Après chaque mass shooting aux États-Unis, des voix s'élèvent pour dire que "now is not the time", ce n'est pas le moment, pour parler de ce qui fâche, et surtout du contrôle des armes à feu, avec des trémolos dans la voix, disant que c'est un scandale moral de profiter d'un tel moment pour avancer des pions sur l'échiquier politique. Pour être précis, c'est essentiellement l'attitude des médias d'ultra-droite, dans une attaque de tout ce qui est considéré comme "libéral".
Mais posons-nous la question simplement : pourquoi ne serait-ce pas le moment de quoi que ce soit ? Qu'est-ce qui justifierait, logiquement, de ne pas parler ? La réponse est simple : la décence. Face à une tragédie, il faut avoir la décence de respecter la douleur de tous ceux qui ont été touchés directement. Pour ne pas raviver la douleur, pour ne pas en ajouter, pour ne pas risquer des paroles maladroites. C'est la décence des amis de Job qui restent pendant sept jours, sans rien dire, simplement accablés, auprès de lui, partageant sa douleur et sa solitude.
Mais pour pouvoir affirmer cela sans que ce soit une complète hypocrisie, il faut se préoccuper vraiment des victimes. De leurs sentiments réels. De leurs besoins réels. Si on leur en colle sur le dos, alors on ne fait que les utiliser, plutôt que de les respecter.
Or, ces derniers jours, à la suite d'une nouvelle fusillade dans un lycée en Floride, les victimes se rebellent. Au lieu de laisser dire, sur leur dos, qu'il faut se taire pour les respecter, les lycéens concernés se mettent à hurler leur douleur en disant qu'ils n'ont pas besoin de silence. Que le silence ne sert que le statu quo, et que le statu quo a déjà tué trop de monde. Qu'il faut, au contraire, parler, exiger, se bouger, pour ne pas se résigner. Ces jeunes refusent d'être utilisés, ils haïssent l'hypocrisie, ils se rebellent face à l'indifférence. Ils résistent de toutes leurs forces à un cycle de l'information (news cycle) qui, très bientôt, va attirer l'attention de la nation sur d'autres choses, d'autres scandales, noyant ainsi leur fureur.
Je me trompe peut-être. Peut-être que j'ai une interprétation dévoyée de ce que signifie être croyant dans ce monde. Mais je crois fermement que croire à un Dieu qui nous dépasse tous, c'est refuser fermement toute hypocrisie pour, au contraire, entendre et soutenir la voix de ceux qui décident qu'il est temps de ne plus être massacrés sans rien dire. Dans les grands drames de l'Histoire, l'Église universelle s'est toujours trouvée déchirée face aux choix nécessaires. Mais toujours, il y a eu des gens dans l'Église pour dire que l'hypocrisie du silence n'est jamais un choix éthique légitime.
Le choix éthique nécessaire aux États-Unis ne semble pas très compliqué, vu depuis ce côté-ci de l'océan. Contrôler un minimum qui a accès aux armes à feu, refuser de laisser circuler des armes de guerre, ça ne semble pas très compliqué, comme choix moral. Mais sans être directement concernée, il serait hypocrite de ma part de dire que c'est facile.
Par contre, je peux regarder ce qui se passe plus près. Nous pouvons choisir d'écouter, vraiment, ce que disent ceux qui sont engagés auprès de ceux qui, aujourd'hui même, ici même, souffrent. La Fédération de l'entraide protestante, la Cimade, me viennent à l'esprit, et il y en a beaucoup d'autres. On parle de mort, de maltraitance, de drame. Ce ne sont pas des mots, des concepts. Ce sont des gens.
"Je ne fais pas le bien que je veux faire, mais je pratique le mal que je ne veux pas", dit l'apôtre Paul. Cela peut nous conforter dans un certain fatalisme, disant que de toute façon la nature humaine est perverse et mauvaise, pour s'y résigner en silence. Mais ça peut aussi nous appeler à participer au miracle de ce quelque chose qui résiste à notre hypocrisie, envers et malgré tout, et nous appelle à l'action, à la résistance, à la colère.
C'est le moment.
Fox Mews (c) PRG |
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