mercredi 13 février 2019

A Different Breed o' Cat

Depuis la nuit des temps, entre ceux qui appartiennent à un groupe et ceux qui n'y appartiennent pas, il y a - comment dire... - des difficultés à communiquer. Et laissez-moi vous révéler un secret extraordinaire : c'est la même chose pour l'Église.

- Ttttt, mon humaine... tu ne vas quand même pas parler de ça, dis-moi ?
- Oh que si, mon chaton ! parce que si je me souviens bien, on avait laissé en plan ce pauvre Siglibert Lepont, et que j'ai quand même bien envie de connaître la suite de ses aventures, tu vois. 
- Si tu y tiens.
- J'y tiens. Donc, ce pauvre Siglibert se baladait d'église en communauté, de rassemblement en convention, sans jamais avoir l'impression d'y avoir sa place. Il avait toujours l'impression de tricher, en voyant que tous les autres avaient l'air de savoir parfaitement pourquoi ils étaient là, et surtout l'air d'y être parfaitement légitimes. Siglibert, son problème, c'était justement qu'il ne se sentait pas légitime, tu vois ? Et c'est source d'une infinie souffrance, si les seuls lieux qu'on fréquente fonctionnent selon le présupposé que pour y être, il faut justement être légitime.
- Et ça se manifeste comment, ça, pour vous les humains ?
- Souvent, ça se manifeste comme une maladie de l'accueil. On ne sait pas comment accueillir ceux qui arrivent et qui n'y connaissent rien.
- Mais les portes sont ouvertes, non ? tout le monde peut rentrer ?
- Oui, bien sûr. Mais tu vois, chez les humains, une porte ouverte ça ne suffit pas, si les regards qui accueillent au seuil de la porte laissent entendre qu'il y a quand même des conditions à remplir.
- Mais attends, il y a pourtant des conditions à remplir, pour être dans une Eglise, non ?
- Tout dépend de quoi tu parles. Dans la mienne, tout le monde (c'est-à-dire n'importe qui) peut passer la porte et venir écouter et participer à la Cène, il n'y a aucune condition. Mais pour devenir membre de l'Eglise locale (ce qu'on appelle "paroisse" dans le monde catholique) par contre, il faut en faire la demande et là il y a une condition : reconnaître que "Jésus-Christ est le Seigneur" (on appelle ça la confession de foi minimale). En général, ça se fait en remplissant une fiche. En devenant membre de l'association cultuelle (c'est le cadre légal de la communauté locale), on s'engage vraiment. Selon la Constitution (à l'article 2), "ceux qui sont inscrits sur la liste des membres de l'association cultuelle sont appelés à participer fidèlement au service de l'Evangile et à la vie matérielle et financière de l'Eglise ainsi qu'à son gouvernement". Quand on est membre de l'association cultuelle, on prend donc l'engagement de participer à la vie de la communauté d'une façon ou d'une autre : on n'est pas client, mais acteur de la vie commune.
- Bon, mais tout ça, c'est des finasseries de connaisseurs, de gens du dedans, justement. Siglibert, lui, le pauvre, il n'est pas au courant de tout ça, et honnêtement il a l'air de s'en fiche comme de son premier oreiller.
- Je ne sais pas pour l'oreiller, mon chaton, mais c'est vrai que se trouver face à ce qui ressemble à des obligations alors qu'on essaie juste de suivre le mouvement intime qui pousse à aller écouter des paroles de vie, ce n'est pas exactement facile...
- Tu disais donc, mon humaine, qu'une Eglise c'est forcément conservateur.
- J'ai dit ça, moi ? Pas du tout ! J'ai dit, très maladroitement, qu'entre ceux du dedans et ceux qui n'y sont pas, il y a de grands malentendus et certainement beaucoup de non-dits aussi. Un groupe humain se forge une culture, des habitudes, des codes, qu'on le veuille ou non. Un groupe aura beau être très accueillant, très ouvert, il n'empêche que ceux qui en font partie font, disent et pensent des choses que ne font, disent et pensent pas les autres.
