jeudi 17 janvier 2019

Petit père siffle

- Mon chaton ! Le mimosa est en fleur !
- Ca me fait une belle patte.
- Grumpy, va ! 
- Je ne sais pas de quoi tu parles.
- Et j'ai vu des chatons sur des arbres, aussi.
- Des chatons ? Et pourquoi tu t'intéresses à des chatons ? Je ne te suffis plus, c'est ça ? Dis-le, va. Je ne serai pas vexé.
- Pas vexé, tu es sûr ?
- Mais oui mon humaine. Tu es chrétienne, tu as un grand coeur, tu peux aimer beaucoup de monde, je comprends.
- Mon chaton, mon petit doigt me dit que tu persifles.
- Je ne siffle ni ne persifle, mon humaine, je laisse simplement l'amertume des jours colorer mes paroles.
- Mais enfin, chaton, de quoi s'agit-il au juste ?
- Rien. Rien du tout. 
- Ah. Bien. Au fait, tu sais, c'est les soldes...
- Ah. Passionnant. 
- ... et j'ai vu passer sur un réseau social (désolée, j'ai perdu la trace de qui l'a donnée ainsi à voir au monde) une photo qui m'épate tout à fait.
- Un jeu de mots, je suppose ? Ca a tendance à te dépatter - moi, ça me dépasse.
- Mon chaton, ce n'est pas un bon jour pour que tu fasses des jeux de mots toi-même, si je puis me permettre.
- Tu ne puis, justement.
- Je... Soit. Tu veux savoir ce que c'est, la photo ?
- Pfff...
- OK, puisque tu y tiens tant, la voici : 
- Et c'est supposé être drôle ?
- Mon chaton, ça m'a arraché une belle rigolade en effet, mais tu me connais...
- ... si peu, au fond...
- ... ça finit toujours par me faire cogiter à des choses théologiques, on ne se refait pas...
- ... enfin pas toujours...
- ... et par une association d'idées tout à fait précaire et instable, j'en suis venue à me demander si ça ne dit pas quelque chose sur la prédication.
- Alors ça, je ne sais pas où tu vas le pêcher...
- ... tu vas voir. L'autre jour, j'ai longuement discuté avec une dame qui venait d'apprendre que j'étais pasteure et je crois que ça lui a fait un choc. Elle m'a dit qu'elle avait assisté une fois à un office religieux, pour un enterrement, et qu'elle avait été profondément choquée par la liturgie qui parlait longuement de "Dieu le Père".
- Choquée ? Et quel rapport avec les manteaux mentaux ?
- Et bien elle m'a dit que quand elle a entendu ça, elle n'a pas du tout vu l'image d'un père qui se préoccupe de ses enfants et qui les voit grandir avec joie.
- Non ?
- Non. Elle m'a dit qu'elle, elle avait peur de son père. Et ce qu'elle a entendu, malgré elle, ce jour-là, c'est un message de la part d'un père qui la terrorisait autant que son propre père. Rien que le mot "père" l'empêchait d'entendre autre chose. Et c'était bien malgré elle, parce qu'elle savait très bien, intellectuellement, que ce n'était pas du tout de ça qu'il s'agissait, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher.
- Et qu'est-ce que tu as dit ?
- Ca, chaton, c'est entre elle et moi (et Dieu). Mais du coup, je me dis que dans nos célébrations, tous ceux qui sont là entendent des mots qui ont pour eux des résonnances que nous ne voyons pas forcément quand on les prépare et quand on les dit, et que ouvre pour eux des constellations de sens extraordinaires. Tiens, en cette semaine de prière pour l'unité des chrétiens, un catholique et un protestant qui entendra le mot "saint" ne comprendra pas du tout la même chose, mais les célébrants n'en auront pas forcément conscience.
- Et les manteaux, là-dedans ?
- Et bien les manteaux, ça me dit que quand on voit une affiche rigolote sur une vitrine, on peut en rire, on peut même se moquer, mais au moins ça ouvre des avenues de sens, on ne reste pas figé sur le mot. En matière de religion par contre...
- Mon humaine ?
- Mon chaton ?
- Tu réalises que ça fait bien vingt minutes que tu dis des choses ?
- Voui ? Et ?
- Et ça fait vingt minutes que je suis assis là. A côté de ma gamelle. Vide.
- Et... Oooooh. 
- Oui.
- Tu es en train de me dire que faire des noeuds de mots et d'idées c'est bien beau, mais que si on n'a pas les yeux à ce qu'on fait, ça ne sert à rien.
- Si c'est comme ça que tu comprends le message, oui, c'est ça que je dis.

Tardar Sauce

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