- Mon humaine, je suis inquiet pour Siglibert.
- Le personnage imaginaire qui hante parfois ce blog, tu veux dire ?
- Oui.
- Je te reconnais bien là, mon chaton. Toujours prompt à t'émouvoir des misères des autres.
- Tu es sarcastique, là ?
- Juste un peu. Au fond, tu es imaginaire, toi aussi, alors pas tant que ça.
- Comment ça, je suis imaginaire ? Je suis un vrai chat ! Tu me prends en photo sous toutes les coutures tellement je suis un chat mignon, même !
- Oui, tu existes comme chat. Mais comme chat du pasteur, tu es imaginaire. Tu ne me parles que dans mon imagination...
- ...
- Bon, tu disais donc que tu étais inquiet pour Siglibert ?
- Oui, j'ai l'impression qu'il est en train de chercher un lieu où il sera reçu avec ses questions et où peut-être il trouvera la liberté de vivre avec. Un lieu hospitalier, quoi. Et quelque chose me dit que c'est pas demain la veille qu'il va trouver...
- C'est un peu ce que j'essaie de dire, en fait. Mais ça n'est pas en soi un drame.
- Sauf pour lui.
- Sauf pour lui, s'il ne réalise pas à un moment ou à un autre (et plutôt tôt que tard) que le lieu parfait n'existe que dans son imagination.
- Dans l'imagination d'un personnage imaginaire, ce que commente un chat imaginaire ? Tu n'as pas peur de perdre tes lecteurs, à force ?
- Ils en ont vu d'autres. Mais enfin, des fois qu'ils ne nous croient pas, je vais me permettre de citer dans le texte un grand théologien du 20e siècle, Dietrich Bonhoeffer. Quand il écrit De la vie communautaire en 1938, il souhaite poser des jalons pour dire ce que signifie la communauté chrétienne quand elle est vécue pour de vrai, en communauté. Et une des premières choses qu'il dit, c'est qu'il ne faut surtout pas l'idéaliser :
"On ne saurait faire le compte des communautés chrétiennes qui ont fait faillite pour avoir vécu d’une image chimérique de l’Église. Certes, il est inévitable qu’un chrétien sérieux apporte avec lui, la première fois qu’il est introduit dans la vie de la communauté, un idéal très précis de ce qu’elle doit être et essaye de le réaliser. Mais c’est une grâce de Dieu que ce genre de rêves doivent sans cesse être brisés. Pour que Dieu puisse nous faire connaître la communauté chrétienne authentique, il faut que nous soyons déçus, déçus par les autres, déçus par nous-mêmes. Dans sa grâce, Dieu ne nous permet pas de vivre, ce serait-ce que quelques semaines, dans l’Église de nos rêves, dans cette atmosphère d’expériences bienfaisantes et d’exaltation pieuse qui nous enivre. Car Dieu n’est pas un Dieu d’émotions sentimentales, mais un Dieu de vérité. C’est pourquoi seule la communauté qui ne craint pas la déception qu’inévitablement elle éprouvera en prenant conscience de toutes ses tares, pourra commencer d’être telle que Dieu la veut et saisir par la foi la promesse qui lui est faite. Il vaut mieux pour l’ensemble des croyants, et pour le croyant lui-même, que cette déception se produise le plus tôt possible. Vouloir à tout prix l’éviter et prétendre s’accrocher à une image chimérique de l’Église, destinée de toute façon à se « dégonfler », c’est construire sur le sable et se condamner, tôt ou tard, à faire faillite."
- Mais toi, comme pasteur, tu participes forcément à l'image chimérique de l'Église, non ?
- Sans doute, d'une certaine façon. Mais encore une fois, on ménage toujours le pas de côté nécessaire. Il faut favoriser la vie communautaire, sans l'idéaliser. Permettre à chacun et chacune d'y trouver une place, sans figer les choses. Maintenir le respect mutuel sans se couper des questions difficiles. Il faut aider les gens à ne pas se prendre trop au sérieux, parce que justement, être ensemble le corps du Christ, c'est ça qui est sérieux... On est une communauté parce que c'est un don de Dieu, il ne faut jamais oublier qu'on peut à tout instant en être coupé et tomber dans une extraordinaire solitude : ça devrait nous rendre plus accueillants et plus reconnaissants (ça aussi, c'est Bonhoeffer qui le dit).
- Tu crois que Siglibert va finir par trouver une communauté qui ne se prend pas trop au sérieux, justement parce qu'elle se prend très au sérieux ?
- On verra, mon chaton, on verra.
- OK. Il y a des crevettes ?
- Oui, je...
- Des vraies, je veux dire. Croquables. Pas imaginaires.
- Dans ce cas, il faut que tu mettes ton petit ciré, que tu prennes ta petite épuisette et que tu ailles les pêcher toi-même dans les flaques du bord de mer...
Pierre Probst |
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