- Mon humaine, je déborde de doute et de mal-à-l'aiseté quant à ce que tu dis sur les pharisiens.
- Tiens ? Qu'est-ce que j'ai dit, déjà ?
- Qu'ils étaient tous des hypocrites.
- Euh... c'est pas moi qui dis ça, mon chaton, tu le sais ? C'est Jésus qui se permet cette interprétation-là, et moi j'essaie de comprendre ce qu'il veut dire.
- Tu veux dire que Jésus a forcément raison ?
- Non. D'ailleurs je crois qu'en au moins une occasion, il a raconté une bêtise plus grosse que lui et qu'il l'a compris ensuite, mais ça m'intéresse de savoir ce qu'il dit sur la façon dont les humains comprennent leur appartenance au royaume de Dieu. Et ce que je crois comprendre, c'est qu'il critique vertement l'attitude des pharisiens, qui se croient au-dessus de tout le monde parce qu'ils se croient protégés par leur stricte application de la loi. Ils pensent que leur rectitude morale, leur respect absolu des règles et leur refus de la compromission les mettent nécessairement dans le camp des bons gars.
- Oui, je comprends que ça soit énervant. Mais suppose qu'ils aient raison ?
- Raison comment ?
- Que ce soit important d'être du bon côté de la barrière. Et que ce soit important de savoir quelle est la loi de Dieu, pour pouvoir la respecter.
- Mmmhhh... Je me demande si l'illusion que ça ouvre n'est pas pire que tout. Se croire hors du monde, à l'écart de l'humanité ordinaire. D'ailleurs "pharisiens" ça vient de la racine parash, qui désigne la séparation, la mise à l'écart. Ce qui se distingue, se sépare. Les pharisiens sont ceux qui croient qu'ils peuvent rester purs en refusant de se mêler aux autres et en respectant le plus possible la loi transmise par Moïse. Ils se détachent du monde pour protéger leur foi.
- Et bien je maintiens qu'il y a du bon là-dedans. Toi qui n'es qu'une humaine, tu devrais en croire ma sagesse de chat : se savoir au-dessus de la mêlée, c'est la substance de la vie. Et si vous avez besoin, animaux grégaires que vous êtes, de vous serrer les coudes sur ce coup-là, moi je dis miaah.
- De la part de quelqu'un qui n'a jamais mis une patte dans un temple, c'est un peu tiré par les moustaches, non ?
- Mais ça sert à quoi d'avoir de la religion si c'est pas pour se sentir du bon côté ?
- Mon chaton, quand je suis entrée dans le ministère, c'est le truc qui me faisait hésiter. Je sais très bien que les pasteurs sont attendus sur leur capacité à dire ce qui est bien ou pas, à maintenir les traditions et à les prolonger, à mener le petit troupeau dans l'unité. Seulement moi, ce qui me passionne, c'est une Parole qui vient provoquer et bouleverser cet imaginaire-là. Le Jésus qui m'intéresse, c'est celui dont la parole est si subversive qu'elle l'a mené à la mort et que ça change tout, parce qu'elle mine toutes les illusions sur les "bons" et les "mauvais" côtés. Les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers... c'est inimaginable. Vivre le ministère entre ces deux pôles-là, ça n'a rien de confortable. Peut-être que c'est juste moi, peut-être que c'est ma névrose perso qui fait que je trouve ça difficile. Mais honnêtement, je ne crois pas. Je crois qu'on bataille tous (pas juste les pasteurs, mais tous ceux pour qui la foi est une interrogation profonde dans leur vie) avec l'envie d'être du bon côté, et en même temps le désir de connaître Dieu et d'être connu de Dieu. Et ça n'est pas la même chose.
- C'est pour ça que tu arrêtes le ministère pastoral ?
- Non. De toute façon, mon corps n'arrivait plus à suivre le rythme, et puis je peux me mettre au service de la Parole autrement qu'au service quotidien d'une Église locale. Mais ça m'interroge toujours.
- (Baillement.) Bon, c'est pas tout ça, mais c'est l'heure de la sieste. Je te fais une place sur le canapé si tu veux parasher avec moi.
- Un de ces jours, on se fera une petite révision des formes verbales de l'hébreu, mon chaton... mais OK pour la sieste.
- Dans ce royaume-là, crois-moi, je te précède, mon humaine.
- Dans ce royaume-là, crois-moi, je te précède, mon humaine.
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