Le dernier article publié ici a donné lieu à des réactions particulièrement violentes.
Et il est vrai que si je laissais les choses là où je les ai laissées, il y a de quoi se poser des questions : mais alors, est-ce qu'un pasteur, ça sert vraiment à quelque chose ?
Comme souvent, il y a au moins deux façons de considérer cette question. La première, c'est de considérer que le pasteur est le permanent de service, celui qui "fait le job", qui remplit la fonction, qui fait la totalité de ce qu'une église se doit de faire pour ceux qui s'y trouvent : prêcher, enseigner, baptiser, partager le pain et la Parole, accompagner, animer, évangéliser, organiser, dialoguer, secourir, discipliner, et surtout aimer. On l'aura compris, ce n'est pas l'opinion de Paul.
L'autre façon, c'est de dire que le pasteur est le luxe immense, dans notre monde, du superflu. Un des pasteurs que j'admire le plus nous a dit un jour, lors d'une session de formation des "jeunes" pasteurs que nous étions alors : "être pasteur, c'est être un artiste de la foi, qui donne envie d'être artiste aussi". Et je crois que ça n'a jamais fini de résonner pour moi. Être pasteur, c'est être artiste : celui qui ne produit rien d'utile, parce que justement le but de l'art, c'est d'être en plus, de montrer qu'il existe autre chose que la réalité ordinaire. Le pasteur fait ça : rappeler sans cesse que la grâce de Dieu dépasse la réalité ordinaire (et ça commence par se le rappeler à soi-même !), avec l'espoir fou que ça bouleverse des vies, pour que d'autres deviennent artistes, à leur façon unique et merveilleuse.
Les pasteurs sont formés, sérieusement, à la lecture critique de la Bible, pour, au minimum, ne pas dire n'importe quoi. Mais ils sont formés aussi à la bataille au corps-à-corps avec les textes, pour y puiser une Parole venue d'ailleurs, qui vient nous cueillir là où nous n'attendions que de l'ordinaire. Les pasteurs sont formés à écouter, au nom d'un Autre, en présence d'un Autre, les histoires de vie, les joies et les douleurs, les projets possibles et les espérances inattendues. Le secret de cette relation avec autrui est protégé par la loi, au même titre que la relation entre un médecin et son patient. Et il y a un peu de ça, aussi : permettre à d'autres d'avancer en s'appuyant sur quelqu'un qui s'y engage totalement, quand le besoin s'en fait sentir.
Il y a la grâce infinie de partager les découvertes de la façon dont Dieu agit dans nos vies, avec les plus jeunes comme avec tous les autres. Il y a la grâce infinie de dire l'amour de Dieu quand la mort est venue frapper et que toute espérance semble anéantie. Il y a la grâce infinie de la simplicité d'une amitié entre ceux qui cherchent ensemble à être des disciples. Il y a la question jamais tranchée, toujours en développement, de ce que signifie être disciple. Il y a tant de choses qui donnent leur poids à la fonction du pasteur...
Un poids qui, parfois, est bien lourd à porter. Mais que nous avons choisi, nous les pasteurs, de porter, appelés par Dieu. Nous avons souvent tout laissé derrière nous pour prendre le risque de partager la simple humanité de ceux qui cherchent Dieu.
Paul, encore lui, disait que sa vocation était de se faire "tout à tous" (dans la première épître aux Corinthiens, chapitre 9). Il voulait dire par là, non pas tout faire pour l'autre, quel qu'il soit, mais le rejoindre là où il est, avec le langage qui est le sien. Prier avec les mystiques, espérer avec les désespérés, discuter le bout de gras avec les curieux, explorer l'histoire avec ceux qui veulent la connaître... Les pasteurs ont la formation nécessaire pour s'y risquer. Mais il reste toujours le pas de la foi : croire que Dieu nous accompagne dans ces rencontres et que oui, il est possible de se faire "tout à tous", et que ce soit une source de joie partagée. Et faire, enfin, le pas supplémentaire qui consiste à croire qu'on peut chercher ensemble, en communauté, à vivre de cette foi, à accueillir tous ceux qui souhaitent s'y réchauffer, sans se ratatiner sur ce que nous sommes, mais avec l'espoir chevillé au corps que l'avenir ouvre des chemins insoupçonnés.
A quoi sert un pasteur ? à chercher Dieu avec d'autres, et à dire que c'est Dieu qui vient à notre rencontre. A témoigner de la grâce infinie de la vie avec lui. Envers et contre tout. C'est un luxe. C'est de l'inutile. C'est du superflu. C'est essentiel.
Tres juste et joliment dit!
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