La loi de la nature,
c’est la loi du plus fort. Quand des enfants crient dans la cour de récréation
« c’est moi l’plus fort ! », ils mettent en jeu, pour mieux
l’apprivoiser, ce penchant naturel de l’être humain, qui est de suivre la loi
du plus fort. L’évangéliste Marc, dans ce texte, nous montre des disciples qui
jouent à « qui c’est l’plus fort ». Ils viennent pourtant d’entendre
Jésus annoncer sa mort et sa résurrection, ça pourrait les pousser à s’interroger
sur le Dieu auquel ils croient, mais non. Ils suivent la pente naturelle de
leur humanité, et se poussent du coude en chuchotant en chemin « c’est moi
l’plus fort »...
Or le règne de Dieu ne suit pas la
loi du plus fort. Jésus, pour dire cela, utilise des images qui nous parlent à
tous, car tous nous avons été enfants, tous nous avons été confrontés à cette
loi du plus fort qui, du plus lointain des âges, accable l’humanité. Jésus
prend un enfant dans ses bras et affirme : croire en Dieu, ce n’est pas suivre
le plus fort, c’est accueillir un tout-petit. Pourquoi ? Pourquoi dire
cela, et qu’est-ce que ça signifie ?
Tout humain naît comme un bébé. Tout
humain doit passer par l’enfance pour apprendre l’humanité. Jésus, pour parler
de la foi, ne met pas en avant la connaissance parfaite, l’autorité, mais
l’apprentissage, l’incomplétude, le perfectionnement progressif et la
dépendance envers un autre que soi-même. Un enfant reçoit tout : l’amour,
l’éducation, les soins constants, le langage dans lequel il baigne, les liens
qui l’unissent aux autres ; ce n’est que peu à peu qu’il conquerra une
autonomie sur tous ces plans. Un enfant ne produit rien : il n’est pas là
pour être utile, ou productif, ou efficace. Il n’est même pas là pour montrer
des capacités hors norme, pour se montrer exceptionnel. Il est là, simplement,
pour vivre et grandir. Il n’y a pas de condition à remplir pour être un enfant.
Ce qui rend légitime un enfant, ce n’est pas sa conformité à quoi que ce soit.
De même, le croyant n’est pas un être
parfait, au sommet de ses compétences, qui aurait acquis par l’ascèse et toute
une vie de renoncements la légitimité qui lui donnerait un droit à siéger en
place d’autorité : c’est celui qui ne peut pas faire autrement qu’admettre
qu’au fond, il ne sait encore rien. Celui qui est bien forcé, à son corps
défendant sans doute, d’admettre que c’est ce qu’il reçoit qui le fait vivre,
et pas ce qu’il produit.
Le croyant, celui qui est mis en
mouvement par la foi, ne se fait aucune illusion sur ses propres capacités à se
montrer légitime par lui-même. Il sait que sa légitimité n’est pas dans son
efficacité, dans ses forces, mais dans le simple fait d’exister face à Dieu,
accueilli par Dieu. Que c’est dans le regard de Dieu, plein du désir de vie
pour lui, qu’il peut puiser ses forces.
Est-ce qu’on entend bien le fond
proprement révolutionnaire de cette affirmation ?
Elle dit quelque chose d’essentiel sur Dieu. Dans deux des
quatre évangiles, c’est Jésus qui est présenté, le premier, comme un bébé. Et
ce n’est pas anodin. Cela nous force à faire face à cette réalité : Jésus,
fils de Dieu, ou « fils de l’homme », comme il se désigne lui-même,
renvoyant ainsi à un très ancien titre prophétique, Jésus fut bien un enfant
humain. La révélation de Dieu sur terre passe par cette humanité faible, sans
qualités, sans pouvoir autre que celui de recevoir. Jésus, comme chacun de
nous, a été celui qui ne pouvait rien donner, rien produire, mais seulement
recevoir, et grandir parce qu’il lui a été donné de vivre ainsi. Dieu est passé
par cette humanité... il a pris le risque de mettre en péril son souffle
fragile, souffle d’un bébé livré au monde, dès sa naissance. Voilà qui va à
rebours de nos images de Dieu. Dieu comme celui qui prend des risques pour
s’immiscer dans notre humanité, celui qui prend les mêmes risques que nous pour
survivre. Dieu qui manifeste ainsi le lien de fondamentale dépendance entre la
vie et le désir qui la porte, dans le regard d’un autre. Or, l’humanité ne
supporte pas très bien ce Dieu-là...
C’est pourtant ce que dit Jésus
lorsqu’il dit : pour être grand, soyez comme un tout-petit. Pour que votre
foi soit grande, dépouillez-vous de toute prétention à gagner votre grandeur
par vous-mêmes. C’est le désir de Dieu qui vous fait grandir, dans le lien de
confiance qui vous unit à lui. Et rien d’autre. Soyez comme un enfant,
c’est-à-dire ne vous faites pas d’illusions sur votre toute-puissance, sur
votre capacité à faire vous-même la grandeur de votre foi.
C’est le fameux « esprit
d’enfance » évangélique, qui n’a rien à voir avec une innocence
primordiale, qui n’a rien à voir avec une puérilité crédule, une espèce de
renoncement de l’être dans une soumission simpliste et analphabète, qui n’a
rien à voir non plus avec une vertu morale ou une piété religieuse. L’esprit
d’enfance, c’est vivre à partir d’un désir qui est hors de nous-mêmes, c’est
vivre à partir du désir de Dieu. C’est ainsi que chacun est accepté par Dieu,
indépendamment de ses qualités propres, de ses compétences, de ses
particularités dans l’espace social. Ce n’est pas l’expérience qui fait le
croyant, mais le choix que Dieu a fait de se lier de confiance avec lui, de lui
offrir l’espace de confiance nécessaire pour grandir, pour vivre.
Or Jésus dit : pour accueillir Dieu, accueillez l'autre comme s'il était lui aussi ce tout-petit. Accueillez l'autre comme vous êtes accueilli, pas pour ses qualités propres, pas pour ses compétences, mais parce que moi, comme vous, je tiens tout de Dieu le Père.
Cela nous rappelle, imperturbablement, que nous ne sommes croyants qu'en croyant que nous tenons tout de Dieu.
Or Jésus dit : pour accueillir Dieu, accueillez l'autre comme s'il était lui aussi ce tout-petit. Accueillez l'autre comme vous êtes accueilli, pas pour ses qualités propres, pas pour ses compétences, mais parce que moi, comme vous, je tiens tout de Dieu le Père.
Cela nous rappelle, imperturbablement, que nous ne sommes croyants qu'en croyant que nous tenons tout de Dieu.
(c) Eloïse D. |
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