lundi 14 août 2017

Laïcithé au laid

Il était midi et je venais tout juste d'apprendre la nouvelle de l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo lorsque le téléphone de la paroisse a sonné. C'était un homme que je connaissais pas et qui m'a assené sans se présenter : "Alors vous êtes fière de vous ? quand on voit ça, on devrait liquider toutes les religions !"
La conversation n'a pas duré très longtemps, et il n'a jamais voulu me dire son nom. Il dénonçait quelque chose qui lui était insupportable, en appelant la première personne qui lui tombait sous la main et qui représentait une religion, en dissimulant son visage derrière l'anonymat du téléphone. Peut-être qu'il avait vécu des choses très dures à cause de la religion, peut-être qu'il était convaincu du bien-fondé de son opinion après des années de réflexion, peut-être qu'il était fou. Je n'en sais rien.
Mais je sais que la laïcité telle qu'elle a été construite, difficilement et lentement, en France, consiste justement à dire qu'il n'est pas utile de se cacher pour parler de nos convictions personnelles. Au regard de la loi, tous les citoyens sont égaux, y compris dans leur libre choix de convictions, qu'elles soient religieuses ou non. Et ils ont le droit de le montrer, et d'en parler. L'Etat, lui, garde une absolue neutralité sur tous les sujets religieux, en ne favorisant aucun culte, mais en n'en pénalisant aucun non plus. C'est du moins l'esprit de la loi.
La laïcité qui se veut pure et dure, mais qui dévoie l'esprit de la loi, demande à l'espace public de protéger les citoyens de toute exposition au religieux. Sauf que demander à quelque chose de plus grand que nous de nous protéger de quelque chose qui nous menace, c'est l'essence même de la démarche religieuse ! Il y a une façon de chercher à imposer une laïcité aveugle et sourde qui est, profondément, une démarche religieuse. L'espace public devient sacré, pur et intouchable ; les gens qui se réclament ouvertement d'une foi deviennent des hérétiques ; les responsables politiques se voient interpelés comme les gardiens d'un ordre moral nouveau... un clergé. 
Pour revenir à ce monsieur, et pour le dire en termes théologiques, il faisait la confusion entre la foi et les croyances. Il confondait foi (qui est relation avec un autre) et croyances (qui consistent à structurer une façon de penser dans une construction intellectuelle). Et oui, quand on tient tellement à sa doctrine qu'on en oublie qu'elle est au service de la relation avec Dieu plutôt que le contraire, la religion devient dangereuse, pour soi et pour les autres. Confondre croyances et foi en mettant tout dans le même sac indistinct d'une religiosité dangereuse, s'est refuser de voir qu'on a soi-même les pires penchants religieux.
Quand j'imagine ce monsieur, c'est souvent comme un de ces hommes cagoulés qui, de l'Inquisition au KKK, se croyaient autorisés à juger de la place des autres au point de les mettre à mort. Et ce que je regrette, c'est de ne même pas avoir eu le temps de l'inviter à venir m'écouter un jour au temple. Parce qu'au fond, sans même qu'il le sache, le danger qu'il pointe c'est celui qui guette tous les croyants, et je ne cesse de le dire depuis la chaire. Sauf que je prends le risque d'une parole publique, à visage découvert. 


1 commentaire:

  1. Merci pour ce billet, qui clarifie certaines de mes idées.

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