Il y a un usage pervers du langage. Il y a des désirs de puissance qui laissent libre cours aux pires instincts humains. Dans le livre des Proverbes, un des livres de sagesse de l'Ancien Testament, on trouve ce court passage : "Il y a six choses que le Seigneur déteste, sept qui sont pour lui des abominations : les regards hautains, une langue menteuse, les mains qui se souillent du sang innocent, le coeur qui trame des projets malfaisants, les pieds qui se hâtent vers le mal, le faux témoin qui ment et celui qui déchaîne des querelles entre frères" (Pr 6,16-19).
La malveillance est un poison qui ronge sans pitié. En sortir demande un immense effort conscient. Des démarches comme celle que met en lumière la justice restaurative permettent d'avancer vers du mieux, sans laisser personne s'enfermer dans le statut de victime ni de bourreau. Il s'agit de rechercher la guérison spirituelle, pour le coupable comme pour la victime.
Pour les auteurs du Nouveau Testament, qui écrivaient pour les membres des premières communautés chrétiennes, il fallait trouver le moyen de dire comment gérer les conflits à l'intérieur de ces communautés à la lumière de l'Evangile, pour ne pas laisser s'installer la perversion du langage, les rumeurs et les attaques gratuites qui sont le lot de toutes les communautés humaines. Matthieu, par exemple, écrit ceci :
15Si ton frère a fauté contre toi, va et reprends-le seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère.
16Mais, s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute parole se fonde sur les dires de deux ou trois témoins.
17S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Eglise ; et s'il refuse aussi d'écouter l'Eglise, qu'il soit pour toi comme un païen et un collecteur de taxes (Mt 18,15-17).
Cette démarche ne consiste pas tant à établir la justice qu'à rétablir une vérité commune. Et le pire ennemi de la vérité, c'est la parole perverse. Chercher à retrouver une parole claire qui puisse se partager, c'est compliqué. Ca oblige à regarder la vérité en face. Ca oblige à refuser le silence. Ca oblige à rechercher la compagnie d'autres que soi. Ca oblige à repenser une situation ensemble. Ca oblige à être en vérité avec soi, avec les autres. Ca exige le courage de dire "ça n'est pas vrai", et de s'y tenir. Ca refuse l'émotivité érigée en critère de la vérité. Ca refuse le secret et la manipulation comme moyens d'atteindre ses propres fins. Ca exige de cultiver l'esprit critique et le doute. Ca oblige à rechercher la justesse plutôt que la simple justice, et l'éthique plutôt qu'une morale autoritaire au service de ceux qui ont le pouvoir.
Ca oblige à renoncer à décider par soi-même que la vérité nous appartient et qu'on peut l'imposer aux autres. Même l'Eglise - surtout l'Eglise - n'a pas le droit de décréter cela. Lorsque Matthieu dit qu'en cas d'échec dans la résolution d'un conflit, il faut considérer l'autre comme "un païen et un collecteur de taxes", ce n'est pas, comme on le croit parfois, une invitation à excommunier celui qui ne pense pas comme nous. Au contraire... ça consiste à le confier à celui qui, selon le même Matthieu, est un "ami des collecteurs de taxes et des pécheurs" (Mt 11,19)... traçant ainsi une limite à nos capacités : si nous n'avons pas été capables de retrouver un dialogue honnête et sain, ça devient l'affaire de Dieu.
Mais cela, c'est destiné à une communauté où la fraternité implique l'égalité entre les personnes. Cette aventure de la parole claire et libératrice, que Matthieu appelle de ses voeux pour l'Eglise, pour une fraternité retrouvée, est-elle possible dans la société globale ? Je crois que ce n'est pas la bonne question. Je ne crois pas que ce soit une question de possibilité - mais de choix conscient et assumé. Parce que les grandes occasions de tenir fermes à une parole claire, qui dénonce l'usage pervers du langage, sont toujours des combats...
Mais cela, c'est destiné à une communauté où la fraternité implique l'égalité entre les personnes. Cette aventure de la parole claire et libératrice, que Matthieu appelle de ses voeux pour l'Eglise, pour une fraternité retrouvée, est-elle possible dans la société globale ? Je crois que ce n'est pas la bonne question. Je ne crois pas que ce soit une question de possibilité - mais de choix conscient et assumé. Parce que les grandes occasions de tenir fermes à une parole claire, qui dénonce l'usage pervers du langage, sont toujours des combats...
(c) Labor et Fides |
Coucou Pascale! Je te lis avec plaisir depuis qqs jours, c'est un plaisir de retrouver ta plume!
RépondreSupprimerC'est ce post sur la prise de parole vraie qui m'inspire ;) Le plus dur, pour moi, c'est de refuser le silence!
Anick
Comme pour tous les humains je crois : ça demande du courage et on ne l'a pas toujours, ou on n'a pas encore trouvé de raisons d'en avoir :-)
RépondreSupprimerEn tout cas ça me fait très plaisir de te lire !