samedi 19 août 2017

Job en son malheur

"Pourquoi Dieu donne-t-il la lumière à celui qui peine, et la vie aux ulcérés ? 
Ils sont dans l’attente de la mort, et elle ne vient pas, ils fouillent à sa recherche plus que pour des trésors. 
Ils seraient transportés de joie, ils seraient en liesse s’ils trouvaient un tombeau. 
Pourquoi ce don de la vie à l’homme dont la route se dérobe ? Et c’est lui que Dieu protégeait d’un enclos !
Pour pain je n’ai que mes sanglots, ils déferlent comme l’eau, mes rugissements. 
La terreur qui me hantait, c’est elle qui m’atteint, et ce que je redoutais m’arrive. 
Pour moi, ni tranquillité, ni cesse, ni repos. C’est le tourment qui vient." (Livre de Job 3,20-26)

Jean Fouquet, Livre d'heures d'Etienne Chevalier (1450)
Musée Condé, Chantilly

Je suis un nouveau Job... Toi tu es toujours Dieu. Toi qui sais tout, qui peut tout, qui veut tout, pourquoi me laisser dans ces ténèbres ? Pourquoi me laisser souffrir dans ce corps à bout, à bout de force, à bout d’espérance ? Pourquoi, Seigneur ? Parle ! Parle...
Je te dis que je voudrais mourir et tu ne frissonnes même pas ! Je te dis que je suis terrorisé face à ce qui m’arrive et tu te tais... Mon Dieu, consens au moins à mettre toi-même un terme à mes souffrances, écrase-moi de ta main, achève mes jours... Et je me réjouirai de ce que jamais mes lèvres n’auront péché contre toi.
Si seulement j’étais mort avant d’avoir vécu ! Si seulement tu m’avais donné de mourir avant ma naissance... Je n’aurais pas connu la douceur et la tendresse, ni l’amour des miens, je n’aurais pas connu la nourriture et l’eau du ciel, je n’aurais jamais monté ma tente pour y recevoir mes amis, je n’aurais jamais contemplé le désert à perte de vue... Mais je n’aurais pas souffert et rien ne m’importe, plus rien, aujourd’hui, que de ne plus souffrir...
Pourquoi, mon Dieu ? Pourquoi m’imposer ces souffrances, cette solitude, cette déchéance ? Je ne comprends pas. J’ai si mal que mes yeux se ferment, si faim de douceur que ma peau se rétracte, si soif de paix que mes mains se tendent vers toi, mais elles restent vides, car tu te tais... Je le sais pourtant, j’en suis sûr, que tu peux mettre un terme à tout ça ! Alors pourquoi ? Pourquoi cette souffrance, et pourquoi ce silence ?
Il est terrible, ton silence, Seigneur. Hier encore je t’entendais dans le souffle de la nuit, dans le rire de mes enfants. Je te voyais parcourir les cieux et sourire sur ton serviteur. Je sentais ta force dans l’ouragan et j’imaginais que toujours, tu serais là auprès de moi. Tu veillais sur moi ; ta lampe brillait sur ma tête et dans la nuit j’avançais à sa clarté. Je ne craignais pas le chemin escarpé car je sentais ta main sous mon pied. Je sentais les pierres rouler sous mes pas, mais ta main retenait la mienne lorsque je trébuchais. Lorsque le soleil se levait, je pensais à ta splendeur. Lorsqu’il se couchait, je bénissais ton nom. A chaque instant du jour et de la nuit, ta présence m’accompagnait et chaque matin était une bénédiction, et chaque nuit un repos. Que j’aimais entendre mes enfants rire ! j’entendais le rire de Dieu. Que j’aimais voir ma femme sourire ! c’était le sourire de Dieu.
Seigneur, la douleur n’est rien. La perte n’est rien. Mais la solitude... Ne plus sentir ta présence dans ma vie, voilà ce qui est le pire dans cette vie que tu me donnes. Pourquoi ? Que t’ai-je fait pour que tu me tournes le dos ? N’étions-nous pas heureux ensemble ? Est-ce que j’ai mal fait ? Est-ce que je me suis trompé ? Est-ce que dans ma présomption, je t’ai voulu autre que tu n’es ? Je suis Job, et tu es Dieu. Est-ce que je me suis trompé ? Est-ce que je me suis pris pour toi ? Est-ce une punition parce que j’ai voulu me prendre, moi l’humain misérable, pour toi, le Dieu magnifique et puissant ? Mais non Seigneur, je ne crois pas ! Je n’ai jamais péché contre toi, je le sais bien !
Alors quoi, est-ce que je me suis trompé ? Est-ce que tu es désormais un Dieu absent ? Es-tu pour toujours silencieux ?
Et vous, vous mes amis, les théologiens qui venez me consoler aujourd’hui, pourquoi êtes-vous là ? Qui êtes-vous venus sauver ? Dieu, ou moi ? Qui voulez-vous défendre quand vous me consolez ? Vous vous êtes assis près de moi et vous vous êtes tus de douleur, pendant sept jours et sept nuits, partageant mon souffle et mon désespoir.
Ensuite vous avez commencé à me consoler, et vous n’avez qu’ajouté à mes souffrances. S’il-vous-plaît, taisez-vous. J’essaie d’entendre Dieu. Taisez-vous, il est peut-être dans la voix ténue qui passe, dans le souffle du soir. Taisez-vous, par pitié, arrêtez de me consoler ! Je n’ai pas besoin de consolation, j’ai besoin d’être seul avec Dieu. Venez être seuls avec Dieu avec moi, c’est tout ce que je vous demande. Taisons-nous ensemble.
Je suis sûr, moi, que Dieu n’a pas besoin d’être défendu. Oui sans doute, il me soumet à sa volonté. Oui il est silencieux alors que je hurle vers lui que j’attends sa parole. Oui, il se tait encore. Mais je ne veux pas d’un Dieu qui ne tient que par les humains. Je refuse un Dieu qui ne dépendrait pour son existence que des paroles de ses théologiens... 

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