lundi 14 janvier 2019

Prédestination

- Mon humaine, t'es protestante ?
- Oui chaton.
- Alors tu crois à la prédestination ?
- La prédestination n'est pas un objet de foi, c'est une façon de dire ce qu'est la foi.
- Mais tu y crois ?
- Ca n'a pas de sens de dire ça. Je comprends pourquoi c'est une notion qui a surgi régulièrement au cours des siècles dans l'histoire de l'Eglise.
- Ah, et pourquoi ?
- Parce que c'est une façon simple de dire que l'être humain n'a aucun moyen de se gagner son paradis tout seul à la force de ses petits bras.
- Et tout le monde n'est pas d'accord là-dessus ?
- Personne n'est d'accord là-dessus ! Personne n'y croit véritablement ! La grâce gratuite, c'est un scandale et une folie...
- ... comme dirait Paul, oui je sais. On a déjà eu cette conversation. Souvent.
- C'est pour ça que c'est un objet de foi, de confiance, et pas un savoir. On ne peut jamais le savoir, on peut seulement l'espérer, au sens le plus vaste et le plus beau de l'espérance.
- Mais au cours de l'histoire...
- ... au cours de l'histoire, il y a eu comme des cristalisations de la position opposée, selon laquelle, si, on peut se payer son paradis.
- Les indulgences ?
- Les indulgences par exemple. La pièce sonne dans la boîte et une âme s'envole du purgatoire, c'était la promesse, oui. Mais au nom de quoi on peut prédire à la place de Dieu le destin d'une âme humaine ? Les réformateurs se sont radicalement opposés à l'idée qu'on pourrait décider à la place de Dieu du salut des âmes, ou pire, acheter auprès de l'Eglise le salut d'une âme. Calvin a formulé la doctrine de la prédestination pour dire fortement que l'Eglise n'est pas là pour dire qui est sauvé et qui ne l'est pas : ça revient strictement à Dieu, et c'est inconnaissable par les humains. Et étrangement, c'est très rassurant : si la question du salut de ton âme est déjà réglée, ça t'évite bien des tourments sur ce que tu pourrais bien faire pour y changer quelque chose. Tu peux consacrer ton temps, ton argent, ton énergie et ta vie à d'autres choses. Sauf que, forcément, on se souvient de la doctrine de la prédestination comme d'une menace qui pèse sur notre salut... si tout est décidé d'avance, alors à quoi sert de vivre ? La ligne de partage entre ces deux positions, elle est dans le coeur de chaque être humain... 
- Alors ça n'est pas la signature des protestants ?
- Tu sais, au risque de sembler un peu blasée sur la question, je crains qu'une bonne partie des protestants ne sache pas au juste de quoi il s'agit de nos jours. 
- Mais c'est important ? 
- C'est important de comprendre qu'on hérite de notre façon de parler de la foi. C'est important de ne pas se laisser prendre au piège de la croyance en une foi pure, qui n'aurait pas besoin de théologie pour se dire, ou d'une Eglise qui administre simplement le quotidien sans jamais se poser la question de ce qu'elle dit et pourquoi elle le dit ainsi. Et puis, réfléchir, souvent, ça évite d'avoir peur... 
- Peur ? de quoi ? pourquoi ?
- Parce qu'il y a une façon de vivre sa foi qui cherche la menace la plus grande, comme s'il y avait une sorte de fascination à croire le pire de la part de Dieu. Quand tu es pasteur, c'est souvent tout l'enjeu : aider autrui à se dépétrer de sa peur. 
- C'est possible ?
- C'est un chemin... C'est très beau, quand ça arrive.

Lelio Orsi, Le chemin d'Emmaüs

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