lundi 19 février 2018

De la force pour les épuisés

Le prophète Esaïe s'adresse à des gens en exil. Le peuple d'Israël a été déraciné et emmené, captif, à Babylone. C'est un temps de doute - comment pourrait-il en être autrement ? Quel est ce Dieu qui a laissé faire ? Il a été le Dieu des patriarches, il est celui par qui Jacob est devenu Israël, et il a été aux côtés du peuple d'Israël à chaque étape de ses pérégrinations. Mais à présent ? Est-il en train de les punir ? les ignore-t-il délibérément ? ou est-il bien là, mais de telle façon que plus personne n'en est sûr ?
Esaïe ne sera pas un prophète doux et paisible. Il est venu leur secouer les puces, et rappeler quelques vérités essentielles, car là est la vraie consolation. 

Jacob, pourquoi dis-tu,
Israël, pourquoi affirmes-tu :
« Mon chemin est caché au SEIGNEUR,
mon droit échappe à mon Dieu. »
Ne sais-tu pas, n’as-tu pas entendu ?
Le SEIGNEUR est le Dieu de toujours,
il crée les extrémités de la terre.
Il ne faiblit pas, il ne se fatigue pas ;
nul moyen de sonder son intelligence,
il donne de l’énergie au faible
il amplifie l’endurance de qui est sans forces.
Ils faiblissent, les jeunes, ils se fatiguent,
même les hommes d’élite trébuchent bel et bien !
Mais ceux qui espèrent dans le SEIGNEUR retrempent leur énergie :
ils prennent de l’envergure comme des aigles,
ils s’élancent et ne se fatiguent pas,
ils avancent et ne faiblissent pas ! (Es 40,27-31)

D'une certaine façon, nous sommes, nous aussi, en exil. Nous pouvons dire comme le peuple d'Israël "notre chemin est caché aux yeux de Dieu, il ignore notre bon droit, il nous abandonne". Et il y a un temps où il est essentiel d'admettre cela, de laisser résonner la colère et le sentiment d'injustice, pour prendre acte que le malheur existe et qu'il s'insinue dans nos vies. Ça peut être léger, ça peut être grave, ça peut être une crainte ou une terreur. Pour ne pas s'y enliser, il faut en prendre acte.
Mais le temps de la grâce n'est pas là. Le temps de la grâce ouvre autre chose. Là où nous demandons "pourquoi ?", le prophète répond "pourquoi demandez-vous cela ?"
A la plainte du peuple, le prophète oppose la réalité de Dieu. Là où le peuple attend et espère un Dieu qui lui préparerait un chemin tout tracé et qui le protégerait contre toutes les injustices, Esaïe annonce un Dieu qui a créé l'univers d'un bout à l'aure, qui ne se fatigue jamais et dont l'intelligence nous dépasse toujours. Un Dieu incompréhensible selon nos propres catégories, mais un Dieu qui nous invite à comprendre comment il sauve. Pas en nous protégeant de tout et de n'importe quoi, pas en effaçant le mal et le malheur, pas en supprimant les méchants. Non : ce Dieu-là sauve... en créant. 
Et pour chacun de nous, le plus pur de ce que Dieu crée, c'est le désir. Le désir de continuer. Le désir d'une vie nouvelle, qui n'a jamais encore été vécue, de jours qui n'ont encore jamais vu le jour. Il fait surgir un monde différent au coeur de notre réalité ordinaire. Il crée le désir de ne pas laisser tomber, de ne pas céder à l'immobilité, de ne pas nous replier sur le passé. Il creuse en nous l'espace pour un tout petit peu d'espoir que la route continue, que le souffle continue. 
Ce n'est pas la force de la jeunesse, qui dépend d'un corps jeune. C'est infiniment plus subtil, plus précieux, c'est pour les jeunes comme pour les vieux, pour les accablés comme pour les bien portants. Dieu ne fait pas à notre place. Mais il crée en nous le désir pour que du possible soit à nouveau souhaitable. Cette force-là, subtile et inépuisable, n'est pas la nôtre, et nous pouvons y puiser sans crainte. Ce don peut nous faire marcher, ou courir, ou même voler comme un aigle, ou rester paisible et immobile, le temps nécessaire. 
Il vient un jour où nous réalisons que si notre plainte initiale était "pourquoi ? pourquoi le mal et le malheur ?" en nous recroquevillant sur ce qui n'est plus, Dieu est venu répondre à notre prière en créant, en offrant la force d'aimer et de rechercher la nouveauté de vie, en ouvrant un espace insoupçonné jusque-là. Cette création au coeur de notre vie, ça s'appelle la résurrection... 

Aigle

2 commentaires:

  1. Des mots tres justes, en particulier la mise en regard de notre attente d'un Dieu qui nous donne des regles simples et nous protege face a ce Dieu qui nous depasse et nous invite a aller de l'avant. Ce texte est tres aime des Natifs americains chretiens. La comparison avec les aigles les touche au plus profond.

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  2. Je n'y avais pas pensé, mais je suis d'autant plus heureuse d'avoir commenté ce texte, alors !
    Toutes mes amitiés

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