- Bon, mon humaine, je reviens à ton histoire des trucs qu'on peut ou pas manger, et pourquoi ça vous sépare les uns des autres, vous autres les humains, jusque dans l'Église...
- Ah oui, quand on lit le chapitre 14 de la lettre de Paul aux Romains, tu veux dire ?
- Je suppose, oui.
- Comment on peut vivre ensemble pour devenir un "tous" à partir de plusieurs "chacun"... oui, la question est aussi brûlante aujourd'hui qu'aux premiers temps de l'Église. Et Paul, qui n'a pas l'habitude de passer à côté des questions difficiles, a deux-trois choses à dire sur la question.
- J'imagine qu'il règle ça en deux coups de patte ?
- Pas vraiment, non. En fait, au lieu de leur dire quoi faire, il prend un risque énorme, celui de faire confiance à leur intelligence. Dicter un comportement, c'est facile, ça règle tous les problèmes avant même qu'ils apparaissent, en général, mais ce n'est pas son genre (même si on peut s'acharner à le lire comme s'il donnait des ordres, ça s'est vu...).
- Et toi, trop forte, tu ne tombes pas dans le piège, c'est ça ?
- Je sens le sarcasme, mon chaton.
- Miaaaaounnnonn...
- Mouais. Bref. J'imagine parfois Paul se torturer la plume (figurativement, parce qu'il n'écrivait pas lui-même, il dictait à un secrétaire), luttant contre la tentation de dire qui a raison et qui a tort. Et la plupart du temps, soyons honnêtes, il résiste fort bien à la tentation, et du coup, ce qu'il dit est à la fois profond et percutant. Dans ce cas précis, il rappelle à tout le monde, ceux qui mangent de tout à cause de leur foi et ceux qui refusent de manger de tout à cause de la même foi, pourquoi ils sont là. Pourquoi ils sont ensemble. Ce n'est pas parce qu'ils l'ont choisi, comme un petit club sympa pour aller passer des soirées entre potes...
- L'Église n'est pas un club privé, miouais, t'as déjà dit ça. Plein de fois.
- Ben oui ! L'Église, c'est pas destiné à nous rassurer sur nous-mêmes, entre soi ! Vivre ensemble en Église, ce n'est pas un luxe qu'on choisit, ce n'est pas un confort, ce n'est pas une obligation morale, ce n'est certainement pas un but en soi. C'est une liberté donnée. Si on commençait à dire aux gens "tu as le droit de venir à l'Église" au lieu de laisser entendre "ce serait quand même bien que tu ailles à l'Église", ça changerait peut-être un peu la donne... C'est ça, qu'il dit, Paul. Vous avez la liberté, offerte par Dieu, d'être l'Église ensemble.
- Bof. Ça a quand même pas l'air si folichon...
- Folichon ? mais d'où tu tires ce vocabulaire, mon chaton ?
- (...)
- OK, OK, lèche-toi une patte, j'ai rien dit. Mais pour revenir à Paul, c'est fort quand même, non ? De dire que nous avons la liberté d'accueillir l'autre, quels que soient ses scrupules religieux... et d'être accueillis avec les nôtres... Et on en a tous.
- Tous ?
- Tous. Et Paul affirme, ce qui est quand même assez énorme : "Vous pouvez accueillir celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses scrupules. Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l'a accueilli". C'est quand même autrement plus profond que toutes les considérations morales et la rectitude théologique, non ? Il ne s’agit pas d’être gentils, d’être tolérants, d’être ouverts ou progressistes ! Il s’agit d’entendre l’Evangile ! Accueillez... accueillez l’autre, parce que Dieu l’a accueilli. Il n’y a pas d’autre règle que ça.
- Ça me dit quelque chose...
- Oui, moi aussi, maintenant que tu le dis. Ailleurs dans le Nouveau Testament, je crois que ça se dit "Aime ton prochain comme toi-même". Mais aime-le vraiment. Accueille-le vraiment. Pas pour être gentil, pour être meilleur que les autres, pour respecter le catéchisme. Mais parce que tu le peux.
- Rrrr... Ça a l'air pas mal, dit comme ça. Mais je comprends pas l'histoire de "faible dans la foi".
- L'exercice spirituel nécessaire pour arriver à vivre ensemble, c'est de se demander si moi, dans ma foi, je peux encaisser les difficultés mieux ou moins bien que l'autre. Si c'est mieux, alors celui qui doit être respecté dans ses scrupules, c'est lui, pas moi. Ça conduit à réfléchir sur la solidité de sa propre foi, plutôt qu'à prendre sa propre foi comme excuse pour ne rien supporter des autres. Ça encourage le respect, le courage, la responsabilité. Et l'amour.
- Rrrrr... rrrr...
