Un peu avant la fin de l'évangile selon Marc, Jésus ressuscité revient engueuler les disciples qui n'avaient pas cru à sa résurrection et, sans transition, leur donner un ordre : "Et il leur dit : Allez dans le monde entier, et prêchez l'Evangile à toute la création" (Marc 16,15, repris par Matthieu 28,16-20). Quand on évoque ce passage, on se souvient de l'ordre, plus rarement de l'engueulade qui le précède... ce qui est bien dommage, parce que cet ordre, tel que Marc et Matthieu en rendent compte, a servi de prétexte à bien des conversions forcées, massacres et autres entreprises de colonisation. C'est facile, en effet, de dire "c'est Dieu qui l'a dit, donc on a raison"... Mais en lisant aussi le verset qui précède, on se souvient que les disciples n'avaient pas du tout raison et qu'ils avaient joyeusement trahi le Christ en croyant bien faire. Donc, prudence.
Ceci étant dit, cette "grande mission", comme il est de coutume d'appeler cet ordre explicite de Jésus aux disciples d'aller prêcher au monde entier, existe bien. Il reste à savoir comment l'interpréter, histoire d'éviter de faire trop de bêtises.
Il y a deux jours, je vous parlais de Luther qui venait de découvrir comment lire les Ecritures avec l'analogie de la justice de Dieu (la justice de Dieu, c'est ce qui rend juste celui qui croit). Voici ce qu'il disait : "A l'instant même, l'Ecriture m'apparut sous un autre visage. Je parcourais ensuite les Ecritures, telles que ma mémoire les conservait, et je relevais l'analogie pour d'autres termes : ainsi, l'oeuvre de Dieu, c'est ce que Dieu opère en nous, la puissance de Dieu, c'est celle par laquelle il nous rend capables, la sagesse de Dieu, celle par laquel il nous rend sages, la force de Dieu, le salut de Dieu, la gloire de Dieu."
La justice de Dieu n'est pas pour lui, elle est pour nous. Est-ce qu'on peut essayer de tenir ferme à cette découverte de Luther, à ce renversement de perspective, y compris pour parler de la "grande mission" ? Je n'en suis pas sûre. Mais ça vaut le coup d'essayer, comme expérience de pensée. Je propose donc de renverser notre perspective sur la mission de la façon suivante : la mission, elle n'est pas pour Dieu, elle est pour nous. C'est nous qui en avons besoin.
En ce sens, Dieu ne nous donne pas un ordre pour nous mesurer à cette aune, ni pour nous permettre de nous sentir fiers de nous si nous "amenons des âmes au Christ". Il ne nous demande pas de faire. Il nous annonce que ça arrive. Pour paraphraser Marc, ça donnerait quelque chose comme ça : "vous verrez, vous irez dans le monde entier, et vous prêcherez la bonne nouvelle, et ça sera génial, parce que c'est ça, avoir la foi !"
Si ce n'est plus un impératif moral, mais quelque chose qui arrive à travers nous, alors qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
Ca veut dire que de toute façon, nous sommes en mission : notre vie consiste à être en mission, déjà maintenant, tels que nous sommes. Ce n'est pas un truc à planifier pour quand l'Eglise aura le temps d'y penser.
Si j'y réfléchis, c'est ce qui s'est passé dans ma propre vie. J'ai été au bénéfice de la foi d'autres personnes. Je dois ma foi à des gens qui, pour certains, ne l'ont même pas su, et souvent même à des gens qui ne se seraient jamais dits chrétiens. Mieux encore, je dois ma foi à des gens qui, en s'opposant à ce que je vivais, m'ont permis de prendre conscience à quel point ce que je vivais était réel et important. Sans eux, je ne serais pas pasteure aujourd'hui.
Vous ne savez jamais quel effet vous aurez, et je crois que Dieu n'y tiens pas particulièrement (on en prendrait trop d'orgueil, peut-être). Mais croyez-le, vous êtes en mission, tels que vous êtes. Tu es, tel.le que tu es, vecteur de ce que tu crois, de ce qui te fait vivre, et la plupart du temps, bien malgré toi. Simplement, si tu en prends conscience, alors sois attentif : vois comment ça se déploie dans le monde, par toi et par les autres, parce qu'être humain c'est forcément entrer en dialogue, se lier par le langage avec d'autres que soi... Ce n'est plus "il faudrait faire ceci", mais "observons ce qui se passe et vivons-le vraiment". C'est profondément joyeux !
C'est un peu radical sans doute, mais assez libérateur, non, de voir les choses comme ça ? Nous ne modifions pas le monde par nos propres forces. Simplement, nous changeons de perspective sur le monde pour y voir Dieu à l'oeuvre. Ce n'est pas un choix qui nous est donné : c'est une annonce qui nous est faite.
Attention cependant : lire les choses comme ça, ça implique de dire que c'est le coeur de notre foi qui se transmet, plus ou moins malgré nous. Alors, notre responsabilité est d'être attentifs à cette foi, d'y réfléchir, de l'examiner. Et de ne pas cultiver, sous couvert de foi et en prenant Dieu comme excuse, des penchants inquiétants que nous voulons imposer aux autres. J'aurais assez tendance à croire que les grandes entreprises destructrices menées par les religions et les croyances, quelles qu'elles soient, ne relèvent pas tant d'une volonté mauvaise, que d'une mauvaise théologie. Dire que les femmes ou les esclaves ou les peuples dits premiers ne pouvaient pas avoir une âme, ça ne relevait pas de la foi, mais d'une mauvaise théologie... on sait les dégâts immenses et les infâmes compromissions qui en découlent.
Trop souvent, on considère la question de la mission comme une question de moyens (comment on va s'y prendre pour annoncer l'Evangile ?), alors qu'au fond, la chose la plus fondamentale et notre véritable responsabilité, c'est une question de contenu (qu'est-ce qu'on croit ?). Le reste nous est offert et ne nous appartient pas...
Attention cependant : lire les choses comme ça, ça implique de dire que c'est le coeur de notre foi qui se transmet, plus ou moins malgré nous. Alors, notre responsabilité est d'être attentifs à cette foi, d'y réfléchir, de l'examiner. Et de ne pas cultiver, sous couvert de foi et en prenant Dieu comme excuse, des penchants inquiétants que nous voulons imposer aux autres. J'aurais assez tendance à croire que les grandes entreprises destructrices menées par les religions et les croyances, quelles qu'elles soient, ne relèvent pas tant d'une volonté mauvaise, que d'une mauvaise théologie. Dire que les femmes ou les esclaves ou les peuples dits premiers ne pouvaient pas avoir une âme, ça ne relevait pas de la foi, mais d'une mauvaise théologie... on sait les dégâts immenses et les infâmes compromissions qui en découlent.
Trop souvent, on considère la question de la mission comme une question de moyens (comment on va s'y prendre pour annoncer l'Evangile ?), alors qu'au fond, la chose la plus fondamentale et notre véritable responsabilité, c'est une question de contenu (qu'est-ce qu'on croit ?). Le reste nous est offert et ne nous appartient pas...
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