mardi 18 décembre 2018

Tu as été cet enfant

Tu as été cet enfant, tu étais nu, affamé, faible, incapable de survivre par toi-même. Tu as été cet enfant et tu en gardes la mémoire inscrite à fleur de peau, à fleur d'âme. Tu te souviens sans le savoir de la peur de la solitude, de la faim qui tenaille, de l'attente. Tu te souviens et tu ne le sais pas des bras qui t'ont sauvé alors, tant et tant de fois. Tu n'oublies pas mais tu l'as oublié que des mains t'ont soigné, que des mots t'ont été adressés qui ont fait de toi un humain parmi les humains. Tu le sais, parce que tu le vis encore dans les tréfonds de ton corps, la vie humaine ne tient qu'à un fil d'amour qui t'intègre dans la grande tapisserie humaine.
Et pourtant, même si tu n'as rien oublié, tu ne sais plus rien de tout ça. Et lorsque tu vois celui que la vie a poussé à bout, tu détournes le regard. Lorsque tu vois ces photos des corps torturés, lorsque tu apprends l'injustice et la terreur, lorsque tu apprends que des enfants, quelque part, sont mis en cage parce qu'ils ne sont pas dans le bon pays au bon moment, lorsque tu vois ces photos des enfants décharnés parce que personne ne peut assouvir leur faim, tu l'oublies pour de bon.
C'est pour te rejoindre dans cet oubli qu'un enfant est né, un enfant comme toi, qui a souffert comme toi de la faim et de la solitude avant que des bras ne le prennent, que des mains ne le soignent, que des mots ne lui soient dits. C'est là qu'il vient, là où tu ne sais plus, là où tu crois savoir... là où tes grandes idées sur la patrie, sur la justice et sur le monde se fissurent, parce qu'un enfant te rappelle que l'enfant, c'était toi aussi. Il a pris ce risque, comme toi aussi tu l'as pris en venant au monde. Il a tissé sa vie avec celle des humains, comme tu as tissé la tienne... même si tu as parfois l'impression d'être un fil détaché de tout et de tous. 
Il est venu, comme toi, pour toi. Il ne demande rien, sinon que tu habites en humain les jours où tes bras, tes mains et tes mots sont destinés à d'autres que toi-même... et pour les autres jours, que tu habites seul, trop seul, il vient les habiter avec toi. 

Nativité du Maître de Moulins (1480)

2 commentaires:

  1. Superbe !
    Merci Pascale
    Grâce à toi, nous, les lecteurs du blog lechatdupasteur , seront dans l ambiance originelle de Noël.
    Bises

    RépondreSupprimer
  2. Je suis transportée et touchée par ces mots. Et si heureuse que tu écrives ici. Merci mille fois.

    RépondreSupprimer

Pour laisser un commentaire