Au début de cette histoire se trouve le port de Byblos, en Grèce. C'est par là que transite le papyrus venu d'Egypte, qu'on en vient du coup à appeler du byblos. Un rouleau ou un livre fait à partir de feuilles de papyrus devient pour les Grecs un biblion. Quand la Bible hébraïque a été traduite en grec vers 270 avant JC, c'est ce mot qui a été utilisé pour traduire l'hébreu sépher (livre), et comme il y a beaucoup de livres (les 5 rouleaux de la Torah, plus les livres historiques, les prophètes, les livres poétiques, etc.), on dit ta biblia (au pluriel). Ces livres sont organisés dans un certain ordre, mais ils ont été écrits et réécrits au cours de plusieurs siècles, avec des bouts rajoutés dans tous les coins. Ils n'ont, en tout cas, pas été écrits dans l'ordre dans lequel nous les lisons.
Pour ce qui est du Nouveau Testament, les livres les plus tardifs ont été écrits vers la fin du premier siècle. Or à ce moment-là, il n'existe pas de collection constituée du "Nouveau Testament". En d'autres termes, au moment où ils écrivent, les auteurs du Nouveau Testament ne savent pas qu'il sont ent train d'en écrire un bout. C'est bien plus tard, aux 3e/4e siècle, que le corpus du Nouveau Testament sera arrêté avec les 27 livres qui le constituent (et bien d'autres, les apocryphes, éliminés), puis accolés à ce qui sera désormais appelé Ancien Testament, et ça ne se fait pas du jour au lendemain !
Donc, pour les premiers chrétiens (dont les auteurs du Nouveau Testament), il existe "les livres", ta biblia, qui désignent l'ensemble des livres reçus de la tradition hébraïque, et il existe des ouvrages qui circulent dans les églises locales, mais qui n'ont pas encore de structure précise et ne font pas partie des livres saints. Il existe donc une bibliothèque, un ensemble de livres, dont certains sont reconnus comme canoniques et d'autres, dont personne n'imagine encore qu'ils formeront un jour un tout avec les premiers. Pour Jésus, comme pour les premiers chrétiens, la Bible telle que nous la connaissons n'existe pas...
Dans les siècles qui suivent, le codex, livre relié constitué de plusieurs cahiers de papyrus puis de parchemin, va permettre de créer des collections d'écrits qu'on peut rassembler et consulter bien plus facilement que les rouleaux. D'autre part, peu à peu, le latin remplace la langue grecque comme langue de l'empire. Le grec "ta biblia", les livres, au neutre pluriel, va être transposé littéralement en latin : biblia, en latin, est au féminin singulier... La Bible est née.
Et l'histoire ne s'arrête pas là : cette collection de livres, devenue livre à part entière, dépend de manuscrits anciens qui disparaissent peu à peu. Il n'existe plus aucun manuscrit datant de l'époque de leur écriture ; ceux qui nous sont parvenus sont des copies de copies de copies des manuscrits originaux. Tous ces manuscrits connus aujourd'hui ne concordent pas, il y a parfois même des différences majeures. Du coup, pour en arriver à "la Bible" que nous connaissons aujourd'hui, il faut faire des choix entre les différentes versions des différents manuscrits. D'autre part, les différentes traditions chrétiennes ne retiennent pas les mêmes collections de livres : la Bible catholique compte nettement plus de livres que la protestante, par exemple !
Enfin, à l'origine les différents livres de la Bible sont écrits majoritairement en hébreu pour l'Ancien Testament, et en grec pour le Nouveau. Alors forcément, les bibles que nous achetons de nos jours ne sont pas "la Bible", ce sont des traductions, et il existe de nombreuses traductions différentes dans de nombreuses langues différentes. Voilà pourquoi on peut affirmer que la Bible n'existe pas : ce que nous tenons dans nos mains aujourd'hui, c'est le résultat d'un très long processus d'écriture, de transmission et d'appropriation.
Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de relativiser l'autorité des Ecritures. Au contraire. Reconnaître à nos textes de référence l'inscription dans une histoire, avec tous les aléas qui vont avec, c'est bien dire que Dieu est venu nous rejoindre dans l'Histoire. Et que les traces que nous en avons sont à accueillir comme témoignage d'une Parole qui résiste à l'Histoire, aux incertitudes des inventions humaines (le codex, l'imprimerie, aujourd'hui le numérique), aux trahisons de traduction, et encore à l'interprétation que nous en faisons ! C'est aussi dire que Dieu seul est sacré, les Ecritures, elles, sont saintes, c'est-à-dire mises à part, parce que nous reconnaissons que nous ne les traitons pas comme des documents ordinaires, mais pour y chercher les racines de notre fidélité à Dieu, parce que notre lecture de croyants est éclairée par lui.
Les Chroniques pour ma sieste ? sérieux ? |
sépher.
RépondreSupprimerExact, je corrige ! merci
RépondreSupprimerBravo pour cet article
RépondreSupprimerExcellent resume, limpide d'une histoire complexe! Un texte de reference. Merci!
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