- L'exercice spirituel nécessaire pour arriver à vivre ensemble, c'est de se demander si moi, dans ma foi, je peux encaisser les difficultés mieux ou moins bien que l'autre. Si c'est mieux, alors celui qui doit être respecté dans ses scrupules, c'est lui, pas moi. Ça conduit à réfléchir sur la solidité de sa propre foi, plutôt qu'à prendre sa propre foi comme excuse pour ne rien supporter des autres. Ça encourage le respect, le courage, la responsabilité. Et l'amour.
- Rrrrr... rrrr...
- L'Église c'est peut-être ça, le lieu où on peut entendre, même si c'est dur à écouter : "Ne juge pas ! Ne juge pas les scrupules de l'autre ! Ne juge pas la foi de l'autre ! Ne juge pas les erreurs, les conflits, les hésitations, les incertitudes ni les fautes..." C'est l'affaire de Dieu, de s'occuper de tout ça. À nous, il est juste donné de partager un cadeau commun, un lieu commun.
- Un lieu commun ? ça fait pas un peu... commun ?
- Ben tant mieux ! Il y a tellement de lieux privés dans nos vies, on est tellement enfermés dans des lieux barricadés, littéralement et métaphoriquement, qu'en sortir pour faire l'expérience du lieu commun, c'est une forme de libération. L'Église ne sert pas à se protéger des autres, mais à accueillir les autres. Au fond, l'endroit le plus important d'un temple ou d'une église, c'est peut-être la porte d'entrée...
- Tu tournes un peu en rond, mon humaine. En fait, pour le dire en deux mots, tu dis que le but de la vie chrétienne, ce n'est pas de juxtaposer des espaces privés, mais de partager un espace public ?
- De s'y sentir accueilli et d'y accueillir. Oui. C'est ça. T'as tout compris, mon chaton.
- Sauf, mon humaine, que tu rêves complètement. J'ai comme l'impression que tu n'y comprends rien à l'humanité. Un peu comme si tu comprenais mieux les chats (ce pour quoi je te félicite, même si bien sûr tu ne connaîtras jamais toute l'étendue de la profondeur subtile de notre félinité) que ta propre espèce.
- Mon chaton, tu te laisses emporter par les mots.
- Et toi, par l'idéalisme. D'où tu vois que les humains en sont capables, de s'accueillir mutuellement ? Regarde Lampedusa, regarde Calais, regarde...
- Oui, mais j...
- Mais rien du tout. Les humains ne savent pas faire, c'est tout.
- Mais c'est ce que je dis. Et j'ai comme l'impression que Dieu, quand il s'attend à ce que nous le fassions, s'attend à un miracle.
- Tu veux dire que Dieu attend des miracles de la part des humains ? Tu es sûre que c'est dans le bon sens, ce que tu dis ?
- Oui. Je ne suis pas sûre de grand-chose, mais de ça, oui.
- Alors là, d'accord.
- Un lieu commun ? ça fait pas un peu... commun ?
- Ben tant mieux ! Il y a tellement de lieux privés dans nos vies, on est tellement enfermés dans des lieux barricadés, littéralement et métaphoriquement, qu'en sortir pour faire l'expérience du lieu commun, c'est une forme de libération. L'Église ne sert pas à se protéger des autres, mais à accueillir les autres. Au fond, l'endroit le plus important d'un temple ou d'une église, c'est peut-être la porte d'entrée...
- Tu tournes un peu en rond, mon humaine. En fait, pour le dire en deux mots, tu dis que le but de la vie chrétienne, ce n'est pas de juxtaposer des espaces privés, mais de partager un espace public ?
- De s'y sentir accueilli et d'y accueillir. Oui. C'est ça. T'as tout compris, mon chaton.
- Sauf, mon humaine, que tu rêves complètement. J'ai comme l'impression que tu n'y comprends rien à l'humanité. Un peu comme si tu comprenais mieux les chats (ce pour quoi je te félicite, même si bien sûr tu ne connaîtras jamais toute l'étendue de la profondeur subtile de notre félinité) que ta propre espèce.
- Mon chaton, tu te laisses emporter par les mots.
- Et toi, par l'idéalisme. D'où tu vois que les humains en sont capables, de s'accueillir mutuellement ? Regarde Lampedusa, regarde Calais, regarde...
- Oui, mais j...
- Mais rien du tout. Les humains ne savent pas faire, c'est tout.
- Mais c'est ce que je dis. Et j'ai comme l'impression que Dieu, quand il s'attend à ce que nous le fassions, s'attend à un miracle.
- Tu veux dire que Dieu attend des miracles de la part des humains ? Tu es sûre que c'est dans le bon sens, ce que tu dis ?
- Oui. Je ne suis pas sûre de grand-chose, mais de ça, oui.
- Alors là, d'accord.
(c) NR (2017) |
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