Je vous ai déjà parlé du figuier dans le jardin du presbytère, celui qui n'est pas stérile (parce qu'il produit des fruits) mais qui ne donne pas de fruit (parce qu'ils tombent avant d'être mûrs). C'est une histoire qui fait écho à une parabole de Jésus.
Et il dit cette parabole : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron : “Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n’en trouve pas. Coupe-le. Pourquoi faut-il encore qu’il épuise la terre ?” Mais l’autre lui répond : “Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.” » (Lc 13,1-9)
Cet arbre-là ne voulait plus porter de fruits. Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ? Il était au milieu de la vigne et ne pouvait porter de raisin, parce que son destin était de porter des figues. Il se trouvait par hasard au milieu des vignes, différent de tous, soumis aux mêmes vents et au même soleil, au même rythme des saisons qui fait monter la sève, fleurir les fleurs et mûrir les fruits. Mais il s’est arrêté et ses fruits ne sont pas venus. Il est comme mort au milieu de cette nature qui continue à vivre partout autour de lui. Et alors ? Qui s’en soucie ? Ca devrait être indifférent au monde qu’un figuier se laisse mourir. Ca pourrait être un simple incident de la nature qui passe inaperçu.
Mais quelqu’un s’en soucie. Quelqu’un s’approche et cherche les fruits. Il s’attendait à se réjouir de ce que l’arbre était en vie. Il s’attendait à se régaler des fruits de la vie et à la célébrer. On pourrait conclure un peu vite que la leçon de cette parabole, c’est de dire « il faut porter des fruits ». Oui, on pourrait. C’est une façon de lire le texte. Mais il y a des façons de lire le texte qui finissent par le tuer...
Outre le figuier, il y a deux personnages dans cette parabole. Le premier, le propriétaire, se met en colère. Il ne se contente pas de regretter que le figuier se soit résolu à ne plus produire de fruits. Il lui reproche de consommer inutilement la richesse du sol. A quoi sert-il alors ? Qu’on le coupe ! qu’on le mette à mort et qu’on l’enlève de là ! Ca fait trop longtemps qu’il prend pour rien le don qui lui est fait, la richesse de la terre, l’eau qui l’irrigue, le terrain qui retient ses racines, le vent qui fait bouger ses feuilles. De quel droit consommerait-il tout ça, pour rien ? Qu’on le coupe !
Le deuxième personnage, le vigneron, a une toute autre réaction. Et pourtant, si c’est un bon ouvrier, il sait parfaitement que soigner un arbre stérile, ça n’a strictement aucun intérêt. Au bout de trois ans, si un arbre lambda n’a plus rien donné alors que les conditions sont normales, c’est qu’il ne donnera jamais rien. Alors cette parabole nous parle-t-elle d’un piètre ouvrier agricole ? Ou s’agit-il d’autre chose ?
Pourquoi certains arbres ne profitent pas du sol alors que d’autres juste à côté croulent sous les fruits, c’est un mystère. On ne peut pas dire que les uns l’aient mérité et pas les autres. Ils n’ont rien fait de spécial qui leur vaille un traitement particulier.
A ceux qui craignent un Dieu vengeur, Jésus dit : ce n'est pas le bon Dieu qui vous regardez ainsi. Ce n’est pas en regardant la mort des autres et en les soupçonnant d’avoir péché que vous serez sauvés. Votre salut ne dépend pas de ça. Retournez-vous ! Au lieu de regarder avec soupçon votre prochain, qui a l'air de ne jamais porter de fruit, regardez vers la vie qui vous est donnée ! La conversion ça veut dire ça, précisément : cesser de regarder vers la mort des autres pour entrer avec joie dans notre vie à vous, celle qui nous est donnée en abondance. Se convertir, ça veut dire cesser de croire à un Dieu vengeur et terrible, pour contempler le mystère d’un Dieu qui nous veut vivants, debout, les racines fermement plantées dans la terre qu’il nous donne en abondance.
Ca veut dire croire enfin à un Dieu qui se soucie de nous, même épuisés, même écrasés par la vie, même résolus à ne plus jamais donner de fruit. Un Dieu qui, au défi de toute logique, choisit de mettre son énergie au service d’un arbre qui ne voulait plus croire à la vie. Loin de lui reprocher d’épuiser le sol, il va encore bêcher et améliorer la terre autour de ses racines, il va lui donner à boire et à manger. Loin de vouloir le couper et le mettre à mort pour toujours, il va attendre, attentif, plein d’espérance, que s’accomplisse le retour à la vie. Avec une patience et un amour infinis.
