Que chacun soit soumis aux autorités établies ; car il n'y a pas d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu. C'est pourquoi celui qui résiste à l'autorité s'oppose à l'ordre de Dieu ; ceux qui s'opposent attireront un jugement sur eux-mêmes. Les chefs, en effet, ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas craindre l'autorité ? Fais le bien, et tu auras son approbation, car elle est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains, car ce n'est pas pour rien qu'elle porte l'épée : elle est en effet au service de Dieu pour faire justice, pour la colère, contre celui qui pratique le mal. C'est pourquoi il est nécessaire d'être soumis - non seulement à cause de la colère, mais encore par motif de conscience. C'est aussi pour cela que vous payez des impôts. Car les gouvernants sont attachés au service de Dieu pour cette fonction même. Rendez à chacun ce qui lui est dû - l'impôt à qui vous devez l'impôt, la taxe à qui vous devez la taxe, la crainte à qui vous devez la crainte, l'honneur à qui vous devez l'honneur. (Rm 13,1-6)
Paul a été frappé, littéralement, par l'Evangile. Et si l'on en croit ce qu'il en a dit des années plus tard, ce qu'il a compris au fond, ce qui radicalement lui a fait changer de vie, c'est que que la dignité d’un humain est par-delà la moindre de ses compétences
propres. Dire cela, pour Paul comme pour nous, c’est affirmer que l’espace social, avec ses règles et ses codes,
n’est pas le tout de la vie humaine. La valeur intrinsèque de la vie humaine n'en dépend pas, ne dépend pas de la conformité à cet ordre ni de ce que nous en pensons. Pourtant, l’apôtre Paul nous appelle au
respect radical de cet ordre social. Pourquoi ?
Pourquoi, si chacun est accepté
inconditionnellement par Dieu, faudrait-il se soumettre, comme le dit Paul, aux
autorités ? Je ne vous le cache pas, ce passage de la lettre de Paul aux
Romains a parfois servi, au cours de l’histoire, à justifier tout et n’importe
quoi, du renoncement à se mêler aux affaires politiques à la soumission la plus
servile, de la justification d’un ordre politique inique à la bataille rangée
contre lui. Mais tout cela ne fait que trahir la pensée de Paul. Lorsque Paul
dit « soumettez-vous aux autorités », il affirme que l’être humain,
livré à lui-même, soumis à nul autre qu’à lui-même, entre nécessairement en
conflit avec les autres humains. La loi du plus fort, c’est la loi de la
nature, ce n’est pas l’ordre de la création telle que Dieu a voulu la donner
aux humains.
Car la nature, ce n’est pas la
création ! La nature c’est la loi du plus fort, du plus gros, de la
bactérie la plus coriace, du virus le plus efficace. La nature ne se confond
jamais avec la création. La variole fait partie de la nature ; avoir
réussi à éradiquer la variole fait partie du projet de la création ! La
création est devenir, la création est apprentissage d’habiter ensemble.
Reconnaître l’existence d’institutions politiques chargées d’arbitrer, dans un cadre légitime, les luttes de pouvoir
et d’influence qui pourraient sinon dominer l’espace social, c’est affirmer que
l’humain n’a pas à se soumettre à la loi du plus fort, à la loi de la nature.
Qu’un autre avenir est possible que l’écrasement des uns par les autres. Un tel
ordre politique est bien un don de la providence de Dieu.
D’ailleurs lorsque Paul écrit ce
passage de l’épître aux Romains, il n’écrit pas aux autorités pour les exhorter
à un bon gouvernement. Non : il écrit aux administrés, pour leur expliquer
l’enjeu que représente l’ordre politique. Il ne se soucie pas de savoir si les
autorités sont bonnes ou mauvaises, si elles exercent vraiment la justice, si
elles œuvrent véritablement au bien de tous. Cette discussion-là n’est
possible, justement, que lorsqu’un tel ordre politique existe. Il ne s’agit en
aucun cas de cautionner un ordre établi, mais de légitimer l’existence même du
politique, auquel soient soumis les intérêts particuliers et les rapports de
force. Oui, les autorités constituées sont une nécessité pour que la liberté
puisse se vivre ; pas seulement la liberté du plus fort, du plus méritant,
mais la liberté de tous.
Reconnaître l’ordre politique comme
un don de Dieu, c’est pour le croyant un motif de conscience. C’est là, et là
seulement qu’il peut mettre en jeu sa liberté, afin que la liberté de tous soit
respectée. Il ne s’agit en aucun cas de soutenir une forme de gouvernement
plutôt qu’une autre, mais d’insister sur l’existence d’un ordre politique qui
protège les individus tels qu’ils sont et leur permet d’exercer leur
conscience. Il ne s’agit pas de favoriser un ordre moral plutôt qu’un autre, le
statut de certains plutôt que le statut des autres, le droit des uns plutôt que
le droit des autres, mais justement de libérer l’espace pour que chacun, dans
sa singularité, ait la liberté de vivre.
Car, comme le disait Calvin de façon très imagée, nous n’avons pas vocation à vivre « pêle-mêle comme des rats sur la paille ». Nous n’avons pas vocation non plus à sauver le monde – ça, c’est Dieu qui le fait. Nous avons vocation, chacun à notre façon, à nous engager pour un monde plus humain – et cela n’est possible que si la liberté est possible, si le monde social est apaisé et le respect de chacun garanti. Cet espace-là est à défendre à tout prix. Contre la loi du plus fort. Pour que chacun, librement, puisse vivre comme un enfant de Dieu.
Car, comme le disait Calvin de façon très imagée, nous n’avons pas vocation à vivre « pêle-mêle comme des rats sur la paille ». Nous n’avons pas vocation non plus à sauver le monde – ça, c’est Dieu qui le fait. Nous avons vocation, chacun à notre façon, à nous engager pour un monde plus humain – et cela n’est possible que si la liberté est possible, si le monde social est apaisé et le respect de chacun garanti. Cet espace-là est à défendre à tout prix. Contre la loi du plus fort. Pour que chacun, librement, puisse vivre comme un enfant de Dieu.
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