En ce "jour d'la femme", qui est en réalité la journée internationale des droits des femmes, ne comptez pas sur moi pour un petit billet rigolo sur les adorables défauts féminins, parce que je suis énervée, et faut pas me marcher sur les talons aiguille. Et pour une raison qui m'échappe, être énervée me fait toujours aller lire des textes difficiles dans la Bible. Tiens, ce matin par exemple : Ève et la pomme.
Alors déjà, il n'y a pas la queue d'une pomme dans cette histoire. Et la femme ne s'appelle pas encore Ève. Mais à part ça...
Avant le malheureux incident de la mangeaille du fruit de l'arbre, Adam et la femme, sa moitié, sont nus et ils n'en reçoivent aucune honte (Gn 2,25). Mais après que ce fourbe de serpent s'en soit mêlé et qu'ils aient mangé, "leurs yeux furent ouverts et il leur apparut qu'ils étaient nus ; ayant cousu des feuilles de figuier, il s'en firent des pagnes" (Gn 3,7). Je suis frappée que dans ce passage, comme dans le dialogue avec Dieu qui suit immédiatement, il ne soit plus question de honte ; de peur, oui, mais pas de honte. On le suppose, bien sûr, que l'homme et la femme aient honte. Et les auteurs bibliques, qui ne sont pas les derniers des idiots, surtout avec le souffle de Dieu de leur côté, savent parfaitement construire le suspens pour nous obliger à suivre l'histoire pas à pas.
Avant le fruit, le regard de Dieu n'éveille pas la honte ; le regard de l'un sur l'autre n'éveille pas la honte. Après, le regard de l'un sur l'autre fait connaître la honte, et le regard de Dieu est insoutenable.
Avant le fruit, ils n'ont pas honte ; après, ils ont honte. Qu'est-ce qui s'est passé ? La connaissance. Et la connaissance de quoi ?
On traduit généralement en disant que l'arbre qui porte ce fruit est "l'arbre de la connaissance du bien et du mal". Ce qui est problématique, si on lit ça en comprenant qu'il s'agit d'un espère d'arbre à morale qui dit ce qui est bien et ce qui est mal. En fait, tov (bien) désigne ce qui est bon, beau, agréable, positif, comme quand Dieu dit "tov", bon, à chaque étape de la création. Rah (mal) désigne ce qui est mauvais, malsain, sans valeur, maléfique, malheureux.
Mais pour développer ces idées-là quand l'humain y est mêlé, la Bible ne fait pas une liste du bien et du mal, énonçant clairement ce qui est l'un ou l'autre. On nous parle plutôt de honte.
L'expérience de la honte, c'est celle de tous les humains. Ça fait partie, d'une façon ou d'une autre, de l'éducation des enfants. "Tu n'as pas honte ?" fait partie des phrases que nous avons tous entendues enfant, que ce soit à la maison, à l'école ou ailleurs. Et pour peu que ce soit dit sans perversion, c'est structurant, parce que ça permet aux enfants de comprendre la différence entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Ça permet de faire comprendre que certains comportements, certaines paroles, leur font du mal, font du mal aux autres, et font du mal aux relations. Ça dit clairement qu'il y a du bon, et qu'il y a du mauvais, et qu'être humain consiste à naviguer à vue par rapport à ce que ça fait, qu'il y ait du bon et qu'il y ait du mauvais. Cette honte-là fait des adultes qui sont capables de dire "j'ai honte", des adultes capables d'en tirer des conclusions pour porter un regard différent sur eux-mêmes, sur leurs valeurs, sur ce qui doit être préservé et ce qui doit être évité, et capables donc de changer pour prendre un nouveau départ.
Le problème, c'est que la honte peut devenir totalement envahissante, surtout si elle est manipulée par des adultes pervers autour de l'enfant. Lorsque la honte est utilisée pour détruire l'expérience que l'enfant fait du monde, de lui-même et des autres, elle fait mourir intérieurement. Lorsque l'expérience de la honte est telle qu'elle coupe totalement du genre humain, au point qu'on ne se sente plus digne d'être appelé un humain, alors elle détruit. Elle détruit d'autant plus qu'elle n'est pas nommée. Et dans ce cas, plutôt que d'être l'occasion d'un nouveau départ, elle reste un lieu mortifère au coeur même de la vie.
Mais dans le texte de la "chute", la réaction de Dieu a quelque chose de fascinant : il n'écrase pas les deux humains sous la honte. Il la nomme, il dit ce qui s'est passé, il explique clairement que sa loi n'a pas été respectée, il examine le rôle de chacun, il condamne le comportement du serpent, et envoie l'homme et la femme en exil. Désormais, plus rien ne sera comme avant, et un nouveau départ est imposé.
Dieu, par la parole, ne menace pas, ne détruit pas. Il prend acte, il expose, il renouvelle. Il ne condamne pas à la honte pour qu'ils y marinent éternellement. Il vêt ceux qui sont nus et les envoie vivre.
La honte peut perdre, ou la honte peut ouvrir à un nouveau départ. Dieu n'est pas pervers : ce qu'il ouvre pour ces deux humains, prototypes de toute l'humanité, symboles de ce que nous sommes tous, c'est une vie nouvelle. Pour eux, la honte ne sera jamais une prison, mais un aiguillon qui tourne vers un nouvel avenir.
