Avant la Réforme, seuls les membres du clergé avaient le droit de s'asseoir pendant un office. Les autres devaient rester debout. C'était, explicitement, pour favoriser le respect envers Dieu de la part du peuple, et implicitement, une façon de marquer une nette différence entre ceux qui étaient légitimes et ceux qui ne l'étaient pas.
Avec la Réforme arrivent les bancs dans les Eglises. Tout le monde est à égalité, célébrant compris. Il ne monte d'ailleurs en chaire, plus haut que les autres, que pour le moment très particulier de la prédication, où l'Eglise écoute, toute entière, la Parole de Dieu proclamée et méditée (prédicateur compris). En permettant à chacun de s'asseoir, on fait aussi le choix de favoriser l'attention des auditeurs : l'accent est mis sur l'écoute attentive, et non plus sur les mouvements et gestes autorisés et le cadre dans lequel ils sont autorisés.
En bref, dans un temple, on s'immobilise pour écouter, parce que ce qu'on entend est plus important que tout !
Il y a des moments où on se lève (pour chanter, pour recevoir certaines paroles particulièrement importantes, pour confesser notre foi, pour se rassembler autour de la table de communion), mais le reste du temps, sauf célébrations exceptionnelles, on est assis, et ça a du sens théologiquement qu'on soit assis. (Je n'évoque pas ici les cultes dits "spéciaux" qui encouragent d'autres expériences, et il est bien clair que je parle du contexte luthéro-réformé le plus classique, où nous vivons la plupart de nos cultes).
Mais voilà, dans la plupart de nos temples, les premiers bancs restent désespéréments vides. Pourquoi ? S'il s'agit essentiellement d'écouter, pourquoi les bancs les mieux placés pour cela restent-ils vides ? Est-ce de la timidité ? le refus de se mettre en avant ? le refus de jouer un jeu social où les plus importants des membres ont droit aux meilleures places alors que dans le Royaume de Dieu c'est le contraire ? la peur du regard perçant du pasteur qui voit quand on ne chante pas ?
En réalité, au moment de la Réforme, le choix était aussi de faire en sorte que les gens puissent se voir de face pendant l'office : les bancs étaient disposés en rond autour de la chaire (au petit temple de Saint-Gelais dans les Deux-Sèvres, c'est carrément le temple qui est rond). Peut-être bien que là est la clé de notre problème de théologie pratique : s'il n'y a personne sur les premiers bancs, c'est que la disposition actuelle des bancs impose de voir ou d'être vu. Alors que se voir mutuellement, c'est se souvenir que le visage d'un frère, d'une soeur, nous appelle à vivre la communauté comme des gens qui se voient, se connaissent, et vivent vraiment quelque chose ensemble. Il est peut-être tout simplement plus difficile d'avoir le sentiment d'être une communauté quand, plus on est devant, moins on voit les autres…
Aucune pièce de mobilier n'a été blessée pendant le tournage de cette réflexion théologico-pratique.
Au "contexte luthéro-réformé" il faut ajouter "français". D'autres protestants ont d'autres habitudes ; je n'ai connu le chant debout et la prière assise qu'à mon arrivée en France.
RépondreSupprimerD'ailleurs, si nombre de vieilles chaires disposent d'un banc, ce n'est pas pour être assis en prêchant mais parce qu'autrefois, le pasteur se tenait en chaire tout le culte durant ! Il faut dire que la liturgie était bien moins riche qu'aujourd'hui (là, la messe luthérienne a enrichi l'austérité calviniste).
Néanmoins, le phénomène des bancs vides se répète - presque - partout. Au mariage cet après-midi, les premiers rangs étaient remplis, alors que derriére il y avait bien des places vides encore, et chez moi, d'habitude c'est juste le tout premier rang qui reste vide, celui qui n'a rien devant lui pour poser son Arc-en-Ciel.
Merci Wolfram pour ton commentaire. Je viens de réaliser que lors des actes pastoraux, en effet, les bancs de devant sont toujours remplis ! Peut-être parce que là, les rôles sont bien définis et les places légitimes se remplissent parce qu'elles sont légitimes justement…
RépondreSupprimerTu as raison de souligner que la dimension culturelle a un profond impact sur les formes du culte. J'ai bien du mal à faire comprendre à mes paroissiens que, en Indonésie, célébrer une Sainte Cène avec du thé et du gâteau de riz est parfaitement normal dans certaines circonstances !