samedi 7 avril 2018

Oh pardon

- Mon humaine, qu'est-ce que tu essayais de dire, au juste, avec cette histoire de Siglibert Lepont ?
- Ah, ça s'est vu que j'essayais de dire quelque chose ?
- Tu devrais savoir que l'ironie ne marche pas sur les chats.
- Bon, d'accord. Oui, bien sûr que j'essayais de dire quelque chose. Déjà, je suis chrétienne depuis suffisamment longtemps pour avoir longuement bataillé moi-même avec la question du pardon. Je me retrouve assez dans ce que disait Derrida : le vrai pardon, c'est ce qui pardonne l'impardonnable. Et du coup, la question, c'est comment on fait quelque chose qui est impossible.
- Ben on le fait pas.
- Sauf qu'on le fait. Quand les textes bibliques parlent du pardon, c'est à la fois un impératif et une liberté, une possibilité impossible. 
- Miiaaaouais...
- Et en réalité, j'ai moi-même vécu une succession de rencontres avec des représentants religieux qui me disaient qu'il fallait pardonner. Et aucun d'eux n'a jamais pu me dire comment. Pourquoi, oui : parce c'est écrit. Mais quand quelqu'un souffre vraiment à propos de cette question, ça ne suffit pas. 
- Et maintenant que tu es pasteur, tu as la réponse ? 
- Non.
- Si on vient te voir, tu ne peux rien répondre ?
- Je n'ai pas de mode d'emploi. Parce que ce serait malhonnête de faire semblant qu'il y en a un. Par contre, on peut envisager ensemble le début d'un chemin, en sachant qu'il y a des obstacles et que ce n'est pas un interrupteur qu'on peut tourner à volonté. Pardonner, ça touche au coeur même de notre sentiment d'exister. Je trouve intéressant ce que dit Siglibert...
- ... ouais, enfin c'est toi qui l'as écrit, en même temps...
- ... sur le fait de se sentir considéré et traité comme un objet. C'est une façon - il y en a des milliers - de parler du coeur de l'évangile : nul n'est un objet. Nul n'est un objet au regard de Dieu, et donc pour les croyants, nul ne devrait traiter l'autre comme un objet. Pardonner, ça touche toujours au fait de devoir se coltiner la douleur d'être traité comme un objet, ça touche au coeur de l'être même des gens. Enfin pardonner, de ce côté-ci du paradis, comme on dit, on bricole comme on peut. Ça ne peut jamais être parfait. 
- On ne peut jamais vraiment pardonner ?
- Si, je crois qu'on peut. Mais ça ne relève pas d'un ordre, d'un dû. C'est comme la grâce, ça se reçoit comme un cadeau, ça ne se brade pas, c'est infiniment précieux. 
- Je vois. Tu vas rester vague. Tu ne vas même pas essayer d'en parler un peu plus précisément. C'est ce que tu reproches à tous ces représentants religieux qui n'ont jamais pu te répondre, pourtant ! 
- Tu as raison. Alors je dirai ceci : le pardon, ce n'est pas l'oubli. Ça implique de prendre véritablement acte de ce qui s'est passé, et de découvrir qu'on n'est pas obligé d'y rester collé. C'est pour ça que ça délivre, parce qu'on ne reste pas victime, et l'autre ne reste pas bourreau. Seulement les êtres humains ont un talent certain pour préférer oublier. Ça arrange les bourreaux parce qu'ils peuvent faire comme s'ils étaient totalement innocents, parce que ça leur donne le pouvoir de nier, en toute bonne conscience. Mais ça arrange aussi les victimes, hélas. Pas consciemment, je ne crois pas, mais parce que ça leur donne le sentiment que toute liberté leur est désormais interdite. Et paradoxalement, les humains ont horreur de la liberté.
- Mais c'est n'importe quoi, de dire une chose pareille !
- Je sais... si on exige le pardon de la part des victimes, oui, c'est n'importe quoi. Si il faut qu'elles pardonnent parce que ça arrange les autres, oui, c'est n'importe quoi. Mais si on se reconnaît, soi, comme victime et appelé à être autre chose, alors...
- Alors c'est toujours n'importe quoi.
- Personne n'a jamais dit que c'était facile, d'être chrétien. Tiens, même le Christ il l'a dit, alors...
- C'est quand même n'importe quoi.
- Le n'importe quoi, c'est que les humains ont horreur de la vérité et qu'ils préfèrent rester prisonniers, c'est ça ? C'est pourtant vrai.
- Mon humaine, je ne te crois pas.
- Mon chaton, tu ne vois pas dans la tête des gens.
- Non, mais moi j'ai des moustaches.
- Pistache.
- Hein ?
- Pistache, si on accueille un autre chat un jour, on l'appellera Pistache.
(Interruption des programmes, pour cause de matou en pétard qui feule, les poils tout hérissés.)


1 commentaire:

  1. Merci pour toutes ces choses, jour après jour.

    Vous lisant, je me demandais si le pardon n'embêtait pas aussi les bourreaux parce que leur culpabilité est décuplée et surtout qu'ils repartent de zéro sans ne plus être paresseusement asservi à leur statut de bourreau...

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