer ce que, dans mon Eglise, on appelle "la cible" et qui servira à financer la vie de l'Eglise globale (y compris le salaire des pasteurs) ou, dans d'autres systèmes, directement le salaire d'un pasteur, alors que le nombre de participants à la communauté a tellement baissé qu'il n'y a plus les moyens de le faire. Le système dont il est question dans cet article permettrait d'accompagner les communautés telles qu'elles sont, avec leurs besoins réels, ponctuels.
- Payer pour la grâce, ce n'est pas antithétique de ce que tu prêches ?
- Il ne s'agit pas de payer pour la grâce, mais pour la présence ponctuelle de quelqu'un qui accompagne une communauté qui vit déjà de la grâce. Ce n'est pas du tout la même chose... Dans l'Eglise, comme dans les structures associatives en général, ce sont les coûts cachés qui permettent de faire vivre la structure. C'est parce que des gens sont prêts à sacrifier leur temps, leur énergie, leur argent, que ça peut vivre. Mais je crois que de temps en temps, il est bon de dire clairement quels sont les coûts cachés, ne serait-ce que pour clarifier qui fait au quoi au bénéfice de la communauté. On a parfois des surprises... Et à vrai dire, si le temps des pasteurs pouvait être libéré pour d'autres choses que le quotidien des Eglises locales, je crois qu'on aurait des surprises aussi... Pouvoir prendre le temps de s'ouvrir à d'autres manières de comprendre et de dire la grâce, de penser théologiquement, d'écrire un blog pourquoi pas, c'est souvent un luxe impossible... alors que c'est essentiel pour jouer un des rôles du pasteur, qui est de vivifier nos communautés. Enfin je crois. Au fond, je crois à la créativité...
- ... tu peux prêcher là-dessus, non ?
- Tiens oui, bonne idée. Pour Pâques peut-être : la grâce, source infinie de créativité pour nos vies et nos Eglises...
- N'empêche que c'est hérétique, comme idée, un pasteur qui loue ses services alors qu'il est supposé ne louer que Dieu...
- Je sais. D'ailleurs à tenter de l'appliquer sans réfléchir, cette idée, on tomberait vite dans un travers de notre civilisation : payer pour avoir un droit et, au passage, mettre à bas les structures sociales de régulation des intérêts particuliers. Mettons plutôt que c'est un petit fil qui dépasse de la tapisserie et qu'on est libre de tirer pour voir où ça mène...
- Euh, en parlant de fil qui dépasse... tu y tenais, à ton tapis ? 

(c) PRG

1 commentaire:

  1. Je le souviens d'une reflexion que me faisait un ami d'enfance, qui était que, dans notre société (et depuis longtemps, et pour des raisons qui se comprennent par ailleurs), nous acceptons de payer très cher le superflu (y compris lorsque ça n'est pas essentiel) mais ne supportons plus de payer pour l'indispensable.

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