jeudi 15 février 2018

Pourquoi le président Trump est (peut-être) une bénédiction

Demandez à une femme battue, à quelqu'un qui a subi un viol. Demandez à l'enfant souffre-douleur d'un professeur ou de ses camarades, ou de ses parents. Demandez à l'employé qui supporte un chef pervers. Le plus dur à supporter, c'est l'ordinaire de la situation. Quand vous vivez cela au quotidien, c'est votre normalité. C'est votre vie. Parfois vous n'en avez jamais eu d'autre ; parfois vous vous êtes convaincus qu'une autre vie n'était qu'une illusion, ne serait qu'une illusion.
Il faut toujours que quelque chose ou quelqu'un vienne provoquer un déclic pour qu'enfin cette normalité devienne aberrante. Une parole, un regard, un geste. Quelqu'un qui, enfin, écoute, au détour d'une parole difficile à dire, la douleur. Un regard surpris devant la façon dont on est traité. Un geste d'affection qui viendra peupler de douceur des nuits trop longues, ou la supplication muette d'un enfant qui ne comprend pas. 
Ou, plus rarement mais aussi plus efficacement, le spectacle largement dénoncé d'un individu qui affiche sa malfaisance ouvertement. La bouche tordue par l'orgueil, la parole grandiloquente, le geste stéréotypé, le délire de grandeur. Tous ceux qui ont connu l'enfermement dans une relation avec quelqu'un de véritablement toxique les reconnaîtront. Ainsi que les dégâts concentriques autour de lui. Les mensonges qui fusent partout. L'inconfort extrême d'être entre le marteau et l'enclume en permanence. Le désespoir que tant de gens s'y laissent prendre et croient le bourreau plutôt que la victime, parce qu'il affiche un charisme, un charme indéniables, parce qu'il est puissant, parce qu'on ne peut pas se montrer si sûr de soi, quand même, si on est si mauvais. 
En ce moment, la parole, ici et là, se libère. A l'occasion de grandes "affaires", des femmes osent dire ce qu'elles ont supporté, ce qu'elles supportent encore, micro-agressions ou grands drames intimes. Elles disent la solitude, la culpabilité, l'auto-destruction, le renversement des valeurs, le choix faussé de la permanence contre la sécurité. On perçoit mieux, aussi, l'inégalité devant les défis de la vie quotidienne, selon sa religion ou sa couleur de peau, parce que de l'autre côté de l'Atlantique, beaucoup sont sous une épée de Damoclès, et que ça n'a pas l'air sur le point de se terminer. 
Peut-être, au vu de tout cela, le président Trump est-il une bénédiction. Pas pour le bien qu'il peut faire. Mais pour le mal qu'il rend visible. 

(c) Libération, 2015

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