Lui aussi attend le fruit. Mais il l’attend comme une promesse, comme la preuve que la vie est bien là. Pas comme le propriétaire de la vigne qui ne l’attend que comme un dû, comme le remboursement d’une dette infinie. Parce que le propriétaire de la vigne, ce Dieu terrible qui nous fait si peur quand nous sommes égarés, nous avons l’impression qu’il prétend seulement récupérer son dû. Il donne la terre, il veut les fruits. Et s’il n’y a pas de fruit, alors il met à mort sans plus se poser de question. Oh, certes, au bout de trois ans seulement, mais il est implacable.
Est-ce à ce Dieu-là que nous pouvons croire ? Je crois, moi, que le véritable péché c’est de se laisser à aller à croire à ce Dieu terrible. Si nous nous laissons aller à croire à ce Dieu-là, c’est la mort qui nous attend. Nous n’aurons jamais fini de rembourser la dette et nous nous épuiserons à essayer. Notre vie entière y passera et nous n’aurons plus la force de produire quoi que ce soit. C’est bien ce qui arrive à notre figuier. Epuisé, il a renoncé. Il n’a plus la force de rembourser la dette.
Le Dieu dont nous parle Jésus dans cette parabole, le Dieu qui est son père et le nôtre, n’exige pas de remboursement. Il patiente. Il attend de se réjouir. Il espère.
Le terrain fertile que Dieu a donné au monde, c’est son amour sans faille et sa patience sans limite. Le mystère auquel nous ne pouvons par nous-même répondre, c’est que cet amour ait été livré aux hommes et qu’il ne fructifie que si rarement. Pourquoi certains entendent-ils la Parole de Dieu et pas les autres ? Nous n’en savons rien. C’est comme ça. Et nous n’avons pas à en savoir plus. Le secret qu’il nous est donné de connaître, c’est que la Parole de Dieu a été livrée à l’humanité avec toutes ses contradictions, ses limites, son incrédulité. Et que c’est un pari fou. Que la Parole fructifie ou pas dans le monde, ça ne nous revient pas. Ca ne revient qu’à Dieu.
Il nous appartient, à nous, de donner notre confiance au Dieu de la vie et de l’espérance. Nous pouvons, sans crainte, lui dire notre épuisement, notre hésitation, nos empêchements. Et malgré tout, avec lui, profondément, désirer porter du fruit. Quel que soit ce fruit, inattendu, inouï – ou banal et quotidien. Du raisin, de la figue ou autre chose. Nous pouvons lui dire que nous voulons vivre de son amour et de sa parole et revenir à la vie, dans la confiance. Nous pouvons planter nos racines profondément dans le sol, parce qu’il ne se dérobera pas. Alors nous verrons le monde et la vie autrement. Nous ne surveillerons plus nos branches avec inquiétude pour savoir si, oui ou non, ça pousse enfin. Notre seule inquiétude sera de ne plus être séparés de l’amour de Dieu. Parce qu’il n’y a pas de vie sans lui. Voilà la chance qui nous est offerte.
A quel Dieu accorderons-nous notre confiance ? Au Dieu qui exige, ou au Dieu qui nous fait confiance et pardonne jusqu’au bout, toujours, les doutes et les hésitations qui nous retiennent en arrière ? Au Dieu qui fait mourir, ou à celui qui espère toujours ?
Votre interprétation est pleine d'espoir. Et peut-être est ce le sens. Mais il y a tellement de paraboles ! Qui disent tellement de choses différentes !
RépondreSupprimer... et ça vient juste après les versets sur l'urgence de la conversion qui ne laissent pas apparaître un dieu très patient...
RépondreSupprimerJe crois que cette parabole y répond justement : que signifie vivre ou mourir sous le regard de l'un ou l'autre Dieu ? Jésus nous offre de nous identifier au figuier et d'en tirer des conséquences pour nous-mêmes. Il ne s'agit pas de savoir lequel est le "vrai" Dieu, mais à qui nous abandonner en confiance. Enfin c'est une lecture... il y en a d'autres, bien sûr !
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