vendredi 15 février 2019

Le célibat

Une question de mon chat m'a fait cogiter : est-ce qu'être femme a une influence sur ma façon d'exercer le ministère ? A la réflexion, ce n'est pas seulement d'être femme ; c'est aussi d'être seule. Ca m'a conduit à réfléchir à la réalité du ministère aujourd'hui.
Une bonne partie des nouvelles générations de pasteurs exerce le ministère dans un état de célibat.  C'est probablement un effet de génération, comme dans le reste de la population. Certains n'ont jamais été mariés, d'autres sont divorcés (même si ça se dit parfois avec précaution tant on risque encore de choquer), certains ont des enfants à charge... Pourtant, pour les protestants la vie conjugale ne s'oppose en rien au ministère, au contraire : les réformateurs pensaient en effet que l'Evangile devait pouvoir se vivre dans toutes les dimensions de la vie, celle-ci incluse. Ils constataient d'autre part que le célibat mettait à l'écart de la société les prêtres qui risquaient alors d'être perçus comme étant hors de l'humanité ordinaire et plus dignes du salut que les autres, ce qui va à rebours de la compréhension protestante du salut. 
Il semble donc étonnant que beaucoup de pasteurs soient célibataires. Etonnant ? peut-être pas tant que ça. Par exemple, si une première femme, Elisabeth Schmidt, a été admise au rôle des pasteurs de l'Eglise Réformée de France en 1949, ce n'est qu'à la fin des années 60 que les femmes pasteures ont eu le droit de se marier : ce ne sont pas des arguments théologiques qui étaient en cause (même si on peut toujours en trouver en cherchant bien), mais le souci de ne pas choquer et de respecter des conventions sociales dominantes. Aujourd'hui, il ne s'agit plus de se battre pour le droit à une vie conjugale tout en étant pasteure et femme, et les conventions sociales ne sont plus invoquées pour exiger des pasteures le célibat, du moins dans l'Eglise qui est la mienne. Mais il y a probablement d'autres raisons pour lesquelles le célibat des pasteurs, hommes et femmes, n'est pas rare. 
Allez donc rencontrer quelqu'un quand vous travaillez soixante-dix heures et plus par semaine, avec des réunions tous les soirs ; allez rencontrer quelqu'un et soigner une relation lorsque vous travaillez tous les week-ends ; allez rencontrer quelqu'un quand vous êtes l'objet d'une curiosité pas toujours très saine ; allez rencontrer quelqu'un quand vous ressemblez à un extraterrestre tant la réalité de votre vie quotidienne et les questions qui habitent votre ministère semblent détachées de la vie des gens qui ne connaissent pas l'Eglise, à supposer même que vous ayez le temps et l'énergie de passer du temps en dehors de l'Eglise ; allez rencontrer quelqu'un quand vous expliquez qu'en principe vous déménagez tous les six ans... Il arrive parfois que des couples de pasteurs se forment mais tout reste compliqué : les distances, l'absence de postes proches pour les couples pastoraux, le manque de temps, les problèmes logistiques démultipliés des familles recomposées mettent parfois à rude épreuve les couples les plus solides. J'ai aussi observé qu'être femme seule dans le ministère, c'est parfois être considérée comme disponible par essence, l'idée étant que puisque vous n'appartenez à personne, ça ne dérangera personne... mais on rejoint ici l'expérience générale des femmes, pas seulement dans l'Eglise. 
Y a-t-il des solutions ? Je n'en sais rien, mais d'après mon expérience et mes observations (forcément partielles et subjectives), c'est une réalité du ministère aujourd'hui, dont les membres des Eglises locales se rendent rarement compte - une réalité qui, si l'on en croit l'évolution de la population et des nouveaux profils de pasteurs, n'est pas près de s'atténuer, et qui a un effet sur la qualité de vie des ministres en exercice et le désir de s'engager des éventuels futurs ministres. 
Surtout, pour nous qui en principe passons notre temps à bousculer la logique sacrificielle, il y a une certaine absurdité à la laisser s'infiltrer dans notre vie personnelle. 

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