- Et c'est un problème ?
- Oui et non. Oui si c'est un obstacle. Mais si l'on ne perd jamais de vue la raison d'être du groupe humain, alors la question ne se pose même pas.
- Comment ça, la raison d'être ?
- Tu ne peux pas comprendre ça, petit chat, parce que tu es un chat et que l'instinct de groupe t'est étranger. Mais pour les humains, faire groupe ça peut suffire à ce qu'il y ait un groupe.
- Et alors ?
- Et alors, une Eglise, ce n'est pas un groupe d'humains. C'est un groupe qui reconnaît qu'il y manque quelqu'un et que c'est ça qui lui donne son sens. C'est parce que Jésus n'est plus là qu'il y a une Eglise.
- Il manque quelqu'un et c'est pour ça que l'Eglise a un sens ? Mais si on va par là, il manque des tas des gens et c'est pour ça que l'Eglise a un sens ?
- On peut aller par là. L'Eglise est là pour ceux qui n'y sont pas... Elle ne possède pas ce qu'elle dit, elle n'est jamais propriétaire du message, elle n'en est que dépositaire. Elle ne peut pas s'y accrocher, elle ne peut pas prétendre à des droits dessus. Elle ne peut que transmettre ce qu'elle a reçu. Et si elle ne transmet pas, elle meurt.
- C'est un chouia violent pour la culture protestante, ce que tu dis là, non ?
- Pourquoi ?
- Ben si les protestants ont survécu, c'est bien parce qu'ils se sont agrippés à ce qu'ils comprenaient de l'Evangile et qu'ils ont refusé de lâcher dessus avec une extraordinaire ténacité.
- Je ne sais toujours pas d'où tu tiens cette science, mon chaton...
- Moi non plus, mon humaine, mais ce n'est pas la question.
- Je me dis, mais j'ai peut-être tort, que l'immobilité, c'est la mort. Être en vie c'est accepter d'être en constant déséquilibre. Une symphonie flirte avec le chaos... Le but, encore une fois, c'est d'accepter le déséquilibre au coeur même de notre vie d'Eglise : il y manque toujours quelqu'un et c'est une bonne chose. Quand on resserre les rangs sans y laisser de place pour la nouveauté et l'inattendu, on tourne en rond et on finit par mourir. Et s'il y a une situation de terrible déséquilibre, c'est bien lorsque une minorité lutte pour sa survie, pour s'accrocher à ce qui profondément la fait vivre.
- Il y a une chute théologique, à ton histoire ?
- Si tu insistes... oui : pour les Eglises de la Réforme, il y a une différence à faire entre "Eglise visible" et "Eglise invisible". L'Eglise visible, c'est l'institution, le groupe humain qui se donne des règles de vie et d'organisation ; l'Eglise invisible, c'est celle que Dieu appelle et personne n'en connait les contours à part lui. C'est une logique profondément libératoire !
- Pourquoi ?
- Parce qu'on est encouragé à ne jamais confondre l'institution humaine, toujours faillible et à améliorer, et la réalité de l'Eglise de Dieu, toujours inconnaissable et sur laquelle nous n'avons aucun contrôle.
- Mais ça veut dire qu'il y a des gens dans l'institution qui en réalité ne sont pas appelés par Dieu ?
- Probablement. Mais on n'en sait rien et donc on fait avec tous ceux qui sont là, et en même temps on peut prendre le risque de prendre des mesures pour empêcher certains de faire du mal aux autres... Et puis, bien sûr, il y a aussi des gens qui sont en réalité dans l'Eglise même s'il ne font pas partie d'une institution ecclésiale.
- Tu crois que Siglibert va finir par tomber sur cette idée ?
- Je n'en sais rien. Je lui souhaite... 



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