mercredi 21 février 2018

Une seule chair

C'est complexe, ce qui se noue entre deux personnes qui choisissent de se marier. Dans cette décision de lier deux vies, il se joue beaucoup de choses. 
Faire le pari qu'on veut faire quelque chose de ce qu'on partage, de cet amour commun par lequel nous sommes liés. Construire ensemble - sans se recroqueviller l'un sur l'autre, l'un avec l'autre, mais pour prendre le souffle nécessaire pour ouvrir notre vie à d'autres. Décider de s'accepter tels que nous sommes, avec les défauts et les qualités, les forces et les faiblesses, dans la richesse et dans la pauvreté. Espérer voir l'autre s'épanouir chaque jour. Mettre sa confiance dans une forme sociale instituée qui garantit le juste équilibre dans la relation et la protection de la personne la plus faible, si nécessaire. 
Mais surtout, il y a le miracle de la douceur partagée, la joie à voir l'autre être heureux, à voir ce que l'on a pu faire et vivre ensemble. Les repas partagés, les rires, les complicités. Grandir et vieillir ensemble, avec les siens autour. Il y a les moments de doute aussi, où on préférerait, finalement, être seul/e, les moments d'agacement quand on ne voit plus que ce petit tic, les moments de déception, de trahison, d'accusation, d'incompréhension, d'absence, de silence. Les moments où on décide ensemble de sortir du silence, pour qu'il n'y ait pas de non-dit qui fermente, où on cherche de l'aide. Les moments de grâce aux grands événements de la vie, qu'on n'aurait manqués ensemble pour rien au monde. Les moments où on peut être simplement accueillants pour ceux qui passent, juste parce qu'ils en ont besoin. Les photos, les confidences, les souvenirs, les espérances. 
Il y a, aussi, les conflits, ou juste la lassitude, quand on n'y croit plus, quand on n'a plus envie, quand il n'y a plus la magie nécessaire pour espérer. Il y a les mauvaises raisons, et les bonnes raisons, d'être ensemble. Il y a les séparations et les sentiments contradictoires qui les accompagnent, entre soulagement, regrets, colère et volonté, malgré tout, de sortir par le haut d'une situation où il n'y a plus de vie. On m'a demandé récemment "Est-ce que tu crois au divorce ?" C'est une question idiote. Le divorce est une possibilité légale, qui permet de mettre fin à une situation impossible. Ce n'est jamais anodin, mais il ne s'agit pas d'y croire ou de ne pas y croire, mais de savoir comment ça peut se vivre, quand ça devient nécessaire. Quand le lien devient toxique et qu'il est temps d'y mettre un terme dans cette forme-là. 
Je pense à ce passage du Cantique des cantiques, que je propose souvent à la méditation lorsque je fais un bout de chemin avec ceux qui viennent demander à l'Église une bénédiction à l'occasion de leur mariage. Il décrit le chant d'amour de deux fiancés : 

Il prend la parole, mon bien-aimé. Il me dit : Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens !
Car l'hiver est passé ; la pluie a cessé, elle s'en est allée.
Dans le pays, les fleurs paraissent, le temps de chanter est arrivé, et la tourterelle se fait entendre dans notre pays.
Le figuier forme ses premiers fruits, les vignes en fleur exhalent leur senteur.
Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens !

C'est beau, non ? Mais ça ne dit pas tout à fait ça, dans le texte hébreu. Il y a une forme inattendue et difficilement traduisible, reprise deux fois dans ce passage, qu'on pourrait rendre par "Lève-toi (pour toi), ma compagne, ma belle, et va (vers toi)". C'est la même tournure de phrase que celle que Dieu adresse à Abram, pour lui dire de partir à l'aventure d'une vie nouvelle, vers une terre inconnue : Lekh Lekha (se prononce ler lera). Va, vers toi. Va, pour toi. Ce n'est pas "viens", un appel à appartenir à quelqu'un, à lui obéir, mais bien "va", un appel à être, à être vraiment, en chemin, quel qu'il soit, accompagné par un amour qui ne ligote pas. C'est un envoi. Et l'Église, depuis toujours, fait aussi une lecture métaphorique de ce livre de la Bible, en faisant le pari qu'il dit quelque chose de la relation entre Dieu et l'être humain. Ce passage, alors, nous dit que Dieu est celui qui dit, non pas : "viens" comme un ordre à suivre, mais "va", comme un appel à l'espérance, au mouvement. 
C'est peut-être l'essentiel de ce que nous disons en Église, ensemble. Dieu nous veut, non pas recroquevillés, ligotés les uns aux autres et à lui par une loi pesante, mais en mouvement, vivants, vraiment vivants. Et prenant le risque de notre humanité, même lorsqu'elle est douloureuse, même lorsque tout n'est pas rose, même lorsqu'une séparation devient nécessaire pour que la vie reprenne autrement. 

Abraham en route vers la terre promise (Gustave Doré)

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