jeudi 1 mars 2018

Incarnation, poil au menton (le ministère féminin)


Quand vous êtes pasteur, comme dans bien d'autres professions d'aide et de soutien à autrui, votre temps et votre énergie semblent appartenir à tout le monde, être une espèce de propriété universelle : par défaut, tout le monde y a droit (même, parfois, sans vous demander votre avis). On apprend à naviguer autour de ces écueils avec autant de grâce qu'il est possible. 
On aimerait, parfois, être un être éthéré et ailé, pourvu de toute la patience du monde et d'un temps illimité. C'est-à-dire, pas vraiment humain. Pourtant, être pasteur, c'est tenir ferme à l'incarnation. C'est pouvoir dire que personne, même le pasteur (surtout le pasteur), ne peut se dire surhumain, hors des normes de l'humanité ordinaire. Et que le pasteur aussi connaît la fatigue, le coup de mou, le pas-envie, le doute, le besoin de se retirer de l'agitation perpétuelle pour réfléchir et faire autrement. Si j'osais parler comme Lacan, qui a une rue à son nom dans la ville où j'ai été ministre en poste jusqu'à récemment, je dirais que traiter le pasteur comme un saint homme, c'est un symptôme... Penser qu'il y a des humains qui, par nature, sont des saints hommes (et femmes), c'est refuser l'incarnation. C'est, finalement, la porte ouverte à la croyance que pour être légitime aux yeux de Dieu, il faut se rendre autre qu'humain, c'est-à-dire croire qu'on peut marchander son salut avec Dieu en sacrifiant son humanité. 
L'incarnation, c'est au contraire dire que si Dieu est venu parmi nous comme un véritable humain, ce n'était pas pour faire joli sur les photos de famille... Il s'est manifesté dans la chair, comme on le dit dans l'Église depuis les origines. Et cette chair-là, celle de Jésus de Nazareth, pas une autre.
On peut en faire deux lectures théologiques différentes qui ouvrent à des implications différentes. Soit on dira qu'alors, le représentant de l'Église doit ressembler à Jésus et donc être un homme (c'est la position de l'Église catholique, même si elle est beaucoup plus complexe que ça, bien sûr). Soit on dira que Jésus est venu dans cette peau, à l'exclusion de toutes les autres, parce qu'il est bien humain et pas un ange. Alors, ce sera l'humanité véritable qui sera mise en avant, et l'affirmation que Dieu se manifeste pour les humains sous toutes les formes que prend cette humanité... y compris féminines. Ces deux pôles interprétatifs ne sont que des moments sur une échelle d'interprétations complexes, variées et parfois contradictoires. 
Le deuxième choix interprétatif est celui des Églises protestantes, mais pas toutes. La mienne, oui. Encore que le débat sur la question de l'ordination des femmes, au détour des années 1930, ait été violent, long, et que ses traces n'en aient peut-être pas totalement disparu partout, si j'en crois certaines collègues. 
Dans les cercles concernés par ces questions dans le monde anglophone, il circule une liste que je ne résiste pas à partager avec vous, les "Dix raisons pour lesquelles un homme ne devrait pas être pasteur". Elle est de la plume de l'exégète et professeur de théologie David M. Scholer et on peut la trouver, en version originale, ici

10. La place d'un homme est à l'armée.
9. Pour ceux qui ont des enfants, les responsabilités du ministère pastoral risquent de les détourner de leurs responsabilités de parent.
8. La physiologie masculine tourne naturellement les hommes vers l'abattage des arbres et la chasse aux pumas. Il serait contre nature qu'ils se livrent à des activités pastorales.
7. L'homme a été créé avant la femme. Il est évident, par conséquent, que l'homme était un prototype. Aussi, le genre masculin est un brouillon, et certainement pas le couronnement de l'oeuvre de la création.
6. Les hommes sont trop émotifs pour être prêtres ou pasteurs. Il suffit pour s'en convaincre de les observer pendant un match de foot ou de basket.
5. Certains hommes sont mignons ; ils risquent de distraire l'assistance féminine lors des célébrations.
4. Être ordonné pasteur, c'est éduquer et prendre soin de la communauté. Mais ce n'est pas un rôle d'homme. Il se trouve que tout au long de l'Histoire, ce sont les femmes qui ont été considérées comme les plus à même de prendre soin et d'éduquer, et aussi les plus attirées par ce rôle. Cela fait d'elles les candidates les plus logiques à l'ordination.
3. Les hommes sont excessivement enclins à la violence. Aucun homme vraiment viril n'acceptera de régler un conflit autrement que par la bagarre, ce qui fait des hommes de piètres exemples à suivre, et les rend dangereusement instables dans les postes de direction.
2. Tout cela n'empêche pas les hommes de s'impliquer dans les activités d'Église, même s'ils ne sont pas ordonnés. Ils peuvent balayer les allées, réparer le toit de l'église, et peut-être même diriger la chorale le jour de la fête des pères. En se cantonant à ces rôles masculins traditionnels, ils peuvent être d'une importance vitale pour la vie de l'Église.
1. Selon le Nouveau Testament, la personne qui a trahi Jésus était un homme. Son manque de foi et la punition qui s'en est ensuivie sont les symboles de la position de subordination que tous les hommes devraient respecter.

Carolina Costa, pasteure à Genève

2 commentaires:

  1. Excellent! Humour, un peu d'histoire, et le debut sur le pasteur, necessairement imparfait (ca me rappelle le propos de Winnicot sur la mere qui doit etre "good enough" et surtout pas parfaite!) est particulierement bien vu. Merci!

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  2. Anne-Cécile, c'est sûr que "on veut un pasteur suffisamment bon", ça fait nettement plus envie à un pasteur en recherche d'un nouveau poste qu'une liste interminable de tâches à accomplir et d'idéaux à atteindre ;-)
    J'y repenserai dans quelques années si tout va bien !

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