Qu'il nous soit donné, à nous aussi, lorsque nous ressentons de la honte, de ne pas nous y perdre, mais d'en saisir l'occasion pour une résurrection !
Alors déjà, il n'y a pas la queue d'une pomme dans cette histoire. Et la femme ne s'appelle pas encore Ève. Mais à part ça...
Avant le malheureux incident de la mangeaille du fruit de l'arbre, Adam et la femme, sa moitié, sont nus et ils n'en reçoivent aucune honte (Gn 2,25). Mais après que ce fourbe de serpent s'en soit mêlé et qu'ils aient mangé, "leurs yeux furent ouverts et il leur apparut qu'ils étaient nus ; ayant cousu des feuilles de figuier, il s'en firent des pagnes" (Gn 3,7). Je suis frappée que dans ce passage, comme dans le dialogue avec Dieu qui suit immédiatement, il ne soit plus question de honte ; de peur, oui, mais pas de honte. On le suppose, bien sûr, que l'homme et la femme aient honte. Et les auteurs bibliques, qui ne sont pas les derniers des idiots, surtout avec le souffle de Dieu de leur côté, savent parfaitement construire le suspens pour nous obliger à suivre l'histoire pas à pas.
Avant le fruit, le regard de Dieu n'éveille pas la honte ; le regard de l'un sur l'autre n'éveille pas la honte. Après, le regard de l'un sur l'autre fait connaître la honte, et le regard de Dieu est insoutenable.
Avant le fruit, ils n'ont pas honte ; après, ils ont honte. Qu'est-ce qui s'est passé ? La connaissance. Et la connaissance de quoi ?
On traduit généralement en disant que l'arbre qui porte ce fruit est "l'arbre de la connaissance du bien et du mal". Ce qui est problématique, si on lit ça en comprenant qu'il s'agit d'un espère d'arbre à morale qui dit ce qui est bien et ce qui est mal. En fait, tov (bien) désigne ce qui est bon, beau, agréable, positif, comme quand Dieu dit "tov", bon, à chaque étape de la création. Rah (mal) désigne ce qui est mauvais, malsain, sans valeur, maléfique, malheureux.
Mais pour développer ces idées-là quand l'humain y est mêlé, la Bible ne fait pas une liste du bien et du mal, énonçant clairement ce qui est l'un ou l'autre. On nous parle plutôt de honte.
L'expérience de la honte, c'est celle de tous les humains. Ça fait partie, d'une façon ou d'une autre, de l'éducation des enfants. "Tu n'as pas honte ?" fait partie des phrases que nous avons tous entendues enfant, que ce soit à la maison, à l'école ou ailleurs. Et pour peu que ce soit dit sans perversion, c'est structurant, parce que ça permet aux enfants de comprendre la différence entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Ça permet de faire comprendre que certains comportements, certaines paroles, leur font du mal, font du mal aux autres, et font du mal aux relations. Ça dit clairement qu'il y a du bon, et qu'il y a du mauvais, et qu'être humain consiste à naviguer à vue par rapport à ce que ça fait, qu'il y ait du bon et qu'il y ait du mauvais. Cette honte-là fait des adultes qui sont capables de dire "j'ai honte", des adultes capables d'en tirer des conclusions pour porter un regard différent sur eux-mêmes, sur leurs valeurs, sur ce qui doit être préservé et ce qui doit être évité, et capables donc de changer pour prendre un nouveau départ.
Le problème, c'est que la honte peut devenir totalement envahissante, surtout si elle est manipulée par des adultes pervers autour de l'enfant. Lorsque la honte est utilisée pour détruire l'expérience que l'enfant fait du monde, de lui-même et des autres, elle fait mourir intérieurement. Lorsque l'expérience de la honte est telle qu'elle coupe totalement du genre humain, au point qu'on ne se sente plus digne d'être appelé un humain, alors elle détruit. Elle détruit d'autant plus qu'elle n'est pas nommée. Et dans ce cas, plutôt que d'être l'occasion d'un nouveau départ, elle reste un lieu mortifère au coeur même de la vie.
Mais dans le texte de la "chute", la réaction de Dieu a quelque chose de fascinant : il n'écrase pas les deux humains sous la honte. Il la nomme, il dit ce qui s'est passé, il explique clairement que sa loi n'a pas été respectée, il examine le rôle de chacun, il condamne le comportement du serpent, et envoie l'homme et la femme en exil. Désormais, plus rien ne sera comme avant, et un nouveau départ est imposé.
Dieu, par la parole, ne menace pas, ne détruit pas. Il prend acte, il expose, il renouvelle. Il ne condamne pas à la honte pour qu'ils y marinent éternellement. Il vêt ceux qui sont nus et les envoie vivre.
La honte peut perdre, ou la honte peut ouvrir à un nouveau départ. Dieu n'est pas pervers : ce qu'il ouvre pour ces deux humains, prototypes de toute l'humanité, symboles de ce que nous sommes tous, c'est une vie nouvelle. Pour eux, la honte ne sera jamais une prison, mais un aiguillon qui tourne vers un nouvel avenir.
Qu'il nous soit donné, à nous aussi, lorsque nous ressentons de la honte, de ne pas nous y perdre, mais d'en saisir l'occasion pour une résurrection !
Lucas Cranach l'Ancien |
Et bien oui...
RépondreSupprimerTres bien vu!
RépondreSupprimerJoLi rebond !
RépondreSupprimer